LAÏCITÉ

PL 21, Bilan

Les 6 jours d’audiences publiques, qui ont vu défiler 36 intervenants, individus et groupes, sont terminés.

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Chronique de Thérèse-Isabelle Saulnier

Les 6 jours d’audiences publiques, qui ont vu défiler 36 intervenants, individus et groupes, sont terminés. L’heure est au bilan et à la question de savoir ce qui sera présenté aux députés de l’Assemblée nationale, puis ce que sera le projet final adopté.


Au total, le site de l’Assemblée nationale a publié 95 mémoires, incluant ceux des intervenants devant la Commission (sauf celui de Fatima Houda-Pepin). Sur les 95, j’en ai lu 68. (Eh! oui!) 33 Pour et 34 Contre le projet de loi, et 1, celui de Nicholas Newman, difficile à situer. Quant à ceux qu’il me resterait à lire (27, qui sont tous contre le projet), pas la peine, j’y lirais ce que j’ai déjà lu et n’apprendrais sans doute rien de nouveau : tous les arguments sont sur la table. C’est donc dire qu’au total, sur les 95 Mémoires, il y en a  près du double Contre… - Étonnant, mais comme l’a mentionné  dans son Mémoire Gérard Lévesque (prof de philo retraité), «le poids d’une vérité ne se mesure pas au nombre de personnes qui adhèrent à une position», et il faut voir aussi qui fait partie des Pour et qui fait partie des Contre. Pour ces derniers, si on regroupe, par exemple, des Associations affiliées à un même ensemble (Commissions scolaires, associations musulmanes, juives, étudiantes, ligues de droits et libertés), le % serait différent.



Voici d’abord quelques remarques générales sur qui est pour et qui est contre. Dans une prochaine chronique, j’aborderai quelques sujets sur lesquels revenir et qui comportent certains arguments nouveaux.


Attention, toutefois, à ce qui suit. Comme l’a relevé le chroniqueur Steve-E Fortin, «tant chez nos concitoyens d’expression anglaise que chez ceux qui sont issus de l’immigration, il y a une part non négligeable d’appui à la laïcité. Ce qui fausse la donne c’est que l’on offre la parole, de manière quasi exclusive, à certains représentants de ces collectivités qui sont viscéralement contre la laïcité. Et on insinue que ceux-ci s’expriment au nom de l’ensemble.» Et bien justement, beaucoup de Mémoires contre le PL 21 viennent de ces collectivités-là, et elles ne se sont pas privées pour acheminer un Mémoire.


De plus, il faut tenir compte du fait que plusieurs associations ou groupements font partie d’une instance plus grande (ex: telle Fédération affiliée à une Centrale syndicale).



REMARQUES GÉNÉRALES SUR QUI EST POUR ET QUI EST CONTRE


1) Selon les Mémoires présentés, le milieu anglophone est unanime pour argumenter contre le PL 21. Il y a vraiment une rupture, une cassure entre le milieu anglophone et le milieu francophone, deux visions différentes et, somme toute, irréconciliables. (Bien que, évidemment, il y ait aussi beaucoup d’organismes francophones qui se prononcent contre le projet.)


2) La plupart des centrales syndicales sont contre, alors que pour le PL 60 du PQ et du PL 62 du PLQ, elles étaient favorables. (Virement de cap!) Cela peut se comprendre parce que leur rôle est de défendre leurs membres et que parmi ceux-ci, il y en a qui portent des signes religieux. (Mais pourquoi le changement de cap…) On ne sait pas combien de leurs membres sont concernés (secret bien gardé et sujet aussi bien dire tabou) mais on semble tenir à les défendre. Et peut-être que c’est ce qui explique le virement de cap : les personnes visées sont plus nombreuses en 2019 qu’en 2013 et même 2017 et ce, surtout dans le monde de l’enseignement.


3) En ce qui concerne le monde de l’enseignement, les Commissions scolaires (CSDM, Fédération des commissions scolaires du Québec,  Association des commissions scolaires anglophones du Québec, Association des directeurs généraux des commissions scolaires anglophones du Québec, Fédération québécoise des directions d'établissement d'enseignement, Commission scolaire English-Montréal, Commission scolaire de la Pointe-de-l'Île et Regroupement des collèges du Montréal métropolitain), elles sont pratiquement toutes contre, sauf la FQDE (Fédération québécoise des directions d'établissement d'enseignement), qui veut simplement que soit étendue l’interdiction à tous et de préciser «signe religieux».


(NOTE: Elles sont contre le projet de loi pour elles (profs et directions d’école). Elles ne disent rien sur les autres catégories de personnel visées.)


4) Au niveau des juristes (avocats, profs de Droit…), il n’y a pas unanimité. Les profs de Droit sont presque tous contre (mémoires individuels), sauf Patrick Taillon. Côté Pour, on retrouve les Juristes pour la laïcité de l’État, représentés par Julie Latour, et Christiane Pelchat (avocate et ex-présidente du CSF). Les avocats et notaires de l’État québécois (LANEQ), quant à eux, se déclarent neutres et proposent deux amendements selon deux cas de figure: ou on les inclut tous, ou on les exclut tous. Quant au Barreau du Québec, dans la suite de leur prise de position sur les projets de loi 60 et 62, ils ne se disent pas clairement contre, mais ont énormément de réticences, surtout en regard des jugements de la Cour suprême du Canada.


