Aucun ténor de la classe politique n'a accepté hier d'appuyer le chef André Boisclair dans sa volonté, au nom de la laïcité, de retirer le crucifix qui se trouve dans le Salon bleu de l'Assemblée nationale. Le ministre de la Santé, Philippe Couillard, le chef de l'Action démocratique, Mario Dumont, et la députée Fatima Houda-Pepin ont notamment fait savoir qu'ils ne partageaient pas l'agacement de M. Boisclair à propos de ce symbole religieux.
Québec - Dans un entretien accordé au Devoir jeudi au sujet de la place du religieux dans l'espace public, le chef péquiste, partisan de la laïcité, a affirmé qu'à ses yeux, le crucifix «n'avait plus sa place là». Mais il avait tout de suite ajouté ceci: «Je ne veux pas laisser entendre qu'au lendemain de l'élection du PQ, il y aura de grandes transformations sur cette question. J'ai exprimé là une conviction personnelle. Ce n'est pas une politique de parti.» Personne, a-t-il fait remarquer, n'a jamais vraiment réclamé qu'on retire ce crucifix - oeuvre de Romuald Dion, accroché au-dessus de la tête du président en 1936 -, mais à son sens, ce symbole pourrait être choquant pour les membres de minorités religieuses comme les juifs et les musulmans.
Pourtant, la seule députée musulmane à l'Assemblée nationale, Fatima Houda-Pepin, se dit «totalement opposée» au retrait du crucifix de l'Assemblée nationale. «Ce serait comme effacer une page de l'histoire du Québec», a-t-elle affirmé hier. «Pourquoi faudrait-il arracher ce petit symbole qui nous rappelle que cette institution qu'est le Parlement de Québec, plus que bicentenaire, qui nous fait honneur, a été fondée par un peuple canadien français moderne et catholique? Les jeunes qui viennent faire des visites à l'Assemblée pourraient voir tous les autres symboles référant à ce passé - et il y en a beaucoup - mais pas celui-là?» Mme Houda-Pepin - confirmée jeudi candidate dans la circonscription de Lapinière pour la quatrième fois - soutient qu'en tant que musulmane, elle ne se trouve pas du tout heurtée par le crucifix. «J'ai toujours défendu les droits des minorités. Mais cela n'a jamais, à mes yeux, impliqué que la majorité nie son identité.»
Au début des années 90, lorsque Mme Houda-Pepin était présidente du Comité sur les relations interculturelles de la Ville de Montréal, elle s'était opposée au retrait du crucifix de la salle du conseil municipal. «J'estimais que le crucifix dans une institution comme la Ville de Montréal, ça faisait partie de l'histoire. Cela en symbolisait un pan important. Et aujourd'hui, pour les mêmes raisons, je refuserais qu'on retire le crucifix de l'Assemblée nationale.» Transformer la prière du début de séance en moment de réflexion, comme on l'a fait en 1976, a été une bonne chose, selon elle. «Ça, c'était raisonnable. Ça permet à chacun de se recueillir comme il le veut.»
Lors d'une annonce à l'hôpital Laval à Québec hier, le ministre Philippe Couillard s'est prononcé en faveur d'une «laïcité complète» dans les institutions publiques. Mais il s'est opposé au retrait du crucifix: «Le débat sur l'accommodement raisonnable commence par l'affirmation de notre identité et de nos valeurs comme Québécois», a-t-il dit. Cette identité comprend «une langue commune qui est le français» et une tradition historique «fortement liée à la religion catholique et au christianisme», a poursuivi le ministre. Présent à ses côtés, le député Sam Hamad a abondé dans ce sens. «Moi, je veux qu'il reste [le crucifix]. [...] Lorsqu'on vient d'une autre société, qui n'est pas la nôtre, on a un devoir, une responsabilité, de s'intégrer dans la société. Cela ne veut pas dire qu'il faut laisser tomber nos valeurs, cela veut dire qu'il faut respecter les valeurs des autres», a affirmé le député de Louis-Hébert, d'origine syrienne. Quant au chef de l'ADQ, Mario Dumont, il a jugé étonnante la sortie d'André Boisclair contre le crucifix: «C'est un débat qui a été fait. On a aboli la prière, ce qui allait de soi, mais le crucifix, c'est une question de tradition», a-t-il dit. Si M. Boisclair a jugé bon de soulever la question du crucifix, c'est qu'il tente de «faire oublier l'absence de leadership» qu'il a affichée pendant le débat sur l'accommodement raisonnable, croit le député de Rivière-du-Loup. «De toute façon, il va reculer là-dessus, j'en suis convaincu», a ajouté M. Dumont.
Au PQ, M. Boisclair n'est certainement pas le seul à être agacé par le crucifix. En mars dernier, le député de Mercier, Daniel Turp, avait reconnu être «dérangé» par la présence du crucifix au Salon bleu. «Je comprends que, pour des raisons historiques, on devrait avoir le souci de ne pas oblitérer l'histoire, mais dans une société où la laïcité est devenue un principe important, je ne crois pas que ce soit justifié qu'il y ait de crucifix dans notre Assemblée nationale», avait-il lancé. Se décrivant comme un catholique pratiquant, le député de Saint-Hyacinthe, Léandre Dion, ancien responsable de pastorale, soutient que son chef a «l'intuition à la bonne place». À ses dires, le crucifix est le symbole «d'un être qui a donné sa vie pour ses amis», c'est un geste d'amour. «Or l'amour sans la liberté n'est pas possible. Quand un symbole d'amour devient un symbole de division, je conçois qu'on doive l'enlever», a-t-il expliqué.
Le Devoir
Avec la Presse canadienne
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