Vendredi, le parlement catalan approuvait la Déclaration unilatérale d'indépendance. Dans la foulée, le Sénat espagnol annonçait la destitution de son président Carles Puigdemont ainsi que ses 13 ministres, dissolvait ce même parlement et annonçait la convocation d'élections anticipées au 21 décembre. Une accumulation d'événements majeurs, échelonnés sur cinq heures à peine. La journée de samedi s'annonçait riche en rebondissements.
Mais, alors que l'on ignore encore tout du processus qui devrait amener la Catalogne à s'émanciper, le drapeau espagnol flotte toujours au-dessus du Palau de la Generalitat. C'est depuis le siège de l'exécutif catalan que Carles Puigdemont aurait dû prononcer son premier discours en tant que chef d'Etat catalan.
Il était en tout cas attendu par des dizaines de caméras et des centaines de journalistes du monde entier qui s'étaient amassés sur la Place Sant Jaume. Il l'était probablement aussi par les six fourgons de la police nationale qui stationnaient non-loin. Tous sont repartis déçus, sous les regards interloqués des touristes qui profitaient de l'automne catalan.
Samedi, c'est en président traqué qu'est apparu Carles Puigdemont. Sur un message pré-enregistré depuis Gérone – son ancien fief électoral à quelque 100 kilomètres de Barcelone où il continue à résider – il n'a donné aucune indication sur la marche à suivre, mais a consacré une partie de son discours à nier la légitimité des mesures prises par le Sénat espagnol. Il devrait être poursuivi non plus seulement pour «trahison» mais désormais aussi pour «usurpation de fonctions». Tout comme les membres de son équipe, s'ils n'acceptent pas leur destitution.
Madrid tisse la mise sous tutelle
A Madrid, la mise sous tutelle continue de tisser sa toile juridique alors que la Catalogne passe «officiellement» sous la direction de la vice-présidente espagnole, la combative Soraya Sáenz de Santamaría.
Parmi les priorités du gouvernement central: la prise en main des «Mossos» catalans. Les deux chefs de la police locale ont été démis de leurs fonctions. L'un d'eux, Josep Lluís Trapero – sous le coup d'une enquête pour «sédition» pour avoir omis d'envoyer des secours à des membres de la Guardia Civil acculés dans un bâtiment qu'ils étaient en train de perquisitionner – a déjà accepté sa destitution. Le remplacement sera assuré par son adjoint.
Le drapeau catalan, c'est l'autre
Dans un éditorial particulièrement virulent, l'influent quotidien espagnol El País qualifiait samedi cette insurrection institutionnelle de «plus déstabilisante» que le coup d'Etat de 1981 ou le terrorisme. Le journal conservateur ABC y va, lui, d'un: «L’Espagne décapite le coup d’Etat”, avec un drapeau espagnol en toile de fond. Voilà pour la rhétorique.
Sur le terrain, le calme des rues de Barcelone tranche avec les «unes» martiales de la presse espagnole. Dans un coin de la Place Sant Jaume, un groupe de touristes anglophones profite du départ de quelques caméras pour se positionner autour de son guide. On commence par les bases: «Vous voyez au sommet du bâtiment: ça c'est le drapeau catalan.» «Celui-là?» «Non, non. Ça c'est l'espagnol. Le drapeau catalan c'est celui qui a quatre bandes.» Les choses ont repris leur cours à Barcelone.
L’histoire retiendra-t-elle ce vendredi 27 octobre 2017 comme la naissance d’une nouvelle république? Ou, dans quelques années, le vote du parlement catalan se sera-t-il dissipé, comme on se réveille d’un mauvais rêve? Après tout, le 15 septembre 1996, le leader de la Ligue du nord Umberto Bossi avait déclaré l’indépendance de la Padanie sans que la face de l’Italie en soit changée. Mais douze ans plus tard, un 17 février, le parlement du Kosovo jetait les bases d’un nouvel Etat, aujourd’hui reconnu par la moitié de la planète.
Nul ne sait quel sera le destin de la Catalogne indépendante. Mais on est pris de vertige. L’Espagne est désormais menacée de dislocation, moins dans les faits que dans les esprits. C’est bien là le plus préoccupant. En effet, la déclaration d’indépendance n’a aucune autre valeur que la force du symbole. Alors que les élus catalans n’avaient pas fini de s’autocongratuler, le parlement espagnol approuvait la mise sous tutelle de la région rebelle.
Ce n’est pas la moindre des absurdités: la Catalogne s’est déclarée indépendante quelques heures avant de perdre sa large autonomie. Si la sécession menace, c’est surtout dans les têtes. Depuis le référendum du 1er octobre et le choc des intransigeances, le fossé s’est encore creusé entre Madrid et Barcelone mais aussi parmi les Catalans eux-mêmes. Le vote de vendredi l’a démontré jusqu’à la caricature. Une écrasante majorité en faveur de l’indépendance dans un hémicycle à moitié vide, l’opposition ayant quitté la salle. Comme un miroir de la faible participation au référendum.
Sans parler de légalité, inexistante, le «processus», comme disent les indépendantistes, manque de légitimité, tant la société catalane est divisée. Après des semaines d’atermoiements, le président Carles Puigdemont et ses alliés ont choisi la fuite en avant. Sans doute espèrent-ils accroître et resserrer les rangs indépendantistes.
Malheureusement, le gouvernement de Mariano Rajoy ne leur a jamais laissé une porte de sortie honorable.
Il a lui aussi une écrasante responsabilité dans cette situation d’impasse. Dès ce samedi, policiers et fonctionnaires espagnols vont concrètement reprendre en main les institutions catalanes, une mesure jamais appliquée depuis la fin du franquisme. Le gouvernement va devoir agir avec la plus grande prudence. Il en avait singulièrement manqué en tentant vainement d’empêcher le référendum au prix de centaines de blessés. Sinon, la cause catalane aura ses martyrs. Et d’autres démons se réveilleront, ceux de la guerre civile.