Un pavillon de musique à ½ million $

Mordecai révèle nos failles

Tribune libre

Le fantôme de l’écrivain Mordecai Richler semble vraiment hanter l’administration municipale de Montréal. Déjà en 2011, en jetant son dévolu sur le piteux pavillon à musique du parc du Mont-Royal, l’ancien maire Gérald Tremblay avait eu l’air de se débarrasser de dossier de l’hommage toponymique au controversé écrivain comme d’une patate chaude. Quatre longues années plus tard, le pauvre kiosque d’à peine 8 mètres de diamètre dont la restauration devrait être terminée depuis des lustres a toujours aussi mauvaise mine. Et voilà que le 1er septembre dernier, on apprenait que de 379 000$, le déjà imposant budget des travaux doit être porté à un exorbitant 535 000$ pour cause de plomb dans l’ancienne peinture et fondations instables. À ce prix-là, on achète pourtant deux maisons unifamiliales de banlieue!

Ne voulant pas être en reste, le maire Denis Coderre, a annoncé le 12 mars dernier avoir choisi la bibliothèque du Mile End pour honorer lui aussi Mordecai Richler. Comme pour anticiper les critiques et amadouer à l’avance les mécontents potentiels, le maire avait parsemé son hommage de quelques épithètes d’une très subtile tiédeur, qualifiant Richler d’« enfant terrible » et de « polémiste ». Mais M. Coderre a opiné qu’il fallait surtout considérer Mordecai Richler comme « un ambassadeur culturel extraordinaire ». On associe pourtant le travail d’un ambassadeur à la diplomatie. Or, entre autres affirmations de diffamation planétaire délibérée, M. Richler avait jadis cité dans son livre « Oh Canada! Oh Quebec! – Requiem for a Divided Country », la statistique qu’il savait fausse à l’effet que 70% des francophones du Québec moderne étaient « hautement antisémites ».

Ce chiffre grotesque avait fini dans plusieurs journaux américains et britanniques. Souvenons-nous également que notre ambassadeur culturel avait écrit dans le prestigieux magazine The New Yorker, qu’en 1976, le Parti québécois avait choisi pour ritournelle électorale un chant nazi. Dans les faits, il s’agissait de la chanson « Demain nous appartient », composée par Stéphane Venne. Mais il y a sans doute dans les hommages montréalais rendus à Richler quelque chose de déculpabilisant, en ce qu’ils tendent à infirmer les accusations de Mordecai Richler à l’endroit de la société francophone du Québec qu’en 1992, il qualifia de « communauté tribale ». Il semble bien que la thérapie collective qu’en 1977 le Dr Camille Laurin souhaitait faire suivre aux Québécois par le biais de la Loi 101 ne soit pas encore concluante.

Pour décider ou non d’inclure le nom de Mordecai Richler dans la toponymie de Montréal, il fallait bien sûr considérer la grande qualité de son œuvre littéraire. Par contre, le temps venu de choisir, on ne pouvait faire abstraction du profil sociologique du lieu à retenir. Rappelons qu’à l’ouest, le boulevard René-Lévesque s’arrête à la rue Atwater parce qu’en 1987, la mairesse May Cutler de Westmount a décliné l’invitation du maire Jean Doré de dénommer sa portion du boulevard Dorschester.

Chez nos concitoyens anglophones, l’autoflagellation a donc apparemment ses limites. En 2012, Montréal a inauguré un petit espace vert de l’est de la ville en hommage à Pierre Bourgault. Tribun exceptionnel, Bourgault n’allait cependant pas à la cheville de Richler en matière de médisance. Or toute personne honnête sera forcée d’admettre que de tenter d’installer l’espace Pierre-Bourgault à l’ouest du boulevard Décarie eut relevé du plus pur suicide politique. Pourtant, lorsque vient le temps de rebaptiser du nom de Mordecai Richler une bibliothèque desservant à la fois le Plateau-Mont-Royal et Outremont, c’est le calme plat.

Ce fameux 12 mars, le maire Coderre nous disait que Richler représentait « surtout un symbole fort de tout ce qui constitue l’identité montréalaise. » En effet, l’annonce du nouveau nom de la bibliothèque du Mile End nous en a-t-elle appris davantage sur la bonasserie des francophones de cette ville ou sur l’intransigeance des anglophones? Sans doute un peu des deux.

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Christian Gagnon138 articles

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CHRISTIAN GAGNON, ing.
_ L’auteur a été président régional du Parti Québécois de Montréal-Centre d’octobre 2002 à décembre 2005





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1 commentaire

  • Ouhgo (Hugues) St-Pierre Répondre

    10 septembre 2015

    Montréal est née dans la douleur.
    La conquête britannique. L'industrialisation autour du canal Lachine, la navigation à vapeur (sous M. Molson), le chemin de fer vers l'Ouest, à force de bras analphabètes français...
    Incendie du Parlement canadien de Montréal, en protestation contre le dédommagement aux Patriotes. Immigration anglaise massive pour la révolution industrielle. La frousse du nationalisme québécois. Le faux rattrapage francophone sous des maires aux noms français, Viger, Beaugrand, Villeneuve, Préfontaine, Guérin, Houde, Rinfret... et tous les modernes, très canadiens.
    Montréal ne fut jamais française... parce que les Québécois tergiversent.