Migration des sièges sociaux: Jane Jacobs, Robin Philpot, Henri Aubin et al

Tribune libre




Le mouvement migratoire des sièges sociaux de Montréal vers l'Ontario Méridional et vers l'Ouest, a peu à voir avec la stabilité politique du Québec, un peu mais très peu.

Ce mouvement général est en grande partie provoqué par des nécessités qui n'ont pas de loi et que beaucoup ont exploité et exploitent encore pour s'enrichir et renforcer leurs pouvoirs et leur emprise sur les événements.

Il existe en géopolitique un axiome central: un pouvoir est complètement dans ses communications. Au nord des Amériques, le Québec et le Canada sont des espaces aux dimensions continentales immenses, mais recouverts d'obstacles naturels, manquant de régions basses, plates, arables, aux climats favorables, des régions oékoumènes comme on dit en stratégie d'État. À l'est, les basses terres du Saint Laurent, peu étendues, entourées d'obstacles infranchissables, ou presque, parcourues par un grand fleuve aux possibilités de navigation commerciale limitées par le climat et les hauts fonds, a été et demeure la tête de pont principale vers les basses terres des grands Lacs, 500 kilomètres plus loin, et de là vers l'Ouest, à plus de 2000 kilomètres de distance. Ces conditions sont peu favorables au développement de macro-économies comparables à celles des États Unis, qui évoluent dans de grandes plaines côtières et intérieures. Inutile de se faire la moindre illusion à ce sujet.

Les Orangemen et les United Empire Loyalists l'ont compris très tôt. La guerre de 1812 avait pour objectif stratégique d'annexer Montréal à New York et de contrôler les communications qui passent par le Saint Laurent. Cette guerre n'ayant produit aucun résultat, les Newyorkais décident de canaliser la rivière Mohawk depuis Albany jusqu'à Buffalo, reliant d'un coup le port de New York avec les grands Lacs. Avec la construction des chemins de fer qui suivit celle des canalisations, la fortune des Newyorkais était assurée pour des générations à venir. Il ne leur restait qu'à s'emparer des basses terres des grands Lacs et le pouvoir économique de New York atteindrait des proportions encore plus gigantesques. The sky is the limit.

En Amérique Britannique du Nord, Orangemen et Loyalistes réagirent par l'augmentation de leurs effectifs militaires dans le Niagara, afin de défendre les basses terres des grands Lacs contre les intrusions des Newyorkais. Dès 1815, John Robertson, fondateur de la Banque de Montréal, avait vu la construction du canal Érié à partir d'Albany et s'était empressé de pousser le Bas Canada à construire le canal Lachine afin d'accéder plus facilement aux grands Lacs et préserver ces territoires pour la Couronne britannique et les intérêts orangistes et loyalistes. La construction des chemins de fer et l'ouverture du pont Victoria, incita, à partir de 1860, Orangistes et Loyalistes à émigrer hors de la vallée du Saint Laurent et du Québec afin de prendre solidement possession des basses terres des grands Lacs et des territoires situés plus à l'Ouest. Des conditions d'établissement exceptionnellement avantageuses leur furent offertes afin de faciliter leur déménagement hors du Québec vers l'Ontario méridional, appelé par eux à devenir le centre de gravité de leur pouvoir économique sur tout l'espace continental canadien. Car le Canada est un continent distinct au nord des Amériques.

Le mouvement migratoire des Orangemen et des Loyalistes hors du Québec vers l'Ontario méridional, commencé autour de l'année charnière 1860, s'est prolongé sans arrêt jusqu'en 1960. Il a repris avec l'ouverture de la Voie Maritime du Saint Laurent et se poursuit toujours. Il s'agit de la même continuité géopolitique.

Au Québec, l'importance et la continuité du mouvement migratoire des Orangemen et United Empire Loyalists vers l'Ontario méridional et vers l'Ouest a été perçue comme une occasion pour les Québécois de conquérir leur propre territoire par l'achat des terres, domaines,
terroirs, entreprises et autres propriétés laissés sur place.


