Parfum de scandale à la FTQ

FTQ sous la loupe...



Le percutant reportage d'Alain Gravel et se ses collègues de l'émission Enquête, à Radio-Canada, a fait trembler une des institutions financières les plus remarquables du Québec: le Fonds de solidarité de la FTQ.
Le Fonds fête son 25e anniversaire cette année. Il présente une feuille de route impressionnante: un actif de 6,4 milliards, près de 600 000 actionnaires, des investissements dans quelque 2000 entreprises québécoises?; selon ses propres calculs, il a contribué au maintien ou à la création de 143 000 emplois au Québec. Derrière cette brillante façade, le reportage d'Enquête établit des liens troublants entre le Fonds et l'entrepreneur Tony Accurso, ainsi qu'entre la FTQ-Construction et le crime organisé.
Le Fonds s'est empressé de tout démentir, allant jusqu'à déposer une plainte à Julie Miville-Deschênes, ombudsman de Radio-Canada, en citant le caractère «partial, tendancieux, voire calomnieux» de l'émission.
Je prédis tout de suite que le Fonds devra présenter de sacrés bons arguments à l'ombudsman. J'ai connu Alain Gravel jeune journaliste, au début des années 80 à la salle de nouvelles de CKAC. Déjà, il impressionnait par sa rigueur intellectuelle et son sens élevé du professionnalisme, qualités qui ne se sont jamais démenties par la suite. On a affaire ici à un professionnel de très haut niveau et dont la crédibilité est solidement établie (si vous permettez une petite digression, chers lecteurs, l'occasion est bonne de rappeler à quel point la salle de nouvelles de CKAC, à l'époque, grouillait de jeunes journalistes bourrés de talent et promis à de brillantes carrières: c'est là que j'ai connu Pierre Bruneau, Pierre Cantin, Philippe Cantin, Jocelyne Cazin, Denis Ferland, Réjean Léveillée, Hélène Pelletier, André Pratte, Johanne Prince, Michel Viens, et j'espère que ceux que j'oublie me pardonneront).
Le président de la FTQ, Michel Arsenault, commence sa réaction officielle par une phrase grandiloquente: «Sans la FTQ et son leadership constant, écrit-il, rien de cette belle histoire économique que le Fonds de solidarité a créé n'aurait pu se réaliser.»
Il aurait de commencer la phrase par: «Sans les gouvernements de Québec et d'Ottawa...»
Le Fonds est en effet une créature des deux gouvernements. S'il a pu amasser autant de milliards, c'est parce que Québec et Ottawa ont chacun accordé aux investisseurs une déduction fiscale correspondant à 20% de la somme déposée. Cette somme a été réduite à 15% par la suite. Lorsque vous déposez 1000$ dans le Fonds, le gouvernement vous rembourse 300$. C'est un abri fiscal qui coûte 200 millions par année. En plus, vous pouvez verser votre contribution dans votre REÉR, ce qui rend le placement encore plus intéressant. Si les gouvernements se montrent aussi généreux, c'est parce que le Fonds est tenu d'investir une bonne partie de son actif dans du capital de risque, contribuant ainsi à créer de l'emploi.
Sans l'aide fiscale des gouvernements, à peu près personne n'investirait dans le Fonds, pour la bonne raison que ce n'est pas intrinsèquement un bon placement . Le prix de départ de l'action, en 1984, était de 10$?; elle a mis cinq ans à grimper à 12$. Dans les années 90, elle a connu une croissance régulière, passant même le cap des 20$ avant la fin de la décennie. Depuis ce temps, c'est la stagnation. En 1998, l'action du Fonds valait 21,72$?; aujourd'hui, 21,78$.
Donc 1000$ investis dans le Fonds en 1984 valent aujourd'hui 2178$. Comme rendement annuel moyen, cela donne à peine plus de 3%. À titre de comparaison, 1000$ investis en 1984 à la Bourse de Toronto valent aujourd'hui 4953$, et ce montant tient compte de l'effondrement boursier de l'automne 2008. En outre, les actions du Fonds n'ont aucune flexibilité: sauf en quelques circonstances exceptionnelles, votre dépôt est gelé jusqu'à votre retraite.
Malgré les protestations de la FTQ, les faits exposés par Alain Gravel sont assez troublants pour soulever plusieurs questions.
Le reportage rappelle notamment que le Fonds de solidarité n'est pas soumis à la Loi sur l'accès à l'information, ce qui est une aberration quand on sait que l'institution s'appuie essentiellement sur l'argent des contribuables.
Le Fonds n'a pratiquement aucune indépendance à l'égard de la FTQ: la centrale syndicale y contrôle la majorité des sièges au Conseil d'administration, lui-même présidé par le président de la centrale.
Mais le point fort des révélations de l'émission Enquête, ce sont évidemment les liens avec Tony Accurso et le crime organisé. Alain Gravel a eu la bonne idée d'aller voir Jean Cournoyer, qui était ministre du Travail lorsque la FTQ Construction (tous ceux qui ont vécu cette époque se souviennent de Dédé Desjardins, une des pires pommes pourries à avoir jamais infecté le mouvement syndical québécois) constituait déjà un foyer de violence, d'intimidation et de relations douteuses. Le gouvernement Bourassa, à l'époque, avait créé le Commission Cliche, de célèbre mémoire, pour enquêter sur la violence dans l'industrie de la construction.
Trente ans plus tard, M. Cournoyer suggère la tenue d'une nouvelle enquête publique. Le Fonds de la FTQ prétend, dans son communiqué de protestation, qu'il veut être «au-dessus de toute perception négative». Il vante sa «gouvernance moderne, efficace et représentative». Si tout cela est vrai, il n'a rien à craindre d'une enquête publique.


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