Quand il ne reste plus que le «hi» du «bonjour/hi»

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Le Nouveau-Brunswick est-il l'avenir du Québec ?

Une semaine après l’adoption d’une motion unanime à l’Assemblée nationale condamnant le «bonjour/hi», la controversée formule de bienvenue reste de mise au centre-ville de Montréal.  


«Je n’ai pas l’intention de changer ça. Avec le bonjour/hi, on peut tout de suite savoir quelle langue le client parle. Ce n’est pas seulement pour les anglophones. L’été, il y a plein de touristes qui ne comprennent pas un mot de français. Si on leur dit juste bonjour, il va falloir répéter. Le bonjour/hi nous permet de sauver du temps», lance Karl entre deux clients qui viennent lui demander quel bâton de hockey est le meilleur.


«Du temps», Karl, lui, n’en a pas beaucoup aujourd’hui. En cette première semaine de décembre, la rue Sainte-Catherine est bondée de gens, qui parlent autant français qu’anglais. «Qu’est-ce que tu veux? On n’est pas à Chibougamau! On est au centre-ville de Montréal. Ici, il faut parler les deux langues», s’insurge le vendeur d’une autre boutique, roulant des yeux tellement il trouve futile la motion adoptée à l’Assemblée nationale.



Un faux problème?


Milad, son gérant, prend toutefois au sérieux le message que le Parlement envoie aux commerçants. «J’ai rencontré mes employés pour leur dire d’accueillir les clients seulement en français maintenant», jure-t-il pendant que l’album de Noël de Mariah Carey joue en boucle dans la boutique.



«Baby please come home please», lance la diva dans le haut-parleur. Mais Milad, lui, n’a jamais eu à en faire autant pour retenir un client choqué qu’on le reçoive dans le magasin dans les deux langues. «Jamais, jamais, un client ne s’est plaint, insiste-t-il. Ça n’a jamais été un problème. Je ne comprends pas vraiment le gouvernement.»


Si interpeller les clients dans les deux langues est «un problème» aux yeux des élus québécois, que dire de tous ces commerçants dont le regard devient complètement livide lorsqu’on leur dit plus que trois mots en français. Qu’attend le gouvernement pour agir?


Le vrai problème?


C’est ce que se demande Richard qui dirige un petit magasin de meubles à l’autre bout de la ville. «Nous les Québécois, il ne faut pas avoir peur de s’assumer. Sinon, on ne sera plus chez nous tantôt», avance-t-il, inquiet, pendant qu’il ouvre les portes de sa boutique.




À la Plaza Côte-des-Neiges où Richard travaille, on entend beaucoup plus de gens parler en mandarin, en arabe ou en filipino qu’en français. «Souvent, il y a des clients qui ne parlent ni anglais ni français. Les immigrants sont complètement mêlés quand ils arrivent ici. Ils sont laissés à eux-mêmes. Ils fuient la guerre et la misère. Apprendre le français, ils s’en foutent complètement.»


Richard se lance alors dans un vibrant plaidoyer pour sauver le fait français au Québec. Puis, un autre commerçant l’interrompt pour venir le saluer. «Hi, how are you...», répondra-t-il naturellement à son ami d’origine indienne.


«Tu ne parles pas français, Richard?», lui demande-t-on. «Bof... Moi, ça fait longtemps que j’ai abandonné», rétorque-t-il en haussant les épaules avant de retourner vaquer à ses occupations.


De la dizaine de commerçants de la Plaza Côte-des-Neiges à qui nous avons parlé, Richard est le seul qui est capable de soutenir une conversation dans la langue de Félix Leclerc.


Apprendre le français en travaillant 


Manuela, elle, baragouine quand même un peu le français. Lors de son arrivée au Québec, elle a suivi quelques leçons, mais a depuis abandonné pour pouvoir travailler à temps plein. «De toute façon, ici à la Plaza Côte-des-Neiges, on n’a pas vraiment la chance de pratiquer» fait-elle remarquer dans un anglais teinté d’un léger accent hispanique.


Ni Manuel ni Rachel, sa collègue, n’ont entendu parler de la motion adoptée à l’Assemblée nationale.


Rachel n’en demeure pas moins consciente qu’apprendre le français est nécessaire au Québec. «Je sais que je vais devoir apprendre le français si je veux rester ici. Mes enfants le parlent déjà parfaitement, mais moi, je manque de temps. Je dois travailler pour faire vivre ma famille. Je suis actuellement un cours à distance, mais c’est vrai que ce ne sont pas tous les réfugiés comme moi qui prennent la francisation au sérieux», reconnaît celle qui enseignait l’anglais en Syrie derrière le comptoir de la petite boutique de jeans où elle travaille depuis son arrivée, il y a deux ans.





Vivre au Québec sans parler français


«We don’t have time. We need to work», c’est aussi l’excuse de Sutha, qui n’a jamais cru bon d’apprendre la langue officielle de la ville qu’elle habite depuis 1993. Avec sa famille, elle gère une boutique de robes traditionnelles indiennes. «En travaillant ici, on reste avec notre communauté. On n’a pas besoin d’apprendre le français. L’anglais, ça suffit», explique son cousin, visiblement un peu gêné de répondre à nos questions.




Selon le récent rapport de la vérificatrice générale, à peine un tiers des nouveaux arrivants s’inscrit au cours de français offert gratuitement par le ministère de l’Immigration.