Samedi après-midi, j’ai amené la famille voir la pièce 1984 au Théâtre Denise-Pelletier.
Le célébrissime roman de George Orwell a été adapté par les Britanniques Robert Icke et Duncan MacMillan. La mise en scène est d’Édith Patenaude.
Je ressens exactement ce que Richard Martineau exposait dimanche: je n’ai plus de temps à perdre avec le divertissement niaiseux, donc avec 95 % de ce qui circule.
À la sortie, les avis étaient partagés au sein de ma troupe. Personnellement, j’ai beaucoup aimé cette relecture audacieuse, mais respectueuse de l’œuvre originale.
Ceux parmi nous qui n’avaient pas lu le livre d’Orwell étaient parfois déroutés.
Il est hallucinant de voir comment nos sociétés sont devenues, à certains égards, encore plus orwelliennes que ce que cet homme avait anticipé.
On y est
Hanté par le stalinisme, Orwell imagine une société du futur dans laquelle la surveillance est totale.
Le passé est effacé ou réécrit. La réalité objective est abolie. Le vocabulaire est réduit pour accentuer l’obéissance. Il est criminel de penser librement.
À bien des égards, nous y sommes.
Nous ne sommes pas persécutés par un État violent, mais Edward Snowden a dévoilé que même des gouvernements démocratiques ont accès à tout ce que nous pensions privé.
La moindre transaction en ligne laisse une trace utilisée ensuite pour tenter de nous vendre des produits selon notre profil.
Chacun peut être filmé et dénoncé, à son insu par un inconnu avec son téléphone cellulaire.
La rectitude politique fleurit.
Big Brother, c’est l’État, mais c’est aussi nous.
Dans le roman, l’un des slogans du régime est: «L’ignorance, c’est la force.»
Voyez comment l’ignorance, jadis honteuse, s’affiche aujourd’hui fièrement, s’assume totalement, gonfle ses muscles, impose sa vulgarité dans les médias sociaux, dans le divertissement insignifiant, partout.
Loin de se répandre, la culture authentique et la sophistication sont perçues comme de la prétention et du snobisme. L’ignorance devient force parce qu’au lieu de se poser des questions difficiles on se réfugie dans des certitudes simplistes et on accepte d’être un rouage servile du système.
Esclaves
Dans 1984, O’Brien, l’apparatchik du régime, explique à l’infortuné Winston que la réalité objective n’existe pas.
Voyez tous ces gens qui forgent leur vision du monde dans des sites de fausses nouvelles ou de conspirations.
Ils y croient dur comme fer et n’essayez pas de les en dissuader. Pour eux, les «faits» que vous évoquez sont eux-mêmes des fabrications.
Le passé n’existe pas, dit aussi O’Brien, puisqu’il n’y a aucun endroit où il continue à vivre. Il peut donc être remanié à volonté, voire supprimé.
Voyez autour de nous l’ignorance abyssale de l’histoire. Quand on ne sait pas d’où on vient, c’est le vent du moment qui décide où vous irez.
Dans 1984, le régime appauvrit le vocabulaire pour réduire la pensée.
Voyez autour de nous: personne n’a voulu cela, mais comment certaines personnes pourraient-elles exprimer finement ce qu’elles ressentent avec un vocabulaire si pauvre?
On se croit libres, mais beaucoup vivent simplement une nouvelle forme d’esclavage.
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