Comme [Jean-Robert Sansfaçon le soulignait très justement dans son éditorial publié dans Le Devoir de samedi,->8006] la pertinence énergétique du projet Rabaska pour le Québec n'a jamais été établie, ni par le promoteur, ni par le BAPE, ni d'ailleurs par le ministère des Ressources naturelles du Québec.
Les promoteurs ont constamment claironné le contraire devant le BAPE, prétendant que Rabaska «augmenterait la sécurité énergétique des approvisionnements gaziers et provoquerait une baisse des prix du gaz» au Québec. Or aucun de ces énoncés ne résiste à une analyse le moindrement sérieuse.
Le gaz naturel, source de croissance
Comme le promoteur en fait lui-même état, la principale source de croissance des ventes de gaz en Amérique du Nord proviendra de la production d'électricité à partir du gaz naturel. Cet usage est même désigné comme étant aussi la principale source de croissance de la demande gazière au Québec (la centrale de TransCanada Énergie à Bécancour, maintenant en activité). Sauf que l'expérience désastreuse, tant pour Hydro-Québec que pour le gouvernement, du projet de centrale thermique du Suroît a, selon nous, scellé le sort de la production thermique fossile au Québec. Le promoteur a d'ailleurs reconnu au cours des récentes audiences du BAPE qu'il n'y aurait aucune augmentation de la demande gazière au Québec pour la production d'électricité.
On imagine mal, en effet, le gouvernement québécois ou sa filiale, Hydro-Québec, renier leur engagement «vert» respectif, le premier se voulant le champion canadien des énergies renouvelables et de la réduction des gaz à effet de serre alors qu'Hydro-Québec a fait «le choix clair de la filière verte». Le plus récent plan de développement d'Hydro-Québec et la dernière politique énergétique pour le Québec ne font de place qu'à la production hydraulique et éolienne ainsi que, de façon fort appropriée, aux économies d'énergie. Il n'est donc pas réaliste de croire que le gaz naturel puisse croître, si tel devait être le cas, par un autre moyen que par une substitution entre les deux formes d'énergie.
Là encore, les promoteurs de Rabaska ne font pas preuve d'une plus grande clairvoyance.
Le coût des équipements
Dans le secteur tertiaire, le gaz naturel détient déjà 60 % du marché de la chauffe, et ce, malgré le fait que le gaz n'est pas disponible sur l'ensemble du territoire du Québec. Ce n'est donc pas là que les gains potentiels se situeraient mais plutôt dans la chauffe résidentielle, où le gaz ne compte que pour 10 %. Or la pénétration du marché des systèmes de chauffage dépend tout autant du coût des équipements que de celui de l'énergie. Tous les analystes, à l'exclusion de ceux de Rabaska, prévoient donc que les systèmes à l'électricité augmenteront légèrement leur part du marché sur l'horizon 2016.
La croissance de la demande au Québec ne justifie pas de doubler (voire de tripler si on prend en compte le projet Énergie Cacouna) l'approvisionnement gazier au Québec puisque, selon toute vraisemblance, cette croissance sera négative.
Comment le promoteur de Rabaska peut-il imaginer un soudain revirement de cette tendance en faveur du gaz naturel et une conversion massive des systèmes électriques actuels au profit de cette forme d'énergie? Cette fois-ci, l'inexactitude tient presque de la mauvaise foi. Même si un renversement significatif du rapport de prix en faveur du gaz (ce qui est par ailleurs imprévisible) pouvait amener les consommateurs à envisager de changer de système de chauffage, une lourde barrière au changement existera toujours. 60 % du parc des logements est équipé de plinthes chauffantes tandis que le coût d'installation d'un système alternatif peut être considérable, et encore faut-il que cela soit techniquement faisable.
Miroir aux alouettes
Vient ensuite le prétendu «effet positif sur la pointe d'Hydro-Québec» évoqué dans la récente politique énergétique du Québec et repris à son compte par le promoteur de Rabaska. Il s'agit cette fois-ci d'un véritable miroir aux alouettes. Pour avoir un effet sur la demande en période de pointe, il faudrait débrancher des charges lors des périodes critiques, et cela ne peut se faire qu'au moyen d'un stockage local d'énergie (mazout ou bois, par exemple), ce qui, est-il besoin de le préciser, n'est le cas ni du gaz naturel ni de l'électricité. C'est d'ailleurs ce qui justifie les programmes d'énergie interruptible ou de biénergie offerts par les distributeurs. Bref, cette «solution miraculeuse» n'aurait pour effet que de transférer les problèmes de pointe d'un réseau à un autre.
