Le Mouvement Desjardins et l'Institut de Recherche en Économie Contemporaine (IREC) (automne 2022)

Réflexion additionnelle sur le 4e volet de l'analyse économique et sociologique de l'IREC sur Desjardins

Qu'est devenu l'oeuvre de Dorimène et Alphonse Desjardins?

Tribune libre

L’Institut de Recherche en Économie Contemporaine (IRÉC) a produit en 4 volets une étude sur le Mouvement Desjardins (automne 2022); la lecture de cette étude ne peut qu’interpeller les sociétaires des Caisses de toute la province de Québec, lesquels ont été floués par la réingénierie orchestrée par Claude Béland au milieu des années 1990. Des faits importants ont été oubliés par l’IREC dont il est nécessaire de remémorer. Des faits déplorables commis au nom du coopératisme et de la coopération par des autorités qui ont manoeuvré à l’encontre de l’intérêt premier et primordial des membres sociétaires. Après avoir été reconnue comme une réussite exemplaire d’éducation collective à une saine gestion financière personnelle, l’œuvre de Dorimène et Alphonse Desjardins est tombée en déchéance à la suite de ses succès financiers dont certains dirigeants se sont crus légitimés de s’accaparer et d’en retirer des bénéfices personnels les premiers. Le coopératisme n’était pourtant pas le capitalisme: au contraire, il se voulait être une réponse contre les abus du capitalisme triomphant. 



Les «Fonds d’entraide Desjardins» (FED) que relate l’IRÉC dans son résumé du 4e volet étaient de la mission même et première de la création des coopératives Caisses populaires par Dorimène et Alphonse Desjardins. Qu’on baptise sous le vocable FED ce que faisaient toutes les Caisses populaires Desjardins depuis leur création au Québec durant le XXe siècle confirme à nouveau l’arrêt des procédures (comprendre l’arrêt de fondation de coopératives financières) qu’a obligé la restructuration de Claude Béland à la fin de son long règne et la disparition des Caisses de proximité organisée par les fusions de Caisses : celles-ci furent comme ordonnées par les agences de notation américaines, lesquelles reprochaient à la «Bank» Desjardins son trop grand nombre de «succursales»! Afin de permettre à Desjardins d’obtenir des capitaux additionnels sur les marchés financiers (pour répondre à ses ambitions de faire du crédit commercial d’envergure), l’oeuvre des Desjardins devait passer par la rationalisation (comprendre la destruction de coopératives Caisses autonomes) de son réseau de «succursales»!



Et en exécutant les ordres (fusions des Caisses) des agences de notation, les membres devinrent de plus en plus petits et éloignés de la direction de leur coopérative, et les directions de plus en plus grosses et capitalistes des Caisses s’en trouvèrent fort heureuses! 



L’échec des FED dont parle l’IRÉC dans son 4e paragraphe de son résumé n’est pas surprenant, car Desjardins n’a pas vraiment organisé ces fonds : il a plutôt participé à sa désorganisation, par la disparition de plus de 1000 Caisses populaires autonomes à travers la province, laissant faire le travail (que ces Caisses faisaient antérieurement) par des ACEF ou autres organismes sociaux semblables du milieu. Desjardins ne faisait que «parrainer» un «micro-crédit» (prêt personnel pratiquement aussi disparu par la réingénierie au profit de «marge de crédit personnelle») s’il était demandé par l’ACEF de service, au nom de la personne en détresse financière.



Les FED n’auront été finalement qu’une réponse stratégique de la haute direction du Mouvement afin de faire diversion auprès des membres abandonnés par la disparition de leur Caisse populaire respective et leur service de crédit financier de proximité. Lisons les 4e, 2e et premier paragraphes du résumé de l’IREC de son 4e volet de son étude :



«Le programme des FED est cependant loin d’avoir atteint ses ambitions de départ : environ 15 % des clients des prêteurs usuraires privés, pensait-on lors de sa création, pourraient être aidés et éventuellement réintégrés aux circuits de crédit de Desjardins par le biais des FED. Avec un peu moins de 11 000 prêts consentis par les FED au cours des vingt dernières années, Desjardins est donc malheureusement très loin du compte et gagnerait à s’inspirer de quelques-unes des initiatives similaires mises en œuvre par d’autres coopératives financières nord-américaines et européennes.»



