Je lis sur VIGILE: « La critique radicale du multiculturalisme, structurant la dénationalisation de notre société, permet son dépassement et solidifie le terrain de l’identité nationale et de la cohésion sociale. » Sur un blog bruxellois, quelqu’un se réjouissait du fait que les équipes de football à Bruxelles, en Wallonie, en Flandre étaient de plus en plus composées de joueurs ne connaissant pas la langue de leur région, même pas le français en Wallonie, par exemple. Et y voyait la fin des identités. Là, tout de même, j’ai un peu peur.
Je lis ceci sous la plume de Jean-Marie Klinkenberg, professeur à l’université de Liège et bien connu au Québec: « On peut dès lors parfaitement envisager une entité politique qui serait un non-Etat et une non-Nation. S’ouvre ainsi l’ère de sociétés, molles peut-être, qui, pour le pire comme pour le meilleur, seront sans homogénéité, et où le scepticisme sera le garant d’une certaine convivialité et de la loyauté des appartenances plurielles dans les appartenances multiples. Dans le processus d’élaboration d’un tel modèle de société, la Wallonie, qui est indubitablement une unité politique, n’est pas trop mal placée. Par leur déficit même en identité, ses habitants sont en effet disponibles pour entrer dans les cadres symboliques que postule l'ère qui succédera à celle de l’Etat moderne. » (ceci en avril 1994 au Colloque Nationalisme et postnationalisme, tenu aux Facultés N-Dde la Paix à Namur, publié aux Presses universitaires de Namur, Namur, 1995, p.61). Mais je lis aussi sous sa plume de Jean-Marie (je ne cherche absolument pas à le mettre en contradiction avec lui-même), lors du colloque au Parlement wallon à l’occasion des 20 ans de la Fondation wallonne, en février 2008: « Je dis simplement qu'avoir un langage pour parler de soi n'exonère pas le citoyen de sa responsabilité principale : énoncer sa vision de l'avenir collectif et travailler à la faire advenir. Il ne suffit pas de dire « Nous existons »: il faut aussi donner du sens à cette existence commune. Mais ceci - qui est la définition du civisme - n'est pas le devoir des seuls Wallons. C'est celui de tous les citoyens du monde. » (1)
Taguieff a bien montré qu’il existe deux sortes de racismes, l’un qu’il appelle universaliste et qui impose un modèle d’humanité unique, à travers l’impérialisme et le colonialisme, racisme qui méprise les identités non conformes et qui suscite un antiracisme mettant l’accent sur la pluralité de l’humanité, les différences entre les hommes [Wallons et Flamands sont différents, les Québécois sont différents des Canadiens]. Il existe un autre racisme différencialiste qui, au contraire, exalte une identité, par exemple nationale, au point de considérer la nation ou l’ethnie en cause comme distinguant radicalement ceux qui s’y rattachent des autres hommes, comme si par exemple le fait d’être breton ou wallon constituait une espèce différente. A ce racisme-là, s’oppose un antiracisme universaliste soulignant la similitude des hommes entre eux [et éventuellement le déplaisant Nous sommes tous Belges, ou Nous sommes tous Canadiens]. Du coup, le véritable humanisme consiste à dire deux choses : 1) que les êtres humains sont différents les uns des autres et 2) que les êtres humains sont semblables les uns aux autres. Or, logiquement, ces deux affirmations sont contradictoires (semblables, différents). Pourtant, nous sentons bien qu’il faut les tenir toutes les deux ensemble. Mais, précise Taguieff, leur unité est tragique (est tragique une déchirure de part et d'autre de laquelle chacun a raison). Si Taguieff s’exprime ainsi, c’est à force d’observer dans toutes les discussions sur le racisme, de vrais antiracistes qui veulent souligner que l’humanité est diverse et d’autres antiracistes aussi authentiques que l’humanité est une. Le malheur, c’est qu’ils en viennent souvent à se disputer.
