Les derniers lambeaux du Registre des armes d’épaule pancanadien, celui qui contenait les données pour le Québec, seront effacés, selon le diktat d’Ottawa. La Cour suprême —divisée— a tranché ce vendredi, contre l’avis du Québec. Cela nous en dit beaucoup sur le fédéralisme canadien contemporain et plus précisément sur celui pratiqué depuis une décennie par Stephen Harper.
Ainsi, le Québec devra payer une seconde fois pour un registre des armes à feu. Des données, certes peu mises à jour, existaient et auraient tout de même pu servir de base à un outil qui fait consensus ici depuis sa mise en place conjointement par Ottawa et Québec à la fin des années 1990. Nous avions payé pour bâtir le registre et pour recueillir les données. Il n’aurait rien coûté au fédéral de les transmettre au Québec. Le juge de la Cour supérieure M.-A. Blanchard, qui avait donné raison au Québec en 2012, écrivait éloquemment, à l’époque : « Il rebute au sens commun, pour ne pas dire au bien commun, que l’on puisse empêcher le Québec d’utiliser les données qu’il participe à colliger, analyser, organiser et modifier. »
Une majorité à la Cour suprême a donc décidé de heurter le sens et le bien communs en donnant raison à Ottawa. Selon cette majorité, l’article 29 de sa loi, article par lequel il ordonnait l’élimination des données québécoises du registre, relève du droit criminel, sa compétence constitutionnelle ; bref, Ottawa était dans son droit. La théorie du « fédéralisme coopératif », pourtant promue par la Cour suprême à plusieurs reprises dans le passé, ne pouvait empêcher Ottawa de procéder à la destruction des données, ont tranché les cinq juges de la majorité. Les juges de la minorité, eux, ont bien montré qu’une tout autre argumentation, qui aurait donné raison au Québec, était tout à fait possible. Malheureusement, elle n’aura pas prévalu.
Cette bataille démontre à quel point le fédéralisme canadien est devenu « judiciaire ». Où les gouvernements, au moindre différend, sont contraints d’aller devant les tribunaux au lieu de tenter de s’entendre. Coopératif, vraiment ?
Il aura fallu perdre trois ans devant les tribunaux pour enfin obtenir un jugement contraire au sens commun, lequel commandait la remise des données à Québec. Et lorsque la Cour suprême se penche sur un différend province-Ottawa au sujet du partage des pouvoirs, on ne peut s’empêcher de trouver incongru que les juges en question soient tous nommés exclusivement par Ottawa. Comme si au Centre Bell les Canadiens nommaient les arbitres…
Au reste, avec ce dénouement, nous sommes aussi très loin des promesses de Stephen Harper de décembre 2005, au moment où il était venu promettre, à Québec, d’en finir avec le fédéralisme « dominateur », le fédéralisme « paternaliste ». Contre une forte majorité de Québécois favorables au contrôle des armes à feu, le gouvernement Harper se montre à la fois dominateur et paternaliste : « Non, vous ne vous constituerez pas de registre ! » En 2005, M. Harper affirmait qu’il allait contrôler le pouvoir « fédéral de dépenser » ; promesse violée et ignorée. Avec l’élimination du registre, il semble vouloir démontrer qu’il y a une telle chose qu’un pouvoir fédéral de gaspiller.
Certains diront que le registre est inefficace, qu’il n’a pas empêché des fusillades comme celles à Dawson, à Moncton, etc. Difficile d’évaluer précisément l’effet d’un tel outil (par ailleurs vanté par les policiers). Il reste que tout ce qui peut contribuer à contrôler raisonnablement la prolifération et l’utilisation des armes à feu dans un pays est désirable. Le taux d’homicide par arme à feu a d’ailleurs baissé au Canada dans les dernières décennies. La plupart des crimes violents n’y sont pas commis en utilisant une arme à feu, concluait Statistique Canada en 2014.
ARMES À FEU ET FÉDÉRALISME
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