Que reste-t-il de Duplessis?

Maurice Duplessis

Maurice Duplessis lors d'une envolée oratoire. Photo: Archives La Presse

Daniel Lemay - Le 7 septembre marquera le 50e anniversaire de la mort de Maurice Duplessis. Ce monstre politique ne vivait que pour le pouvoir, qu'il a exercé sans partage sur le Québec de l'après-guerre. Pour les supporters de l'Union nationale, qui l'ont élu premier ministre six fois, il était le «Cheuf» incontesté; pour ses adversaires, il est toujours resté l'obscurantiste de la Grande Noirceur. Aujourd'hui, qu'en reste-t-il?

De ses 32 ans comme député de Trois-Rivières, Maurice Le Noblet Duplessis en a passé 18 comme premier ministre de la province du Québec, un record de longévité politique.Cinquante ans après sa mort toutefois, peu de choses dans son ancien fief évoquent le souvenir du chef de l'Union nationale qui, pendant les 15 ans qui ont suivi la Deuxième Guerre mondiale, a totalement dominé la scène politique québécoise. Pour le meilleur et pour le pire... Ne se disait-il pas, d'ailleurs, «marié à la politique», lui, le tombeur qui n'a jamais pris femme.

Reste d'abord le pont Duplessis, «solide comme l'Union nationale» et officiellement nommé en l'honneur de son père Nérée, qui relie Trois-Rivières au Cap-de-la-Madeleine sur le Chemin du Roy, enjambant le Saint-Maurice à son spectaculaire confluent avec le Saint-Laurent. En 1951, trois ans après son inauguration, une partie du pont s'est effondrée, causant la mort de huit personnes. Plusieurs unionistes, à l'instar de Maurice Bellemare, en avaient vite accusé les «communistes», ennemis aux sombres desseins ravivés par la Guerre froide et que Duplessis combattait depuis 1937 alors qu'il avait fait voter sa fameuse (ou infâme) «loi du cadenas». D'anticommuniste, il deviendra vite, dans l'esprit de plusieurs, antisyndicaliste...

Au centre-ville de Trois-Rivières, non loin du magnifique quadrilatère institutionnel de la «cité de Laviolette», s'élève une statue de Duplessis avec, en arrière-plan, le fleurdelisé dont il avait fait le drapeau officiel du Québec en 1948, au grand plaisir des milieux nationalistes (le Parlement fédéral, de son côté, ne remplacera le Red Ensign britannique par l'unifolié qu'en 1965). Au bas de la statue, gravé dans la pierre, le credo politique de Duplessis: «La coopération toujours?; l'assimilation, jamais».

À l'angle des rues Hart et Laviolette, en face du palais de justice où lui et son père ont tant plaidé, une plaque a été posée là où s'élevait la maison paternelle: «Son règne a été marqué par de multiples controverses, par l'affirmation de l'autonomie provinciale et par d'importants travaux publics qui ont changé le visage du Québec.» Et c'est signé «Gouvernement du Canada».

«Le pouvoir de taxer est le pouvoir de gouverner»

Sur une terrasse du boulevard des Forges, un homme à l'air distingué lit son journal. Maurice Duplessis, vous, monsieur... «Oh! Ça me rappelle plein de choses: je suis historien.» Michel Morin, l'ancien député de Nicolet-Yamaska (1994-2007) est à Trois-Rivières pour l'amicale du Parti québécois, réuni en caucus ce jour-là. Pour M. Morin, maintenant attaché à l'UQTR, le principal legs de Duplessis reste le rapatriement de l'impôt sur le revenu en 1956, sa plus grande victoire autonomiste. «Le pouvoir de taxer est le pouvoir de gouverner», répétait Duplessis...

Dans la petite salle d'exposition du musée Pierre-Boucher du Séminaire Saint-Joseph, son alma mater, dans la cour duquel il prononcera tant de discours, des centaines d'objets rappellent que Duplessis a exercé ce pouvoir pendant de nombreuses années. Ici le premier fleurdelisé cérémonial (1948), là une truelle d'argent ayant servi à poser la première pierre de l'École polytechnique de Montréal en mai 1956. Un complet trois pièces à la patère - il ne portait que ça - et, sur le mur, les armoiries familiales des Du Plessis: «Mon droit fait ma force».

Et des centaines de livres ayant appartenu à l'homme qui se vantait de n'en jamais ouvrir aucun. Dont Esquisses pour l'homme de l'ultra-catholique Marcel Clément, dans son édition québécoise de 1945.

Des livres couvrent aussi les murs du salon de la magnifique résidence de Berthe Bureau-Dufresne, plus bas en ville, sur la rive du Saint-Laurent. Mme Dufresne, 85 ans, est la nièce de Maurice Duplessis - la fille de sa soeur Étiennette - et, à ce titre, porte-parole de la famille. Et gardienne de la mémoire, un rôle dont elle s'acquitte avec élégance. «Mon grand-père, Jacques Bureau, a aussi été ministre de Wilfrid Laurier... Je n'ai jamais, moi-même, fait de politique mais mon oncle Maurice me fait travailler fort depuis 40 ans...»

À expliquer comment l'homme, d'une grande générosité, «s'occupait de son monde» et même des familles de ses adversaires politiques, lui, l'infatigable travailleur qui à sa mort n'avait «pas une cenne». «Il a construit 4000 écoles et il a amené l'électricité dans les campagnes», ajoute Mme Dufresne qui déplore, avec le sourire, qu'ait subsisté l'image négative que lui avaient faite «Pierre Trudeau et ses amis»: Maurice Duplessis l'obscurantiste de la Grande Noirceur.


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