[Notre ami l'Engagé->29819] nous a livré hier avec brio sa grille d'analyse pour expliquer la situation dans laquelle se trouve le Québec aujourd'hui et le défi auquel sont confrontés ceux qui continuent à croire à l'idée de l'indépendance et qui la voient comme un moyen de sortir du marasme collectif qui nous afflige.
Je viens vous suggérer d'ajouter une variable à cette grille : la responsabilité. Je crois pour ma part qu'elle se trouve à jeter un tout autre éclairage sur le débat, quelque soit l'angle sous lequel on l'aborde.
En cours de route, encore à l'étape de la modernité ou au tout début de la post-modernité, nous avons évacué la notion de responsabilité pour mettre uniquement l'accent sur les droits. Depuis l'Antiquité, la responsabilité était considérée comme un corollaire nécessaire de n'importe quel droit. L'un ne se concevait pas sans l'autre. Vous aviez des droits, donc vous aviez des obligations, des responsabilités.
Quelque part au cours du siècle précédent, un découplage s'est produit dans les mentalités. Il serait intéressant de situer exactement le moment où ce découplage s'est produit et d'en retracer précisément les origines. Ce qui est évident, c'est que tous les verrous semblent avoir sauté à peu près au même moment dans le courant des années 1950, et l'idée de la primauté des droits s'est imposée avec force, sans la moindre référence à une obligation et des responsabilités correspondantes.
Parallèlement, les gouvernements ont développé des programmes qui correspondaient assurément à des besoins réels, qu'on pense aux programmes universels de santé ou même d'assurance automobile, mais qui avaient pour effet de déresponsabiliser le citoyen. Plus les politiques et les programmes se suivaient, et plus se perdait la notion de responsabilité.
Ainsi, la libéralisation du crédit, une mesure essentiellement politique, a-t-elle eu pour effet de reporter dans le temps les contraintes de la consommation. Ainsi l'adoption de mesures libéralisant le régime de la faillite et de l'insolvabilité a-t-elle eu pour effet non seulement de déresponsabiliser les consommateurs, mais même de les déculpabiliser complètement. Mais non seulement les gouvernements ont-ils libéralisé le crédit des particuliers, ils ont également libéralisé le leur, sans ce soucier le moindrement des générations futures. Après nous, le déluge !
Depuis longtemps, la création des entreprises, ces fameuses personnes « morales » qui sont tout sauf ce qu'elles prétendent être, constitue un moyen de déresponsabiliser les gens qui se lancent en affaires sur le dos de quelqu'un d'autre (investisseurs, créanciers, clients, fournisseurs, collectivité, etc.). Le seul moyen pour elles de faire des profits est d'externaliser leurs coûts, un joli euphémisme qui signifie en fait trouver le moyen de les refiler à quelqu'un d'autre. L'exemple le plus récent : la titrisation des créances hypothécaires à risque (subprime mortgages). Voir à ce sujet l'excellente vidéo affichée sur Vigile aujourd'hui même http://www.dailymotion.com/video/x7...
En multipliant les protections de toutes sortes dans tous les domaines, y compris jusqu'à l'avortement sur demande, à la pilule et aux condoms, plus personne ne se sent responsable de rien. Je précise tout de suite que je ne suis pas nécessairement contre ces mesures, mais je constate seulement qu'elles ont eu un effet pervers dans la mesure où elles ont contribué à déresponsabiliser le citoyen.
Et avez-vous remarqué combien toutes les découvertes des cinquante dernières années dans les domaines de la médecine et de la psychologie ont eu pour effet de déresponsabiliser les personnes qui commettent des actes criminels, au point que les notions de bien et de mal gagnent en relativité tous les jours.
Cet effet se manifeste même dans le cas de l'indépendance, une responsabilité qui nous appartient pourtant à tous, mais que nous avons cru pouvoir faire assumer par le gouvernement.
Nos racines françaises, notre langue, notre culture, tout ce qui concourre à notre identité, constituent un patrimoine. Or la première chose qu'on apprend dans un cours de droit, c'est qu'un patrimoine est un ensemble de droits, mais aussi d'obligations et de responsabilités dont celles de l'entretenir, de le conserver et de le faire fructifier. L'histoire est pleine de leçons qui vont dans le même sens, et dans la parabole des talents, c'est ce que l'Évangile cherchait à nous faire comprendre.
C'est donc dire que la responsabilité est une valeur de civilisation. Dans notre cas, une civilisation vieille de plus de deux mille ans, que nous avons entrepris de liquider sans nous en apercevoir depuis cinquante ans. Pensez-y, un héritage de deux mille ans liquidé en cinquante ! Comme dit l'autre, « Faut l'faire ! »
Aujourd'hui, la planète est au bord du gouffre, les États-Unis sont au bord du gouffre, le dollar et l'euro sont au bord du gouffre, le Québec est au bord du gouffre, la langue française est au bord du gouffre, la famille est au bord du gouffre, l'éthique est au bord du gouffre, l'enseignement est au bord du gouffre, notre sécurité collective (quelque soit le paramètre utilisé) est au bord du gouffre...