5) Le meilleur Mémoire que j’ai lu, contre le projet de loi, est celui de la CSDM: posé, positif, respectueux, aux arguments solides et convaincants et aux questions fort pertinentes. (À noter que ce sont des arguments que l’on trouve dans d’autres Mémoires, mais c’est ici qu’ils sont le mieux étayés.) Aucune attaque de qui que ce soit ni de jugements à l’emporte-pièce sur les défenseurs du PL 21.C’est le seul qui, au fond, devrait être retenu pour répondre à ces arguments et à ces questions. Si Josée Legault a été ébranlée par les arguments de Guy Rocher, moi je le suis par ceux de la CSDM!


6) Pour les meilleurs mémoires en faveur du projet de loi, je recommande la lecture de celui de Gérard Lévesque, un prof de philo retraité qui traite magistralement de la question de savoir si la liberté religieuse confère le droit de porter des signes religieux lors des services dispensés par l’État, et celui de Guy Durand, spécialisé en éthique sociale et politique, qui traite tout aussi magistralement des droits fondamentaux.


7) À propos de l’intervention de Gérard Bouchard, je me demande, une fois son Mémoire lu, s’il est vraiment à situer dans les Contre: il parle de difficultés soulevée par le projet tel qu’il est actuellement, et si on y répond, il y serait probablement favorable. (Et on a bien senti que l’homme est las et fatigué…)


8) Il y a des Mémoires vraiment spéciaux, en particulier celui de Nicholas Newman, professeur agrégé de clinique (chirurgie) à l’Université de Montréal. À ranger dans les Pour, ou dans les Contre? Humm… - Se basant sur «le fait scientifique» que la liberté et le libre arbitre n’existent pas (behaviorisme), pas plus que l’égalité des êtres humains, il en conclut que, comme le titre de son Mémoire l’indique, la neutralité est «une chimère» et que le projet de loi 21 est  «une fraude intellectuelle». L’État ne peut rester neutre, dit-il, en particulier «en regard de l’islam salafiste». Et parce qu’il ne peut rester neutre, le PL 21 est donc «une absurdité». Et c’est ainsi que se termine son mémoire, après quoi se trouve l’addenda suivant : «La question de l’empêchement des manifestations islamiques radicales dans la fonction publique est parfaitement légitime; à mon avis, rien n’interdit à l’État de prescrire des codes vestimentaires uniformes.» - Alors, monsieur? Pour ou contre le PL 21??


Un autre est celui d’un dénommé Robert W Talbot, l’un des derniers que j’ai lus. Je l’ai ouvert seulement pour identifier si c’était un Pour et un Contre, mais, au premier coup d’œil sur la première page, ça semblait vraiment un traitement rigolo de la question et j’en ai lu environ la moitié. Mais ça l’est devenu beaucoup moins par après, comme si le bonhomme déraillait. Je ne vous le recommande pas.  


 


* * *


 


Que fera Simon Jolin-Barrette de tous ces mémoires? S’il opère des modifications ou des amendements, quels seront-ils et dans quel sens iront-ils? Vers du plus ou du moins? Des atténuations ou des renforcements de la loi, comme ceux et celles qui proposent des ajouts pour plus de cohérence? - Il est à noter, à ce propos, que tous les Pour proposent des amendements pour ajouter des éléments, jamais pour en enlever. Certains vont plus loin que d’autres et à ce titre, c’est le MLQ (Mouvement laïque québécois) qui remporte la palme, mais Amitié Québec-Kabylie, une association fondée en février 2007 par Nora Hamdi, une Québécoise d'origine kabyle, grande militante de la laïcité, n’est pas en reste, au contraire : la Loi 21 doit s’appliquer à tous les élus et employés de l’État en position d’autorité, ce qui inclut également les professeurs d’écoles publiques et privées ainsi que les éducatrices qui exercent dans des garderies familiales, tous les élu-es et employé-es de l'Assemblée nationale, et les candidats et candidates qui prennent part aux campagnes électorales; pas de clause grand-père, créant deux classes d’employés; suggestion d’une «période courte, très courte, qui permettra à ces Québécois venus d’ailleurs de s'y conformer». «Si on accepte de vivre dans un pays, on devrait accepter ses lois et ajuster nos valeurs à celles de la majorité.»


 


Un point que le Gouvernement peut modifier me semble être sur la clause des droits acquis, point sur lequel ont insisté le SFPQ (Syndicat de la fonction publique et parapublique du Québec) et Pierre Bosset, et d’autres aussi, dont la CSDM : 1) elle crée deux classes d’employé-es; 2) elle oblige à rester immobilisé éternellement, jusqu’à la retraite ou la perte de l’emploi. Alors, de deux choses l’une: ou bien ils ont ce droit acquis à vie, ou bien on enlève cette clause pour la remplacer par un délai d’application de la loi (1 à 5 ans, peut-être), comme c’était le cas dans le PL 60 du PQ. Un autre point (mais là c’est moins sûr qu’il modifiera, mais il le devrait), c’est de couvrir l’ensemble des enseignants et enseignantes, des garderies à l’université, et ce, tant du secteur public que privé: ou la loi s‘applique à tous et toutes, ou à personne.


 


Voilà pour aujourd’hui. Ma prochaine chronique, qui ne devrait pas tarder, portera sur l’examen de quelques arguments majeurs. 


 



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