Économie d'un conflit

"Économie": un concept à revoir

Tribune libre


Le conflit actuel entre certains groupes d’étudiants et le gouvernement du Québec ne semble pas briller par sa fécondité. C’est le contraire qui prévaut sous formes de rejets ou d’expulsions : rien de fécond là. Sur un arrière-plan d’entropie, c’est au fond d’une impasse de plus en plus manifeste qu’apparaissent diverses conceptions de la notion d’économie qui ne semblent pas vouloir s’harmoniser.
Pourtant, historiquement, le principe d’économie, du grec ancien Oikonomia (Οἰκονομία), implique la nécessité d’une flexibilité en l’occurrence absente. Le discours économique visait d’abord l’administration domestique (c’est son sens littéral) pour s’étendre ensuite sur la gestion des affaires publiques, une gestion beaucoup plus large que celle des seules finances. Il impliquait aussi l’ambition ou à tout le moins l’idée, fut-elle vague mais non moins présente, d’en arriver à retirer certains profits des effets issus des réflexions et décisions conséquentes prises en cours de route ; et ces bénéfices pouvaient se conjuguer en termes quantitatifs tout autant que qualitatifs, opposant par exemple de strictes considérations platement financières (souvent abstraites) à une meilleure qualité de vie (toujours concrète), ici une meilleure accessibilité à une éducation de haut niveau. Les notions de finance, limitée, et d’économie, beaucoup plus large, ne sont pas synonymes et l’on tend beaucoup trop à les confondre avec des conséquences plutôt désastreuses.
Le concept d’économie en appelle à l’adaptation. Dans ses acceptions diverses, et je me réfère ici aux travaux de la philosophe Marie-José Mondzain, Oikonomia se réfère autant à l’idée d’administration, de gestion, de dessein, d’organisation que de ruse, de subterfuge (par exemple l’actuel propagande télévisuelle du gouvernement québécois sur son plus récent budget), voire de mensonge. Ainsi, par exemple, peut-on distinguer le fait de ne pas dire ce que l’on pense avec le fait, tout autres, de dire le contraire de ce que l’on pense. Dans tous les cas, par ailleurs, on visera certaines bénéfices, matériels ou non.
Oikonomia implique également, et cela me semble fondamental, la nécessité d’une articulation souple entre toutes formes d’idéal (absolu), comme un éventuel déficit zéro, et les contingences historiques (forcément particulières), entre tout ce que l’on pourrait affirmer comme étant de l’ordre d’une vérité et le toujours instable terreau du quotidien, jusqu’à pouvoir prétendre que rompre avec un quelconque impératif législatif pourrait participer de l’accomplissement même de la loi dans ce qu’elle aurait de plus sage. Il s’agit en quelque sorte d’apprendre à user de compromis sans compromissions, de favoriser ce qui peut s’avérer rentable et fécond en usant de souplesse, d’adaptation et de flexibilité. Ce n’est clairement pas ce qui se passe au Québec dans le conflit sur l’éducation qui y sévit depuis déjà trop longtemps.
Non seulement le principe d’économie peut s’appliquer pour mieux disposer des intérêts en jeu, pour mieux conjuguer les arguments en cause en vue d’effets les plus bénéfiques possibles, plutôt que de chercher à les détruire à qui mieux mieux, mais il doit aussi impliquer cette compréhension des choses qui veut que ce que l’on croit juste ne retire souvent sa validité ou sa légitimité que sur la base de postulats que l’on croit immuables, ce qui n’est pas nécessairement le cas, et ce pour tous et chacun.
Il faut donc bien distinguer les concepts de finance et d’économie dont le premier ne concerne que des considérations matérielles, ce qui ne le prive pas pour autant d’une certaine importance, et le second qui en appelle à une articulation souple entre le réel et nos idéaux, beaucoup plus fondamentale, une articulation dont on a manifestement plus les moyens, me semble-t-il, de faire l’économie.