«Une collaboration avec les municipalités et les MRC, avec les agences gouvernementales, le monde syndical, les entreprises d’aide à domicile et bien d’autres ressources auraient pu – et pourraient toujours – transformer les effets de la déterritorialisation en point d’appui pour reprendre l’initiative du développement en misant sur un modèle de décentralisation permettant de préserver la structure de peuplement et de revitaliser l’habitation du territoire.»



«Il serait inexact et injuste de dire que le Mouvement n’a rien fait pour réduire l’impact de la déterritorialisation et de la restructuration de ses services. La création du “Fonds du Grand Mouvement” (FGM) a été, entre autres, une réponse d’envergure, du moins par sa taille. Cela demeure néanmoins une réponse qui s’est élaborée d’une manière assez laborieuse et qui reste essentiellement inscrite dans le registre du mécénat et de la commandite.»



Le 5e paragraphe du «résumé» du 4e volet est exactement l’antithèse à laquelle s’est acharné Claude Béland : détruire la proximité des directions auprès des membres sociétaires des Caisses populaires Desjardins, anéantir l’autonomie de gestion de chaque Caisse afin de créer un réseau de «succursales» et ainsi placer la haute direction du «grand» mouvement dans la cour des «grandes» banques canadiennes. Lisons ce 5e paragraphe : 


Réaffirmer le rôle de l’association de personnes renvoie aussi à la distinction des fonctions de Président du C.A. et de chef de la direction. Deux discours doivent cohabiter pour servir la mission : celui d’une présidence entièrement tendue vers le maintien et la promotion de la mission, puis celui d’une direction qui se place clairement au service de cette mission élaborée par les instances démocratiques.


Claude Béland a réussi son défi : Desjardins est aujourd’hui très éloigné des besoins des membres et sociétaires des Caisses, et ce sont les agences de notation qui gouvernent la haute direction du Mouvement : la cote de crédit est l’élément prioritaire de la direction de Desjardins (référence de Claude Béland citant Monique F. Leroux lors d’une entrevue avec Michel Désautels; Claude Béland aurait demandé à Mme Leroux d’investir 100 millions pour maintenir vivant le réseau des Caisses en région; celle-ci lui aurait répondu «non» afin de maintenir sa cote de crédit auprès des agences de notation internationales). Le souhait de l’IRÉC (5e paragraphe) est pratiquement devenu impossible dans les circonstances actuelles de gouvernance des Caisses.



Desjardins est aujourd’hui perçu par les sociologues, économistes et autres analystes financiers comme une financière coopérative sans âme, alors qu’il est véritablement une banque capitaliste au service d’elle-même avant tout, et sa cote de solvabilité auprès des agences de notation internationales (même pas envers ses «actionnaires», encore moins auprès des sociétaires!). 



Le 6e paragraphe est triste à lire, car il confirme que l’éducation à la coopération et au coopératisme est maintenant une lacune majeure de l’actuelle direction de Desjardins, et ce, depuis au moins l’ère bélandiste. Quand une direction d’une coopérative gouverne par ochlocratie plutôt que par démocratie, cela confirme une méconnaissance grave de ce qu’est une coopérative et de ce qu’est le coopératisme. Lisons ce 6e paragraphe : 



La décision de ramener dans le périmètre coopératif le recours à des administrateurs externes constituerait également une affirmation forte. Il ne serait que normal d’exiger : 1) que toutes ou la majorité des candidatures externes proviennent de l’univers coopératif; 2) de renoncer à la cooptation comme mode de recrutement et de soumettre au vote de l’assemblée le choix des candidats; 3) de leur imposer l’obligation de participer à un programme de formation pour leur permettre de bien s’intégrer à la culture de l’entreprise et aux particularités de son fonctionnement démocratique. 



