Jean Charest a le goût de se bagarrer et seule une majorité libérale le 8 décembre prochain pourrait trouver grâce à ses yeux. Il jouera la carte de la stabilité sur fond d'insécurité économique. L'électorat lui pardonnera-t-il son opportunisme? Les paris sont ouverts.
Québec -- «Nous avons besoin d'être majoritaires», clamaient les députés libéraux à l'entrée de leur caucus cette semaine. Même si Stephen Harper avait pour plan de devenir majoritaire à l'issue des dernières élections, il s'est bien gardé de le crier sur les toits. Le premier ministre canadien a même déclaré qu'il ne comptait pas obtenir une majorité. Que la suite des choses lui ait donné raison ne change pas le fait que cette fausse humilité ne collait aucunement à Stephen Harper.
Jean Charest n'emploiera pas la même stratégie. En ces temps incertains, le Québec a besoin de stabilité: la stabilité d'un gouvernement majoritaire, la stabilité d'un gouvernement libéral. Jeudi, le chef libéral prononcera un discours pour dévoiler son «plan pour protéger la sécurité économique du Québec», deux fois plutôt qu'une, le matin à Québec et le midi à Montréal devant un parterre de chambres de commerce.
L'insécurité économique sera en toile de fond de la campagne électorale. Quel parti est le mieux placé pour assurer la sécurité des Québécois si ce n'est le Parti libéral du Québec? claironnera-t-on. Dans le camp libéral, on croit que l'Action démocratique du Québec sera mise hors de combat si Jean Charest réussit à faire de la sécurité économique l'enjeu de la campagne. Quant au Parti québécois, il stagnera, comme il stagne depuis l'arrivée de Pauline Marois comme chef, fait-on valoir.
Le dernier sondage CROP plaçait les libéraux en tête avec 38 % des intentions de vote, tandis que le PQ, qui fait du surplace de sondage en sondage, recueille 32 % et que l'ADQ ferme la marche avec 17 %. À 54 %, le taux de satisfaction envers le gouvernement est élevé. Chez les francophones, cependant, libéraux et péquistes sont à égalité.
Majoritaire ?
Selon une projection faite du côté libéral, le parti de Jean Charest part en campagne avec la possibilité de former un gouvernement majoritaire: il pourrait faire élire 68 des 125 députés de l'Assemblée nationale. Il s'agit cependant d'une courte majorité, qui pourrait échapper aux libéraux compte tenu des imprévus propres à une campagne électorale de 33 jours.
Mais du côté libéral, on fait observer que les sondages ont tendance à sous-évaluer le vote libéral et à surévaluer le vote péquiste. Les plus cyniques ajoutent que le taux de participation à ces élections, qui se tiennent après un scrutin fédéral, risque d'être peu élevé. Aux élections fédérales, il n'a d'ailleurs guère dépassé 60 %. Or, traditionnellement, un faible taux de participation favorise les libéraux.
Tant à l'ADQ qu'au PQ, on voudrait que la belle assurance des libéraux se brise sur les aléas de la campagne électorale. On mise sur le fait que 70 % de la population ne veut rien savoir de ces élections. On espère que, contrairement à ce qui s'est passé pour Stephen Harper, la controverse ne s'éteindra pas au bout de quelques jours. Il sera difficile pour Jean Charest d'expliquer qu'il déclenche des élections en pleine crise financière, la deuxième cet automne de surcroît. La question sera lancinante, croit-on.
Les libéraux tablent sur le découragement des troupes de Mario Dumont et prédisent que l'ADQ ne conservera qu'une poignée de ses 39 députés. Les élus adéquistes, ceux qui restent évidemment, se disent «résilients». Dans le camp de Mario Dumont, on se conforte en relevant que les sondages à six jours du déclenchement des élections de mars 2007 étaient semblables à ceux d'aujourd'hui: l'ADQ n'obtenait alors que 18 % des intentions de vote et le PLQ devançait le PQ par cinq points de pourcentage. On l'a vu avec les élections au Québec en 2003 et en 2007, puis aux élections fédérales de 2008, les électeurs sont changeants, il n'y a pas d'allégeance qui tienne. Du déclenchement des élections au jour du scrutin, les conservateurs de Stephen Harper ont perdu la moitié de leurs appuis au Québec. Bref, la campagne fait la différence.
À l'ADQ, on souhaite que s'impose l'appel du changement comme en 2007. On voudrait bien que disparaisse cette perception de contre-performance d'une opposition officielle peu aguerrie. L'ADQ incarne le changement, le PLQ, le statu quo, et le PQ, le passé. On fait même des rapprochements avec l'élection présidentielle aux États-Unis: d'un côté, Barack Obama, le jeune candidat qui incarne le changement; de l'autre, l'auguste John McCain, qui défend la continuité. Évidemment, les comparaisons s'arrêtent là; les orientations idéologiques ne sont pas les mêmes.
Les ruraux et le minivans
Pour éviter la déconfiture, l'ADQ compte rallier ses deux clientèles: les électeurs que les stratèges adéquistes appellent les «pick-up», c'est-à-dire les ruraux -- agriculteurs et petits entrepreneurs -- qui se promènent en camion et en VTT, et les «minivans», c'est-à-dire les jeunes familles du 450. Les conservateurs de Stephen Harper n'ont réussi qu'à séduire les «pick-up», d'où leur insuccès, souligne-t-on. Les adéquistes savent qu'ils n'ont aucune chance auprès des électeurs plus scolarisés du Plateau à Montréal ou du comté de Jean-Talon à Québec.
Au PQ, on ne peut qu'admettre que les libéraux partent avec une longueur d'avance. Mais on signale qu'il existe une grande inconnue dans cette campagne: la performance de Pauline Marois. Elle pourrait s'avérer une bonne «campaigner», croit-on. On avance que Jean Charest et Mario Dumont pourraient avoir de la difficulté à trouver le ton juste avec une femme comme adversaire. À l'instar de Lucien Bouchard, les péquistes estiment que Jean Charest ne «sent» pas la population, qu'il lui manque cet instinct qui lui permettrait de bien comprendre les attentes du peuple québécois. Le chef libéral n'aura pas appris grand-chose depuis 1998.
Le PQ présentera son plan pour faire face à la crise financière au début de la campagne, opposant le sien à celui des libéraux. Pauline Marois tentera de convaincre les Québécois que ce sont des gouvernements péquistes qui ont le mieux affronté les difficultés économiques. Les péquistes comptent récupérer les circonscriptions passées à l'ADQ en 2007 dans les couronnes nord et sud de Montréal et croient que les luttes à trois dans le Centre-du-Québec pourraient les avantager.
Avec des élections cet automne, Jean Charest prend un «risque calculé». Or c'est exactement ce que les commentateurs écrivaient en février 2007 quand le premier ministre a déclenché les dernières élections. Le 8 décembre prochain, seule une majorité libérale pourrait représenter une victoire pour lui. Toute autre conclusion représenterait une amère défaite. C'est peut-être son sang irlandais: quand Jean Charest a le goût de se bagarrer, il est difficile de le retenir.
Québec - Les raisons d'en découdre
Charest misera sur la carte de la stabilité pour recueillir une majorité
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