Dans le secteur de la chauffe résidentielle, le gaz naturel n'est pas un complément à l'électricité mais un concurrent. Sur le plan énergétique, ils sont de même nature, ce qui n'est évidemment pas le cas sur le plan environnemental. On ne peut donc pas substituer le gaz naturel à l'électricité pour supposément dégager des kW pour d'autres types d'usages. Et on peut encore moins substituer une «bonne énergie» par une «moins bonne» au prétexte que cela nous permettra de vendre la première au plus offrant. Cela irait à l'encontre non seulement des principes mêmes de la politique énergétique québécoise mais également du simple bon sens.
La bonne énergie se trouve donc au bon endroit, ce qui ne signifie pas qu'on ne doive pas chercher à l'utiliser d'une façon plus rationnelle et ne pas la traiter comme une denrée précieuse. Tous les moyens d'économiser l'électricité doivent être encouragés, comme on se doit de promouvoir les systèmes de chauffage biénergie ou, mieux encore, les systèmes de chauffage géothermiques. L'électricité ainsi libérée peut alors être exportée sans enfreindre aucun des principes que s'est donnés le Québec dans sa politique énergétique et dans son plan d'action contre les changements climatiques.
Baisse de la demande
En résumé, donc, si on ajoute à ce qui précède l'impact grandissant des mesures d'économie d'énergie auxquelles on devra recourir, de bon gré ou de mauvais gré, il y a tout lieu de prévoir, au cours des prochaines années, une baisse durable de la demande gazière au Québec.
Pour ce qui est de l'effet sur le prix du gaz, la décision du BAPE est aussi cinglante: «La commission est d'avis que l'approvisionnement accru de gaz naturel par l'entremise du gaz naturel liquéfié au Québec ferait vraisemblablement baisser de façon modeste le prix du gaz naturel non seulement au Québec mais dans l'ensemble de l'Amérique du Nord à cause de l'intégration des marchés.» Si on exclut tout éventuel effet positif d'un approvisionnement en provenance du Mackenzie et si le projet Rabaska ne devait pas se réaliser, le gaz naturel pourrait coûter à peine quelques sous de plus par millier de pieds cubes. Dans un tel scénario, si tant est que ce besoin existait, il en coûterait à peine 2,4 % de plus pour importer ledit gaz d'un terminal méthanier situé dans le golfe du Mexique et 5,4 % de plus en l'absence de tout autre terminal méthanier.
Le signal des prix
Devant une telle éventualité, nous croyons même qu'il y aurait lieu de se réjouir d'une telle hausse puisque cela ajouterait aux efforts du Québec pour économiser l'énergie et contribuer à la lutte contre les changements climatiques. On nous répète à l'envi que le signal de prix est la meilleure façon de provoquer des changements dans les habitudes des consommateurs d'énergie, alors pourquoi s'en priver?
Au Québec, seul le secteur industriel utilise le pétrole, susceptible d'être remplacée par du gaz naturel, ce qui ne représente au grand total que 11 % de la consommation de pétrole de la province, soit l'équivalent de 60 milliards de pieds cubes. En quoi et surtout pourquoi a-t-on besoin d'importer près de 200 milliards de pieds cubes de gaz pour remplacer une fraction de ces 60 milliards de pieds cubes puisque, en plus, le gaz n'est pas disponible partout (Bas-Saint-Laurent, Gaspésie, Côte-Nord)? Et encore faut-il que le prix soit intéressant pour inciter les industriels à délaisser le pétrole, ce qui n'a pas été le cas dernièrement et ne semble pas devoir être le cas au cours des prochaines années.
Nous devons donc en conclure que le projet Rabaska ne répond à aucun impératif énergétique puisque, contre toute logique, il nous faudrait accroître la consommation de gaz au Québec pour en justifier l'approvisionnement.
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Denis L'Homme, Pierre Lavallée, Les auteurs ont respectivement été directeur général des énergies conventionnelles de 1979 à 1985 et sous-ministre associé à l'énergie au ministère des Ressources naturelles de 1992 à 1995, et directeur à la Direction des hydrocarbures (gaz et pétrole) et directeur de la sécurité des équipements pétroliers au ministère des Ressources naturelles de 1982 à 2001.
Projet Rabaska: aucune pertinence énergétique pour le Québec
Il nous faudrait accroître la consommation de gaz au Québec pour en justifier l'approvisionnement
Rabaska
Pierre Lavallée2 articles
Directeur de la direction des Hydrocarbures et Directeur de la sécurité des équipements pétroliers au ministère des Ressources naturelles de 1982 à 2001
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