Si l’on importe ce débat à l’intérieur du Québec ou de la Wallonie, on aura également des gens (peut-être les mêmes personnes…), qui diront que tous les Québécois ou Wallons sont semblables, opposés à ceux qui diront que tous les Québécois ou Wallons sont différents. Somme toute, au moins en principe, ils ne devraient pas s’opposer, car les uns et les autres peuvent être d’authentiques patriotes québécois ou wallons, de la même façon que les antiracistes tenants du pluralisme et ceux tenants de l’unité humaine peuvent s’opposer. La démocratie est peut-être la meilleure façon d’exprimer l’unité tragique dans les deux cas : soit l’unité nationale, soit l’unité humaine. Mais dans les deux cas, il faut qu’il y ait des autres pour constituer une unité politique : des autres à l’intérieur de soi (dans son pays), des autres à l’extérieur (dans les autres pays). Pour qu’il y ait démocratie, il faut pouvoir dire qui c’est nous et qui c’est les autres, sinon on sombre dans la barbarie, la nuit où tous les chats sont gris. La démocratie unit en opposant. Elle est elle-même tragique.
(1) Jean-Marie Klinkenberg, Enfin le temps des projets (2) André Taguieff Comment peut-on être raciste ? in Esprit, mars-avril 1993, pages 36-43.
Multiculturalisme au Québec et en Wallonie
Chronique de José Fontaine
José Fontaine355 articles
Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur...
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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.
Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...
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3 commentaires
Archives de Vigile Répondre
9 février 2010Que pensez-vous du sérieux problème que vous avez avec les musulmans qui ne veulent pas s’intégrer en belgique?
Cela est également en train de détruire l’Angleterre la France, la Hollande etc
Pour ce qui est d’André Taguieff, on a qu’à regarder son entourage pour tout comprendre.
José Fontaine Répondre
6 février 2010C'est une fort jolie Flamande. Mais en dehors de cela, je ne sais rien d'elle. Par contre j'apprécie Bart, le nationaliste flamand quand il parle de la Belgique (que je n'aime pas non plus). Mais, "Miss Belgium", cela s'impose d'autant plus dans un pays comme la Belgique, que c'est une façon d'éviter le français qui, bien que compris par tous les Wallons et tous les Bruxellois (et sans doute par 50 à 60% des Flamands sinon plus), est une langue dont la Flandre (politiquement et démographiquement majoritaire - nous ne sommes qu'une minorité -), cherche à se défendre exactement comme le Québec se défend de l'anglais. Les Flamands ont toujours été majoritaires, ce qui leur donne un avantage énorme (dont les Québécois n'ont pas idée bien qu'ils soient aussi très souvent bilingues français/anglais), puisque la connaissance de l'autre langue leur permet, avantage joint à leur position majoritaire, d'occuper énormément de postes dans le public, mais aussi le privé, ce que les Wallons n'obtiendraient sans doute pas ou guère s'ils étaient aussi bilingues que les Flamands.
Encore une chose qui distingue la Flandre du Québec: pendant des siècles les élites flamandes ont parlé le français, de sorte que cette langue n'a pas du tout la même position que l'anglais au Canada et au Québec. Il me semble qu'un Flamand ne me démentirait pas si je disais que le français est réellement une langue de la Flandre, cela sans qu'il y ait eu colonisation à proprement parler. Si la Belgique n'existait plus, il est même probable que la Flandre ferait partie de la Francophonie car l'avantage de parler le français, pour elle, ne se limite pas qu'à la Belgique. Plusieurs Premiers ministres belges (flamands, il n'y a d'ailleurs plus que les Flamands qui occupent ce poste depuis un demi-siècle), ont été soutenus par la France dans leur volonté de présider la Commission européenne. L'actuel Président du Conseil européen est d'ailleurs un ancien Premier ministre belge, soutenu par Sarkozy qui doit se moquer du problème wallon encore plus que du problème québécois. Nous ferons sans lui pour nous en tirer: la France est profondément réticente à l'égard de la Wallonie, notamment quand elle signe des traités internationaux. Et cela, même si les Français comprennent très bien ce qu'est le fédéralisme lorsqu'il leur permet d'agir dans le sens de leur langue et de leur intérêt comme à Montréal en juillet 1967. Je sais que les pouvoirs des entités fédérées ne s'étendent pas au domaine international dans le cas du Québec, mais imaginons une seule seconde que cela aurait été le cas quand de Gaulle était le président de la République...
Archives de Vigile Répondre
6 février 2010Ca fait longtemps qu'on a "décanadianisé" notre Sainte-Flanelle. Pendant 10 ans on a eu un capitaine finlandais qui ne parlait pas français. Là, on n'a même plus de capitaine. Toute la lignée des Boutch Bouchard, Maurice Richard, Jean Béliveau, Yvan Cournoyer, exterminée
PS: Pourriez-vous nous parler de Miss Belgium (c'est comme que l'on dit) qui a pilé sur le drapeau belge?