C'est à cette fin que les premières Caisses Populaires ont été fondées, à partir du dernier quart du 19e siècle. Le capital québécois pouvait se transformer en liquidités et se doter d'un pouvoir d'achat.

En effet, après 300 ans de défrichements, mises en valeur et aménagements d'un territoire qui compte parmi les plus rudes de toute la terre, les Québécois avaient déjà constitué un capital qui leur permettait d'acheter les domaines pris en possession par les Anglais, les Orangemen et les Loyalistes depuis le traité de Paris du 10 février 1763. Cette conquête du Québec par les Québécois se poursuit toujours. En 1960, nouvellement élu, Jean Lesage pouvait parler de l'État du Québec. La Révolution tranquille a prouvé et prouve encore que ce capital d'État, nous le possédons déjà. Il n'en tient qu'à nous de nous prendre en charge et de l'assumer pleinement. Libres à nous ensuite d'inviter nos adversaires à abandonner leurs tentatives pour exercer plein contrôle sur le Québec, que nous pouvons contrôler nous-mêmes. Il n'y a rien à craindre.

Les Orangemen et Loyalistes concentrés à Toronto et dans les basses terres des grands Lacs n'ont pas manqué de constater ce qui se passait au Québec avec les mouvements migratoires prolongés et continus de leur monde hors du Québec. D'où nécessité pour eux de placer tous les pouvoirs politiques et économiques sous leur contrôle. Une première tentative avec le Union Act de 1840 fut suivie du British North America Act de 1967 et du Canada Act de 1982, pour tirer plein avantage des Statuts Refondus de Westminster de 1931. Pendant toute cette période, la politique centralisatrice, officielle, officieuse et cryptique, n'a pas cessé de piéger les pouvoirs vers Ottawa et Toronto.

À nous de nous défendre et nous en sommes capables comme l'histoire l'a prouvé. Par notre travail, nous avons fait du Québec notre foyer national et fondé les assises de notre propre État, envers et contre la volonté orangiste et loyaliste. Nous avons maintenant la possibilité de nous reconnaître comme État-nation et nous faire reconnaître par la communauté internationale, là où les nouveaux États se multiplient, se reconnaissent et se font reconnaître. Nous prendrons bien sûr le plein contrôle sur la tête de pont du Saint Laurent, qui ouvre un chemin limité mais réel vers les grands Lacs d'une part, illimité ou presque, vers l'océan Atlantique et le monde d'autre part.

Le territoire du Québec est défendable et nous l'avons bien défendu. À nous maintenant de poursuivre et d'agir.


Ce que j'écris à ce sujet, je ne l'ai pas appris au Québec mais en Ontario et en Angleterre, où on pense d'une manière concrète, notamment à Toronto, où j'ai enseigné géographie générale et géopolitique pendant
18 ans.

Ces réalités concrètes ne sont malhreuseument pas enseignées au Québec, où on préfère le positivisme, le structuralisme, le néostructuralisme et autres idéologies creuses, à l'univers concret et radical de la réalité, à l'intérieur duquel évolue l'univers libre de la relation.

René Marcel Sauvé, géographe et auteur de
_ Géopolitique et avenir du Québec

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René Marcel Sauvé217 articles

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J. René Marcel Sauvé, géographe spécialisé en géopolitique et en polémologie, a fait ses études de base à l’institut de géographie de l’Université de Montréal. En même temps, il entreprit dans l’armée canadienne une carrière de 28 ans qui le conduisit en Europe, en Afrique occidentale et au Moyen-Orient. Poursuivant études et carrière, il s’inscrivit au département d’histoire de l’Université de Londres et fit des études au Collège Métropolitain de Saint-Albans. Il fréquenta aussi l’Université de Vienne et le Geschwitzer Scholl Institut Für Politische Wissenschaft à Munich. Il est l'auteur de [{Géopolitique et avenir du Québec et Québec, carrefour des empires}->http://www.quebeclibre.net/spip.php?article248].





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1 commentaire

  • Archives de Vigile Répondre

    14 octobre 2006

    J'ai savouré chaque mot de ce texte. Merci Monsieur Sauvé !