Gideon Levy, né en 1953 à Tel-Aviv, est un journaliste et écrivain israélien. Il critique l’occupation israélienne et appelle au boycott économique pour la faire cesser.
Dans un article publié dans le quotidien israélien Haaretz (06.07.14), « Our wretched Jewish state », il condamne la haine qui rythme la vie dans son pays. Depuis sa parution, cet article est partagé sur les réseaux sociaux par les femmes et hommes de paix.
Les jeunes de l’État juif attaquent des Palestiniens dans les rues de Jérusalem, exactement comme les jeunes chez les gentils [1] attaquaient les Juifs dans les rues d’Europe. Les Israéliens de l’État juif se déchaînent sur les réseaux sociaux, répandant une haine et un désir de vengeance d’une ampleur diabolique sans précédent. Des inconnus de l’État juif sur une base purement ethnique. Ce sont les enfants de la génération nationaliste et raciste – la descendance de Netanyahou.
Depuis cinq ans maintenant ils n’ont entendu qu’incitations, propos alarmistes et suprématie sur les Arabes de la part du véritable instructeur de cette génération, le premier ministre Benjamin Netanyahou. Pas un mot d’humanité, de compassion ou de traitement égal.
Ils ont grandi dans le contexte de la revendication provoquante de reconnaissance d’Israël comme « État juif » et ils ont tiré les conclusions qui s’imposent. Avant même la délimitation de ce que signifie « État juif » - sera-ce un État qui met les tefilin (phylactères), embrasse les mezouzot (des rouleaux de prières enfermés dans de petites boîtes métalliques ou en bois qui sont fixées aux chambranles des portes d’entrée), sanctifie des sortilèges, ferme le jour de Shabbath et observe strictement les lois de la cashrout – les masses ont compris.
La foule a d’emblée intériorisé la véritable signification : un État juif est un État dans lequel il n’y a place que pour les Juifs. Le sort des Africains est d’être envoyé au centre de détention de Holot dans le Néguev et celui des Palestiniens est d’endurer des pogromes.
C’est comme ça que ça marche dans un État juif : c’est à cette seule condition qu’il peut être juif. Dans l’État juif en cours de constitution, il n’y a même pas de place pour un Arabe qui fait de son mieux pour être un bon Arabe, comme l’écrivain Sayed Kashua. Dans un État juif, la présidente de l’Assemblée de la Knesset, Ruth Calderon (du parti Yesh Atid – inutile de préciser que c’est le « centre » de l’échiquier politique) coupe la parole au député arabe Ahmed Tibi (de la liste arabe unie Ta’al) à peine revenu, bouleversé, d’une visite à la famille de Shoafat, le jeune Arabe qui a été massacré, et le sermonne cyniquement sur le thème qu’il doit aussi faire référence aux trois jeunes Juifs massacrés (alors même qu’il venait de le faire).
Dans un État juif, la Cour Suprême autorise la démolition de la maison de la famille d’un homme suspecté de meurtre avant même qu’il ne soit condamné. Un État juif édicte des lois racistes et nationalistes. Les media d’un État juif se complaisent sur le meurtre de trois étudiants de yeshiva et ignorent presque complètement le sort de plusieurs jeunes Palestiniens du même âge qui ont été tués par des tirs de l’armée au cours des derniers mois, généralement sans raison.
Personne n’a été puni pour ces actes – dans l’État juif il y a une loi pour les Juifs et une loi pour les Arabes, dont les vies valent peu. Pas un soupçon de respect du droit international ni des conventions internationales. Dans l’État juif, il n’y a de compassion et d’humanité que pour les Juifs, des droits pour le seul Peuple Elu. L’État juif n’est que pour les Juifs.
La nouvelle génération qui grandit sous sa coupe est dangereuse à la fois pour elle-même et pour ce qui l’entoure. Netanyahou est son ministre de l’éducation ; les media militaristes et nationalistes font office de poème pédagogique ; le système d’éducation qui l’emmène à Auschwitz et à Hébron lui sert de guide.
Le sabra (natif d’Israël) d’aujourd’hui est une espèce nouvelle, piquante dehors comme dedans. Il n’a jamais rencontré son homologue palestinien mais il sait tout de lui – le sabra sait qu’il est un animal sauvage, qu’il a seulement l’intention de le tuer, qu’il est un monstre, un terroriste.
Il sait qu’Israël n’a pas de partenaire pour la paix, puisque c’est ce qu’il a ententu un nombre incalculable de fois de la part de Netanyahou, du ministre des Affaires étrangères Avigdor Lieberman et du ministre de l’Économie, Naftali Bennett. De la bouche de Yair Lapid il a entendu qu’il y a des « Zoabis » - en référence condescendante à la députée de la Knesset Haneen Zoabi (du parti Balad).
Etre de gauche ou désireux de justice dans l’État juif est considéré comme un délit, la société civile est tenue pour tricheuse, la vraie démocratie pour diabolique. Dans un État juif – dont rêvent non seulement la droite mais le supposé centre gauche incluant Tzipi Livni et Lapid – la démocratie est floue.
Le principal problème de l’État juif ce ne sont pas les skinheads mais les embobineurs moralisateurs, les voyous, l’extrême droite et les colons. Non pas les marginaux mais le courant principal qui est en partie nationaliste et en partie indifférent.
Dans l’État juif, il ne reste rien de l’injonction biblique selon laquelle il faut être juste avec la minorité ou avec l’étranger. Il n’y a plus de ces Juifs qui ont manifesté avec Martin Luther King ou fait de la prison avec Nelson Mandela. L’État juif, qu’Israël veut absolument faire reconnaître par les Palestiniens, doit d’abord se reconnaître lui-même. Au terme de la journée, après une semaine terrible, il semble qu’un État juif ce soit un État raciste, nationaliste, conçu uniquement pour les Juifs.
[1] Traduction du yiddish "goyim" (goy au singulier), nom donné aux non-juifs par les anciennes communautés juives d’Europe centrale"
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