Le 30 mai 2007, le Bureau des audiences publiques sur l'environnement (BAPE) remettait son rapport sur le projet Rabaska d'un terminal méthanier à Lévis. Les conclusions sont regroupées en quatre thèmes: les questions énergétiques, les retombées économiques, la sécurité, l'insertion territoriale. Le présent commentaire porte sur ce dernier thème.
Selon le BAPE «les installations portuaires et riveraines du projet constitueraient une altération de la qualité paysagère de la côte de Beaumont». Le BAPE a négligé de considérer les impacts sur le paysage traditionnel de Québec.
Le projet Rabaska
Dans le secteur est de Lévis, les promoteurs de Rabaska (Gaz Métro, Enbridge, Gaz de France) projettent de construire un quai, une usine de gazéification, deux réservoirs de stockage et une cheminée torchère de 60 m. Chaque réservoir de béton et d'acier aurait une hauteur de 46 m et un diamètre de 90 m. Les installations seront localisées près de l'autoroute Jean-Lesage (au kilomètre 333). Le promoteur a indiqué que la base des réservoirs sera déposée à 15 mètres sous le niveau du sol.
La zone de perception visuelle potentielle que le promoteur a déclarée au BAPE couvre un territoire de 6 km autour des installations. Si le promoteur avait étendu la zone à 12 km, il aurait été obligé d'expliquer l'impact de ses installations sur le parc national (canadien) de Fort-Lévis et sur l'arrondissement historique de Québec (UNESCO). Québec possède une industrie touristique de classe internationale. L'industrie emploie des milliers de personnes. Les visiteurs laissent des centaines de millions dans l'économie locale.
Dans son rapport, le BAPE mentionne brièvement les objections de «certains participants» ayant soutenu que «l'aire de visibilité est plus étendue et [que] l'analyse aurait dû inclure Québec et d'autres municipalités de la rive sud et de l'île d'Orléans».
Le paysage de Québec
Depuis très longtemps, l'industrie touristique de Québec exploite le paysage à des fins économiques. Les éléments du décor sont nombreux: les Laurentides, l'île d'Orléans, le fleuve Saint-Laurent, Lévis, les Appalaches. Les principaux points d'observation publics et privés sont bien connus: la terrasse Dufferin, la terrasse Grey, la Promenade des Gouverneurs, la rue des Remparts, la Citadelle, et les hôtels Château Frontenac, Concorde, Delta et Hilton. La portée du paysage s'étend sur plus de 50 km. Aux premières objections dénonçant la portée trop limitée de l'étude d'insertion, les commissaires du BAPE auraient dû immédiatement questionner le promoteur et demander pourquoi il avait exclu Québec de la zone de perception visuelle. Le BAPE s'est contenté de considérer uniquement les impacts sur l'île d'Orléans, Beaumont et Lévis, tous situés dans le rayon restrictif qu'avait déterminé le promoteur.
Le Château Frontenac.
Parmi les grands hôtels de Québec qui exploitent le paysage, le Château Frontenac se mérite une attention spéciale. Le Larousse 2007 présente Québec avec une photo accompagnée de la mention suivante: «Le Château Frontenac dominant le Saint-Laurent.» Sur Internet, la chaîne qui exploite l'hôtel de prestige en fait une description élogieuse: «Perché sur le cap Diamant, le Château Frontenac est la référence première, la signature architecturale centenaire de la ville de Québec.» Et encore: «Le Château Frontenac n'est pas seulement un grand hôtel situé au coeur de Québec, il est le coeur de Québec.»
Le Château, qui longe la terrasse Dufferin, élève sa tour centrale à 142 m au-dessus du fleuve. Les meilleures chambres, situées aux quatre derniers étages, offrent une vue directe sur l'horizon de l'est. L'hôtel est d'un romantisme consommé. Le point fort est atteint en soirée tous les mois lorsque la lune se lève au dessus de Lévis. En 1911, un écrivain anglais a décrit le spectacle: «Ce que je vis de plus beau, ce fut la lune se lever derrière la pointe de Lévis. Cela commença à la hauteur des arbres et je crus tout d'abord qu'il s'agissait d'un feu de forêt. On ne voyait que du rouge-flamme qui s'étendait et s'étendait parmi les arbres. Soudain, cela se mua en une boule ronde d'un orangé brillant et alors je découvris qu'il s'agissait de la lune bien avant que tout en haut elle ne tournât à l'argenté et qu'elle ne vienne tracer un chemin étincelant à travers le fleuve.» (R.E. Vernède).
En 1684, un compagnon de Frontenac écrivait: «La vue la plus belle et la plus étendue qui soit au monde.» (La Hontan). Les ruines du Château Saint-Louis où résidait Frontenac se trouvent sous la terrasse Dufferin.
Une attaque au coeur de Québec
Le projet Rabaska sera localisé 12 kilomètres à l'est de l'arrondissement historique de Québec. Entre le site et le cap Diamant se trouve le plateau de Lévis, dont l'élévation est de 120 m. La cheminée torchère atteindra 140 m. Ainsi, malgré le plateau de Lévis, les flammes de la cheminée de Rabaska vont tomber sous le regard des meilleures chambres des grands hôtels de Québec, en particulier celles au sommet de la tour centrale du Château Frontenac.
La majorité des grands hôtels auront une vue sur les réservoirs. Le BAPE recommande le regroupement d'un parc industriel autour de l'usine. Aucun égard pour l'île d'Orléans proclamée comme le berceau de la Nouvelle-France. Rabaska s'ajoute à d'autres équipements lourds, au sud Ultramar (pétrole), à l'est Hydro-Québec (lignes 735 kv) et au nord Bunge (silos à grains), tous des éléments qui par leurs dimensions gigantesques ont dénaturé le paysage traditionnel de Québec. Sur la question d'insertion territoriale, les conclusions du BAPE sont faussées par des études qui ont ignoré la portée, la renommée et la valeur du paysage de Québec. Le projet Rabaska attaque directement le «coeur de Québec».
Les dommages seront réels et sérieux. Qui voudra payer une prime pour voir la lune se lever au dessus d'une longue cheminée jetant ses flammes au milieu d'éclairs stroboscopiques? Rabaska, vraisemblablement, diminuera le rendement de l'industrie touristique locale et en particulier celui du Château Frontenac, dont nous sommes maintenant tous propriétaires par la Caisse de dépôt. Les gouvernements supérieurs ont l'obligation de préserver le caractère fondamental de Québec.
Une décision finale est attendue bientôt. Le gouvernement du Québec et celui du Canada doivent prendre toutes les mesures nécessaires pour protéger les entreprises et le travail des personnes qui assurent tant la prospérité de la Vieille Capitale que la projection de son image à travers le monde. Afin de ne pas dénaturer la région, les promoteurs de Rabaska devront investir pour enfouir les réservoirs et relocaliser la cheminée vers le sud. À défaut, ils devront trouver un autre emplacement.
***
Yvan-M. Roy, Avocat, Québec
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé