Le 14 décembre 2000, l'Assemblée nationale du Québec exécutait brutalement Yves Michaud pour délit d'opinion. Les stratèges s'assuraient ainsi qu'il ne reviendrait pas au Parlement et que Lucien Bouchard, fort inconfortable dans son rôle de sauveur du PQ, éviterait de ce fait l'embarras de devoir compter avec un politicien opportuniste dont il suspectait la délité politique. Transfuge de trois partis, celui qui était alors premier ministre, sachant bien ce qu'il en coûte d'accommodements pour se refaire une crédibilité, éprouvait au vu des états de services et des avatars de l'ex-député de Gouin, des doutes sur la fiabilité d'un homme avec lequel il avait pourtant partagé pendant des années ses convictions de « bon libéral ». On cherchait donc le moyen d'écarter le gêneur qui s'offrait comme « compagnon de route ». ON n'eut pas à trop attendre l'occasion. Michaud venait de commettre le crime inexpiable, soit : d'avoir dit tout haut que les Juifs ont la fâcheuse habitude d'exploiter à leur seul profit le capital de sympathie engendré par l'Holocauste, et de faire peu de cas de celui des millions d'autres humains victimes du nazisme et du communisme. Or, il s'entend que si le génocide qu'a entraîné l'application de la « solution finale » est un fait historique d'une signification particulière, l'horreur de cette tragédie ne doit pas occulter le drame des non-juifs qui, au même temps, ont payé de leur vie leur opposition aux tyrans.
Les exigences de la « rectitude politique » allait cependant donner une dimension imprévue à des propos somme toute acceptables, au reste conformes à l'opinion courante de bon nombre de gens qui, s'ils ne la proclament pas, n'en pensent pas moins. Michaud ayant eu le courage ou l'imprudence de dévoiler sa pensée, il n'en fallait pas davantage pour que l'hypocrisie sociale en fît un bouc émissaire. Et les représentants des trois partis politiques s'unirent pour dévouer le maladroit. Ce qui n'était en vérité qu'une remarque incidente dans un texte, devint presque un cas d'indignité nationale. Inspirée par les plus nobles principes et les sentiments convenus, la sanction tomba. Le condamné ne s'en remet pas. Et pour cause, car il s'agit d'un acte officiel d'une totale injustice et dont on voit bien à l'examen qu'il procède simplement d'un réflexe clientéliste et, pour mieux dire, d'un souci grossièrement électoraliste. L'odieux de l'affaire, c'est que - et Yves Michaud a toutes les raisons de s'en plaindre - on a agi ex parte, au mépris du droit, alors qu'il était élémentaire qu'on lui fournit l'occasion de s'expliquer, ou, le cas échéant, de s'excuser. Pressés de lui « faire son affaire », les députés n'ont pas réfléchi; sans savoir qu'ils prenaient part à un vulgaire règlement de compte, ils l'ont allègrement mis au ban.
Ce qui étonne, c'est que des intimes, notamment ceux de ses meilleurs amis du PQ, n'aient pas pris conscience de ce que la motion unanime de blâme a d'exorbitant. Ceux qui connaissent Yves Michaud, qui ont fréquenté avec lui le milieu politique savent pourtant qu'il n'a rien de l'antisémite. Bourgeois, gauchiste de circonstance, sa conduite publique, à part des extravagances, certaines vilenies et une prétention bien excusables chez un bretteur de son tempérament, est dans l'ensemble respectable et mérite la considération de ses compatriotes. Pourquoi alors lui interdire de se justifier, si tant est qu'il avait à le faire ? Il faudrait pour cela que ses juges reconnaissent qu'ils ont erré, que la mesquinerie partisane les a aveuglés et que des intérêts occultes ont en l'espèce pesé davantage que des mobiles en tout point honorables. Il est, certes humiliant de se désavouer. Mais, puisqu'il y va de la justice, il s'impose que les exécuteurs de cette basse œuvre mettent autant d'empressement à se démentir qu'ils en ont mis à jouer le jeu des bons sentiments.
L'affaire Michaud n'est pas, tant s'en faut, l'Affaire Dreyfus. Elle a pris quand même suffisamment d'importance pour qu'on s'applique honnêtement à la réduire à sa plus simple expression, dût-on pour cela casser carrément un jugement hâtif et disproportionné. M. Yves Michaud est ulcéré; bien d'autres le seraient à moins. Il tarde qu'on en finisse avec ce règlement de compte qui n'est pas à l'honneur de l'Assemblée nationale.
Jean-Noël Tremblay, C.M.
_ Ex-député de Chicoutimi et ministre des Affaires culturelles
Pour en finir avec un règlement de compte
Par Jean-Noël Tremblay
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé