Le principe d'égalité est souvent servi comme argument pour s'opposer aux subventions faites au réseau privé, voire à l'existence même d'un système privé. L'argument prend ses racines dans les droits fondamentaux de la personne. Il a donc du poids, mais il ne doit pas être invoqué comme un mantra; il exige analyse, sens des nuances, contextualisation. Comme tous les droits fondamentaux d'ailleurs.
L'égalité, en effet, est une notion relative. L'égalité des êtres humains ne renvoie pas à une équation mathématique, mais à un rapport de proportionnalité. Dès la naissance, existent des inégalités: génétiques, économiques, sociales, intellectuelles. La vie en reste remplie: certaines sont inévitables, d'autres peuvent être atténuées, d'autres enfin doivent être combattues.
L'égalité n'est donc pas un fait - à moins de se limiter à son fondement philosophique, métaphysique -; elle est un objectif que la société se donne, une sorte d'utopie directrice, un principe de discernement et d'action. Il y a, en effet, une égalité formelle (nous sommes tous égaux en droit) et l'égalité réelle à aménager de manière positive et réaliste. Appliquons l'analyse à l'école en distinguant divers aspects de l'égalité: égalité d'accès, égalité de résultat, égalité de traitement, égalité des chances.
1. L'"égalité d'accès" signifie que chacun peut fréquenter l'école, accéder à l'instruction, sans y être empêché à cause de son sexe, son ethnie, sa religion, sa condition socio-économique. Très bien. Mais ce principe n'exige pas d'avoir accès à n'importe quelle école à projet particulier, ni l'accès à certaines études si l'on n'en a pas les capacités intellectuelles.
2. L'"égalité de résultat", comme le mot l'indique, demande que tout le monde atteigne le même résultat: par exemple, le même diplôme secondaire dans le même laps de temps. En plus d'être une illusion, cet objectif comporte deux risques majeurs pour les jeunes: d'une part, ne pas répondre aux goûts, intérêts, capacités et cheminement particulier de chacun et, d'autre part, diminuer les exigences scolaires, comme l'allègement des contenus, la normalisation des résultats, le refus du redoublement. Et si on pousse plus loin, cela conduirait à supprimer les arts, le sport, la musique, parce que tous ne peuvent arriver au même résultat. Le rejet de cette forme d'égalité justifie que l'école fixe des objectifs à chaque niveau et mesure les acquis, même si on sait que certains élèves ne réussiront pas, que la majorité atteindra le minimum requis et que d'autres dépasseront les attentes.
3. L'"égalité de traitement", au sens strict, signifie de traiter tout le monde de la même façon: de donner la même chose à chacun (locaux, matériel pédagogique, enseignants) et suivre avec tous le même programme (activités, démarches). Il y a là une idée intéressante, mais biaisée parce que les besoins, les capacités, les intérêts et les goûts des élèves ne sont pas les mêmes. Aussi le respect de chacun et le sens de l'équité demandent-ils plutôt que l'on traite chacun différemment. C'est ce qu'on entend généralement par l'égalité des chances.
4. L'"égalité des chances", en effet, signifie que chacun soit traité selon ses besoins, que personne ne soit empêché de faire ce dont il est capable, que tous puissent aller au bout de leurs talents, capacités et goûts. Cet objectif exige une pluralité de voies au plan scolaire, une pluralité de programmes, voire d'écoles (publiques ou privées). Il requiert aussi, pour être réaliste et contrer certains effets systémiques, de donner davantage à ceux qui ont plus de besoins, d'apporter un soutien spécial aux plus faibles, aux plus démunis et, notamment, aux écoles en milieux défavorisés.
La véritable égalité
L'objectif d'égalité ne demande pas de supprimer toute sélection basée sur le mérite: celui-ci est souvent la seule façon de contrer les privilèges d'argent et de statut social. Plusieurs "grands lycées" en France sont sélectifs et constituent un stimulant important pour les jeunes, en plus d'être une pépinière de futurs agents du développement du pays.
Supprime-t-on d'ailleurs les olympiques parce que tous les aspirants ne peuvent y accéder? L'inégalité, ce n'est pas qu'une école internationale (publique ou privée) ne reçoive que les plus forts intellectuellement, mais que seuls les riches y aient accès ou que les concours soient truqués.
Aussi, paradoxalement, la véritable égalité demanderait que ceux qui réussissent le concours reçoivent l'aide financière dont ils ont besoin, soit directement par des bourses ou bons d'étude (il faudrait analyser la faisabilité de la chose), soit indirectement par des subventions gouvernementales versées à l'établissement (c'est le cas actuel), soit par un crédit d'impôt accordé aux parents (mais cette solution ne bénéficie pas à ceux qui ne paient pas d'impôts, c'est-à-dire les plus démunis).
L'"égalité des chances" n'exige pas, enfin, d'éliminer toute émulation et compétition, même si ces mots connotent souvent l'idée de rivalité ou de jalousie. Il existe une saine émulation qui donne du ressort et de l'ardeur à la tâche. Ce qu'il faut, c'est que l'école offre de l'émulation dans divers champs d'activités et que le jeune soit conscient qu'il peut être fier de lui et mériter l'admiration pour d'autres talents qu'intellectuels, par exemple, en musique, en théâtre, dans les arts, le sport ou la technologie. C'est pourquoi la diversité constitue une exigence d'éthique sociale en plus d'être une richesse pour la société.
Loin de s'opposer à l'existence d'écoles privées, l'objectif d'égalité demande plutôt de n'en pas limiter l'accès à une seule catégorie d'enfants ou de ne pas faire en sorte que les seuls enfants de riches puissent y accéder. (...)
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Guy Durand
L'auteur est théologien et juriste, spécialisé en éthique, professeur émérite de l'Université de Montréal.
- Source
Quelle égalité?
Voici un extrait de «L'école privée, pour ou contre?», un essai publié aux Éditions La Presse qu'on trouvera en librairie la semaine prochaine.
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