Je ne vois pour ma part qu'une seule façon de nous en sortir, et elle n'est ni moderne, ni post-moderne. Elle serait même plutôt ancienne. C'est de mettre un certain temps la sourdine aux droits et de retrouver le sens des responsabilités. Vaste et exigeant programme avec lequel je peux être certain de ne pas gagner de concours de popularité ! Pourtant...
Auteur : Richard Le Hir
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
4 commentaires
@ Richard Le Hir Répondre
21 août 2010Réponse @ JP Tellier
M. Tellier
La notion de preuve hors de tout doute raisonnable s'applique exclusivement en droit criminel pour éviter de condamner quelqu'un qui pourrait être innocent.
Dans le contexte des faits de la vie, c'est le critère de la prépondérance des probabilités qui s'applique.
Par ailleurs, j'ai employé le mot "gouffre" pour faire image. C'est le contexte qui nous dit s'il est à prendre au sens littéral ou non. Je crois pour ma part que nous sommes plus proches du sens littéral que du sens figuré. Cela dit, je ne suis pas en train d'annoncer l'apocalypse.
Richard Le Hir
Archives de Vigile Répondre
21 août 2010L’idée de la primauté des droits s’est aussi imposée avec force dans les syndicats de la construction, sans la moindre référence à une obligation et des responsabilités correspondantes.
http://ygreck.typepad.com/.a/6a00d8341c5dd653ef0133f333028d970b-800wi
La aussi, les notions de bien et de mal gagnent en relativité tous les jours
.
Je ne crois pas que tout soit au bord du gouffre. Ce n’est ni moderne, ni post-moderne d’affirmer cela.Si oui,il faudrait le démontrer hors de tout doute raisonnable.
Archives de Vigile Répondre
19 août 2010M. Le Hir,
Je suis pleinement d'accord avec vous qu'en à la nécessité de reprendre à notre compte la notion de responsabilité.
Souvent, les gens responsables agissent avec pertinence et justesse tandis que les quêteux de droits attendent de voir les autres agir pour eux.
La reconnaissance de notre souveraineté sur le territoire du Québec se fera seulement par ceux qui agissent. Qui agissent au-travers ce qui nous appartient, comme M. René Lévesque l'a déjà mentionné: tous ce que les Québéçois ont, c'est l'État du Québec.
Patrice Beaudoin
Archives de Vigile Répondre
19 août 2010Monsieur Le Hire,
D’après les exemples que vous citez, dans votre entrée en matière, en notre système capitaliste, le citoyen, le seul vrai, celui des classes pauvres et moyennes, semble déresponsabilisé, en tout ou en partie, mais tout compte fait, l’est-il vraiment ? Il assume, là où la facture fait vraiment mal, une responsabilité pour des coûts qui ne lui incombent pas vraiment.
Est-ce que ce ne sont pas les riches, les puissants, le capital, qui ont le moins à assumer leurs responsabilités en ce système capitaliste ?
Je pense ici aux banques des États-Unis, mais aussi de tout l’Occident, sauvées de la faillite dans l’affaire des « subprimes », à la suite des mauvais choix, des mauvaises décisions, de leurs dirigeants. Est-ce qu’en fin de compte, ce ne sont pas les citoyens-consommateurs des classes pauvre et moyenne, auxquels le capital, en augmentant les prix, et les gouvernements au service de ce même capital, en pigeant dans les coffres de l'État, qui se sont fait refiler la facture du déficit des banques, assumant ainsi la responsabilité du manque de jugement de ces capitalistes ?
Vous voyez clair, je l’ai constaté à la lecture de votre excellent texte : Le capitalisme en capilotade... Or, les capitalistes et leurs gouvernements cherchent à nous culpabiliser pour les moindres gestes visant à nous donner des outils collectifs qui nous mettent à l’abri des requins du capital, comme les programmes universels de santé ou même d’assurance automobile. La responsabilité, vous en conviendrez, devrait appartenir à tous, à commencer par les riches, les puissants ; mais est-ce faisable en notre système capitaliste ?
Vous parlez de L’Évangile, et de 2000 ans de civilisation. Je suppose que vous faites allusion à l’ère chrétienne. L’ère chrétienne, quant à moi, c’est le Moyen Âge. Tout progrès de la pensée, s’est fait malgré, à l’encontre, de l’Église chrétienne.
Mais l’essentiel de votre propos portait sur notre responsabilité envers la cause indépendantiste. Lorsque vous dites : « … même dans le cas de l’indépendance, une responsabilité qui nous appartient pourtant à tous, mais que nous avons cru pouvoir faire assumer par le gouvernement. » …je crois comprendre, qu’il y a beaucoup de travail à faire pour les indépendantistes dans le milieu politique, de la culture, etc..
Je ne voudrais pas, je le répète pour ceux qui me connaissent, que tout ce travail indépendantiste, soit récupéré par les opportunistes de la politique qui s’en serviraient pour nous conduire à une souveraineté-partenariat.
En somme, tout ce que vous dites ne sera applicable qu’à partir du moment où entrera en scène un premier, et puissant parti, voué à conduire le Québec vers son indépendance totale.
Michel Rolland