Projet de loi 21

Deux visions irréconciliables

Il va falloir trancher un jour ou l’autre, et le mieux serait peut-être de procéder par référendum, l’enjeu étant presque aussi fondamental que celui de l’indépendance. Et ce ne sera jamais plus clair, comme choix.

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Chronique de Thérèse-Isabelle Saulnier

Rien à faire, les jeux sont faits et les positions sont prises depuis plus de 10 ans, depuis la Commission Bouchard-Taylor, disons, cette vaste consultation qui a coûté des millions, en passant par celles sur la Charte du PQ (projet de loi 60), sur le projet de loi 62 du PLQ et, maintenant, sur projet de loi 21 de la CAQ.


Il y a deux façons de voir la société et elles sont irréconciliables. Comme l’a dit Gérard Bouchard, il s’agit d’ «options incompatibles qui s’affrontent». Michel David, éditorialiste du Devoir, parle de «deux camps solidement retranchés». (On ne changera pas d’idée, qui est faite depuis longtemps), et Joseph Facal demande : «M. Bouchard aurait-il l’amabilité de nous dire quel argument n’a pas encore été entendu, ou quelles sont les chances que l’un ou l’autre des partis qui devra se prononcer change d’avis ?


Emmanuelle Latraverse a écrit un article intitulé: «Le problème avec la laïcité, c’est qu’elle divise». Elle divise parce qu’elle «oppose deux visions de la société, deux visions du projet d’intégration, deux visions de l’équilibre des droits.


Il va falloir trancher un jour ou l’autre et le plus tôt sera le mieux, bien qu’on pourrait prolonger de quelques semaines ou mois, le temps de permettre à tous les groupes de s’exprimer ou, plutôt, de se réexprimer. Mais il faut s’attendre à entendre les mêmes arguments. Puis choisir, et c’est à se demander si, comme certaines personnes le suggèrent, mieux ne vaudrait pas prendre cette décision via un référendum, car il s’agit d’un choix fondamental pour la société, peut-être presque aussi important et fondamental que le choix ou non de l’indépendance. Comme l’a souligné Emmanuelle Latraverse dans l’article cité, «ici, la nation québécoise revendique haut et fort le droit de définir ses règles fondamentales à contre-courant du reste du Canada.» Ajoutons, pour précision: à contre-courant du Canada trudeauiste et anglo-saxon, grand défenseur du multiculturalisme intégral et sans concession, un Canada dit «post-national» où chaque «ethnie» forme une «communauté» - ce terme si cher à Justin et qui se répand comme la peste, sans même y regarder de plus près sur le sens de ce mot. Côté Québec, les défenseurs de la laïcité, une laïcité qui s’inscrit dans notre histoire, après le rapport Parent, la déconfessionnalisation des commissions scolaires, et plus largement la laïcisation, la sécularisation des institutions publiques et parapubliques, jusqu’à, phase finale ou quasi-finale, l’affirmation de la laïcité de l’État québécois, laquelle inclut, pour ses représentants et son personnel, la neutralité tant dans les faits que dans l’apparence.


Autres deux visions irréconciliables, c’est celle des chartistes inconditionnels se portant à la défense de tout droit individuel ne pouvant supporter aucune restriction, et les laïcistes qui mettent de l’avant à la fois les droits individuels (qui peuvent être restreints, limités) et les droits collectifs. À ce niveau, même le milieu juridique est divisé!


Pour reprendre le titre de l’article d’Emmanuelle Latraverse, «Le problème avec la laïcité, c’est qu’elle divise», on peut toujours lui demander : «Mais, Madame, quel projet de loi ne divise pas?» Surtout lorsqu’il s’agit d’un enjeu sociétal aussi fondamental!


L’actuel projet de loi 21 sur la laïcité, parce qu’incomplet, partiel, ne règlera pas tout, évidemment, et il faut sans doute s’attendre à ce que le sujet resurgisse dans 5 ou 10 ans (la société et les mentalités évoluent, lentement mais sûrement), mais «Un tien vaut mieux que deux tu l’auras» et satisfaisons-nous, pour le moment, du compromis que représente ce projet de loi, tel qu’il est présentement, quitte à l’amender un de ces jours en cas de besoin. Et quand on parle de compromis, cela implique les deux camps en présence. Mais le véritable problème n’est-il pas que l’un de ces deux camps ne veut rien concéder? À voir les manifs qu’il organise dans les rues de Montréal et les belles pancartes qu’il affiche, on peut dire que… poser la question, c’est y répondre!