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4 commentaires

  • Jean Lauzon Répondre

    22 avril 2012

    Merci M. Méthé.
    M. Lespérance, vous écrivez: "La finance impose son concept de l’économie et le gouvernement y adhère"; or voilà précisément ce qu'il faut dépasser et redéfinir. Nous sommes donc d'accord là-dessus me semble-t-il. Et c'est bien ce dont je parle (peut-être trop brièvement) dans mon texte. Bien sûr les "solutions concrètes", à condition que tous et chacun puissent y participer, ce que plusieurs revendiquent aujourd'hui. "L'esprit de justice" aussi, bien évidemment, mais un peu plus quand même, c'est-à-dire, comme vous semblez le souhaiter également, à l'intérieur d'applications concrètes. Nous ne sommes manifestement pas en désaccord là non plus.
    Quant au concept de sémantique, il fait référence aux significations que l'on prête aux choses, aux événements, à la vie etc. Je ne vois pas comment nous pourrions nous en passer. Il en appelle au sens, que l'on peut comprendre aussi par "direction". Autrement dit : où allons-nous, et est-ce bien là que nous voulons aller ? Si oui tant mieux; mais sinon, comment changer de direction, de sens, de signification ? Redéfinir nos compréhensions des choses pourrait être un bon point de départ.

  • Archives de Vigile Répondre

    22 avril 2012

    M,. Lauzon,
    Vous avez bien raison de faire la distinction entre la finance et l'économie. L'économie, au fonds, c'est la gestion du patrimoine collectif en bon père de famille en vue de le faire fructifier à l'avantage de la collectivité.
    Dans le cas de la grève étudiante on se demande bien où il est, le père de famille. En tout cas celui qui en tient lieu semble être un père absent ou qui ne comprend pas trop ce qu'est et ce que doit être l'éducation.
    Cela nous ramène aussi au Plan nord. À priori Socrate ne condamnerait pas le projet, à certaines conditions cependant.
    L'exploitation des ressources doit rapporter à la population du Québec des avantages de propriétaire et pas seulement des salaires et des revenus de fourniture de services. La population doit être le maître d'oeuvre, l'artisan et le bénéficiaire. Elle doit mettre en valeur son bien dans son intérêt.
    Ce qui inquiète dans le projet c'est la précipitation, voire l'amateurisme, dans sa préparation et que les Québécois, en bons prolétaires, risquent d'obtenir seulement les miettes qui vont tomber de la table des maîtres. Finalement ce seront les grands pourvoyeurs de capitaux (les financier, donc, d'ici et d'ailleurs) les multinationales et peut-être même des travailleurs étrangers qui seront les véritables bénéficiaires de l'opération. Alors nous serons loin du compte.
    Si tel était le cas, alors là, Socrate ne serait pas d'accord.

  • Archives de Vigile Répondre

    21 avril 2012

    La sémantique, c'est bien beau, mais en l'absence de solutions concrètes, ça nous avance à rien. Qui a manqué de souplesse en refusant le dialogue et en opposant les bombes assourdissantes parce qu'on ne voulait rien entendre? Et là maintenant le gouvernement offre un dialogue de sourds.
    Il y a longtemps qu'on n'applique plus le concept de l'économie, depuis au moins la signature du faux libre-échange. Les dettes remplacent l'économie.
    La finance impose son concept de l'économie et le gouvernement y adhère. L'instigateur se cache derrière le silence complice des médias. Pas toujours, parfois de perfides professeurs d'universités font de la désinformation au journal La Presse et sèment la confusion malicieusement. Alors je vous recommande d'être plus clair, plus direct, plus précis, parce que sur le site de Vigile, la plupart ont dépassé le stade de la définition de l'économie et de la finance. Le peuple a cessé de se laisser impressionner par le titre de docteur, on veut y voir derrière le titre, un esprit de justice. Quand cet esprit existe, le concept fait notre affaire ou nous satisfait. Quand l'esprit de justice règne, tout le monde se respecte et y trouve son compte.

  • Archives de Vigile Répondre

    21 avril 2012

    Je constate une ou deux erreurs orthographiques, j'en suis désolé...