La foule défile sous le regard d'un soldat de l'armée canadienne, pour signer le registre en l'honneur du ministre Pierre Laporte. Photo: Archives La Presse
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Émilie Côté - Le Moulin à paroles a été lancé notamment par la metteuse en scène Brigitte Haentjens et deux membres du groupe Loco Locass. La manifestation aura lieu samedi et dimanche sur les plaines d'Abraham. Pendant 24 heures, environ 130 artistes feront la lecture d'un texte qui «raconte le Québec». Luck Mervil a choisi de lire un extrait du manifeste du FLQ, ce qui suscite la controverse depuis quelques jours.
«On ne peut pas censurer l'histoire», lance Julie Snyder, qui sera l'une des 130 artistes qui réciteront un texte le week-end prochain, sur les plaines d'Abraham.
La manifestation, intitulée Le Moulin à paroles, suscite la controverse depuis quelques jours parce que Luck Mervil lira une partie du manifeste du FLQ. «Près de 150 textes seront lus, rappelle Julie Snyder. C'est un événement très pluriel. Je lis un texte d'Abla Farhoud, qui est d'origine libanaise.»
Pour Julie Snyder, le manifeste n'est qu'un texte parmi d'autres. Par exemple, le journaliste Andrew Wolfe Burroughs, un descendant de James Wolfe, lira une lettre du général britannique, et le restaurateur Hubert Marsolais, du Club chasse et pêche, présentera au public un extrait de la préface d'un livre de Jehane Benoît.
«Ce n'est pas de politique qu'il est question mais de notre histoire, qui est de moins en moins enseignée dans nos écoles, dit l'animatrice. Les absents ont toujours tort.»
Le premier ministre Jean Charest et le ministre responsable de la région de Québec, Sam Hamad, ont affirmé vendredi dernier qu'ils n'assisteront pas au Moulin à paroles. Ils jugent qu'il est trop partisan et qu'il fait l'apologie de la haine et du terrorisme prôné par le FLQ. Le gouvernement Charest a refusé de verser une subvention de 20 000$ aux organisateurs. «Ils sont rendus loin de la poésie. Le FLQ, pour moi, le souvenir que j'ai, ce sont les assassinats, les bombes», a déclaré le ministre Hamad en entrevue à RDI.
Pour Luck Mervil, la réaction des libéraux est «un manque total de respect pour l'histoire». Le chanteur souligne que le manifeste a été lu intégralement dans la pièce de Wajdi Mouawad Manifeste!, présentée l'an dernier à Ottawa, au Centre national des arts, en présence de la gouverneure générale, Michaëlle Jean.
«Le fondateur du Parti québécois, René Lévesque, s'était élevé contre ce texte-là. S'il y a des gens qui devraient être sensibles à sa lecture, ce sont les souverainistes», dit-il.
Pour Pierre Godin, le biographe de René Lévesque, toute la controverse des derniers jours est à la base «un règlement de comptes entre les fédéraux et les souverainistes» et «une excuse pour discréditer» la manifestation.
Selon l'auteur, c'est une revanche des fédéralistes, qui, l'hiver dernier, avaient lancé l'idée de reconstituer la bataille des plaines d'Abraham. «C'est oeil pour oeil, dent pour dent», résume-t-il.
«La controverse politise l'événement»
À l'époque de la Crise d'octobre, René Lévesque avait dénoncé avec virulence les gestes des felquistes. «S'ils ont vraiment cru avoir une cause, ils l'ont tuée en même temps que Pierre Laporte et, en se déshonorant ainsi, ils nous ont tous plus ou moins éclaboussés», avait-il déclaré le 18 octobre 1970.
Que dirait Lévesque aujourd'hui de la controverse du Moulin à paroles? «Il rirait. Ce sont les fédéralistes qui ont allumé la mèche en voulant commémorer la défaite de 1759», répond Pierre Godin.
Lévesque faisait aussi partie des 16 personnalités publiques - avec Claude Ryan, Jacques Parizeau et Yvon Charbonneau, notamment - qui avaient dénoncé l'enlèvement de Pierre Laporte et James Cross, mais aussi la rigidité «déjà presque militaire» d'Ottawa.
Dans une déclaration commune, le groupe avait demandé aux gouvernements de négocier avec les ravisseurs. Il faisait valoir que «les gens du FLQ, d'autre part, sont une fraction marginale de ce même Québec, mais font quand même partie de notre réalité, car l'extrémisme fait partie de l'organisme social, en même temps qu'il en dénote le mauvais état et peut le mettre en péril mortel».
Fernand Daoust, à l'époque secrétaire général de la Fédération des travailleurs du Québec (FTQ), était au nombre de ces leaders d'opinion. «Pour moi, le manifeste fait partie de la mémoire collective, de l'histoire du Québec moderne, dit le syndicaliste âgé aujourd'hui de 80 ans. Le fait de le lire n'est aucunement un appel à la violence. C'est un rappel. Comment cacher cette période-là aux jeunes?»
«La controverse politise l'événement plus que les organisateurs l'auraient souhaité», ajoute-t-il.
Jean-François Cardin, auteur de l'ouvrage Comprendre Octobre 1970, trouve que le ministre Hamad a «déraillé» en associant Le Moulin à paroles à de la violence. «Comme citoyen, il faut faire l'équilibre des choses et comprendre que c'est une bataille politique sur la récupération qu'on peut faire du passé selon nos intérêts.»
Pour le professeur en didactique de l'histoire à l'Université Laval, ressortir le manifeste est «légitime et pertinent».
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