RÉFÉRENCES


Gérard Bouchard : https://www.lapresse.ca/debats/votre-opinion/201904/04/01-5220941-signes-religieux-mises-au-point-de-gerard-bouchard.php?


Michel David : https://vigile.quebec/articles/le-psychodrame-du-baillon


Emmnuelle Latraverse : https://www.tvanouvelles.ca/2019/03/29/le-probleme-avec-la-laicite



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3 commentaires

  • Raymond Saint-Arnaud Répondre

    9 mai 2019

    2 Québécois sur 3 ont favorables au Projet de loi 21. Il est là le référendum, et il a été gagné.


  • Jacques Deschenes Répondre

    21 avril 2019

    Bonne analyse Mme Saulnier,


    Je constate moi aussi que le dialogue est rompu car nous avons affaire à des dogmatismes religieux avec lequel aucune négociation n'est possible.  Je dis souvent à la blague que lorsqu'une personne utilise le mot " Dieu" dans son argumentaire, le dialogue est rompu, Dieu ne pouvant jamais être contesté n'est-ce pas?


    Le commentaire de Mme Latraverse qui dit que la laïcité divise est une évidence même encore faut-il regarder les parties en cause. Ceux et celles qui défendent à tout vent la liberté individuelle sont , dans une très grande proportion, des rigoristes religieux avec une lourde tendance vers le militantisme politique. La voix des modérés religieux s'est fait attendre depuis Bouchard-Taylor mais aujourd'hui elle résonne haute et forte défendant un vivre ensemble citoyen sans le passage par le religieux. Les médias ne sont pas innocents dans cette division. La plupart d'entre eux tirent leurs revenus de la publicité et des cotes d'écoutes, ils ont vu une opportunité à amplifier le malaise en invitant des invités contreversés créant ainsi un " buzz " au lieu de favoriser l'échange. Les modérés ont eu beaucoup de difficultés à se faire entendre pour la même raison. C'est bien reconnu le modéré est moins flamboyant.Dans tous les cas une balise claire est la solution comme le propose PL 21 même , si aux yeux de certains. ne va pas assez loin.


    Nous entendons souvent le commentaire que ce projet de loi amènera une augmentation de la division voire même de la haine. Ma perception va tout a fait dans le sens contraire. Si la société sécularisée que nous sommes se voit défendue, elle sera moins exaspérée donc beaucoup plus calme. Si un doigt est inflammé à cause de la présence d'une écharde rien ne sert de lui mettre un diachylon pour guérir. La solution est d'enlever l'irritant, ce que fais PL 21


  • Michel Matte Répondre

    19 avril 2019

    Comme vous dîtes, «le véritable problème n’est-il pas que l’un de ces deux camps ne veut rien concéder?» Faut-il alors céder à l’intimidation orchestrée par le pouvoir fédéral qui instrumentalise les minorités au détriment de la majorité?


    Soumettre le projet de laïcité à un référendum n’est pas une solution. Ce serait nier les droits historiques de la majorité francophone et la légitimité des représentants élus.


    Comme l’explique Richard Gervais à propos de l’indépendance,



    À la base de ce triste et long gâchis, il y a donc selon moi l’espèce de religion socialo-démocratique dans laquelle nous baignons. En fait, la démocratie telle qu’on aime l’aimer n’est pas la démocratie réelle. De régime d’attribution du pouvoir, attribution à un nombre forcément restreint de personnes électoralement sélectionnées (sinon, ça ne s’appelle pas du pouvoir), la démocratie représentative devient, dans nos esprits de postmodernes en phase terminale de dépolitisation, une affaire largement onirique : un régime de disparition tendancielle du pouvoir par sa distribution impossible à tout un chacun. C’est la belle illusion citoyenne du pouvoir partagé par tous — et donc inexistant — à laquelle je viens de faire allusion et qui tend à décerveler politiquement tout le monde. Dans notre histoire récente, elle a réservé à nos élites nationales le rôle inoffensif de provinciaux humiliables à merci.



    La CAQ doit tenir bon parce qu’elle en a le mandat et que le peuple n’attend rien de moins.