La photo comme bouc émissaire (encore?) ...

Tribune libre

La photo comme bouc émissaire (encore?) ...
Encore la photo qui serait mensongère... Vieux mais toujours intéressant débat que celui qui fait se confronter ce que l’on nomme la réalité et ses représentations. Belle affaire que ce Stepan Rudik (Le Devoir, 1er septembre dernier, p. B8) qui a enlevé un pied « disgracieux » sur une de ses photos ! Sait-on que l’une des plus grandes photographes documentaristes du XXe siècle, Dorothea Lange, sur sa photo intitulée Migrant Mother, a enlevé un pouce qui la dérangeait sur le coin inférieur droit de l’image et ce, bien avant Photoshop. Est-ce pour cela que, tout d’un coup, la grande dépression américaine des années 1930, objet de son reportage pour le compte de la Farm security administration (1935-1943), devra disparaître de l’Histoire.

Suspicion, écrit-on (comme si c’était une nouveauté), vérifications des fichiers informatiques originaux, règlementation plus sévère, d’accord, peut-être, mais encore. Les points de vue, celui du photojournaliste ou ceux de la propagande politique, ont toujours été partials et partiels (la récente série présentée sur Radio-Canada à ce sujet était fort éloquente d’ailleurs). Quelle naïveté que de penser le contraire. Même les films de « l’aventurier » Jean Lemire ont été embellis au montage. Et puis après, son propos doit-il perdre en pertinence pour autant?
Photographie, mais aussi ce que l’on en dit. Voici, brièvement, l’histoire d’une image photographique, aux titres qui varient selon les publications. Dans un cas il s’agit de La prise de Tobrouk, octobre 1942, prise, dit-on, durant la seconde guerre mondiale en Afrique du Nord. Quelquefois, on la voit publiée sous le titre de L’attaque sur Tobrouk, novembre 1942. Ailleurs (Time-Life), il s’agit de la bataille de El Alamein, toujours en Afrique du Nord. Tout cela est faux. L’image dont il est question a été prise quelque part dans le désert, hors des zones de combat, le 3 novembre 1942, à des fins exclusives de propagande et n’a rien à voir avec Tobrouk, ni avec El Alamein d’ailleurs.
Voilà l’information que nous a fournie M. Ian Carter du Imperial War Museum de Londres. La photographie était vraie (on a réellement photographié ces soldats lors d’une mise en scène), mais non authentique quant aux événements rapportés, sans retouche ni trucage par ailleurs... Va-t-on nier pour autant l’historicité de la guerre du désert en Afrique du Nord à ce moment-là?
Suspicion, oui, comme un doute méthodique certainement, mais sans tomber dans le piège inverse au « tout croire » qui consisterait à dire, puisque les informations sont susceptibles d’avoir été trafiquées, que le réel dont on rend compte n’existe pas. Et il n’y a pas que la photographie qui puisse mentir (quel vilain mot!). Nous en sommes tous et toutes capables et plusieurs en profitent allègrement...
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Jean Lauzon Ph.D., sémioticien de la photographie


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