Le 7e paragraphe doit nous interroger sur les connaissances de base de ce que doit être une coopérative. Il faut en douter absolument, car l’IREC se cantonne ici sur une apparence de démocratie, une démocratie par délégation, une démocratie de surface. Claude Béland a justement utilisé cette façon de faire afin de laisser croire que les membres avaient été consultés et avaient demandé ces changements organisationnels et constitutionnels! Une belle manoeuvre que René Croteau n’a pas manqué de dénoncer et de bien nous expliquer dans son livre de 2004 : «Un patrimoine coopératif défiguré et dénaturé; le mouvement Desjardins 1997 - 2003». C’est ainsi que les membres ont perdu leur propriété coopérative et leur pouvoir. L’IRÉC doit se conscientiser à ce qu’elle-même appelle une approche coopérative adaptée et innovatrice : c’est là une arnaque de conception qui ne fait qu’utiliser les membres et non véritablement les écouter et les servir.  Aujourd’hui, chez Desjardins, les débats de fond sont inexistants et l’idéologie coopérative est, pratiquement, révolue. Les Caisses ont été créées pour les membres et non pour les communautés; c’est une nuance primordiale et de la plus haute importance en coopératisme (au même titre qu’en syndicalisme: le syndicat existe pour ses membres et non pour les communautés). Même Claude Béland ignorait cette nuance (ou l’a volontairement ignorée…). Et voici que l’IRÉC répète l’erreur bélandiste! Lisons le 7e paragraphe :



Une approche coopérative adaptée et innovatrice ferait des tables de concertation régionales des outils de nouvelle génération dans l’architecture institutionnelle du Mouvement. Le rôle de ces entités serait d’associer les membres et les artisans du Mouvement à l’incarnation, dans chaque milieu, d’une vision de développement en phase avec les réalités et les besoins des communautés. La vision du développement dépasserait ainsi la simple accumulation des dossiers d’investissement.



Le 8e paragraphe est une manière compliquée de dire ce qu’avaient inventé par leur génie Dorimène et Alphonse Desjardins : un RSI (retour sur investissement) en ristourne aux membres selon l’usage de leur coopérative d’épargne et de crédit. Il ne faut pas penser qu’à la fondation des Caisses populaires l’époque était facile pour les créer; bien au contraire : Dorimène et Alphonse Desjardins connurent plusieurs embûches légales, économiques, politiques et financières que nos dirigeants actuels ne connaissent plus comme héritiers de nos pères et de nos mères bienveillants! Je rappelle que nos dirigeants d’antan furent toutes et tous des bénévoles jusqu’en 2005 : c’est sous la présidence d’Alban D’Amours qu’ils commencèrent à être grassement rétribués : plus de 150,00 $/l’heure au chiffre de 2015; il est maintenant impossible de connaître la rémunération d’aujourd’hui! Lisons ce 8e paragraphe :


Il y a lieu de faire valoir que des avantages extra-financiers peuvent et doivent être mieux et davantage pris en compte dans le rapport d’usage avec la caisse et ses services. La révision des coûts de revient et leur calcul en modifiant les pondérations pour améliorer le bien-être des membres peuvent permettre de donner à «l’expérience-client» une signification que les pratiques commerciales des banques ne leur accordent pas. Il en va de même pour l’évaluation des risques.



Le 9e paragraphe du résumé du 4e volet de l’étude du Mouvement Desjardins par l’IRÉC est à prendre avec beaucoup de précaution et surtout afin qu’il ne dérive pas comme le fait actuellement la Caisse d’économie solidaire Desjardins (CÉSD) : celle-ci soustrait toutes les ristournes aux membres individuels pour les verser à quelques « membres-entreprises » à la seule discrétion des dirigeants et employés de la Caisse. Sous le vocable de «Projet coopératif», la CÉSD exploite annuellement 21 000 membres (17 000 individus et 4000 entreprises) au seul profit d’environ 300 entreprises qu’elle considère plus «socialement responsables» (dixit Gérald Larose, ex-président de la CÉSD)! Ce n’est pas du coopératisme, mais bel et bien du favoritisme. Exactement le contraire de l’oeuvre de Dorimène et Alphonse Desjardins. Au nom de l’intercoopération, Desjardins devient une entreprise financière caritative! Mais de quel bénéfice les membres Desjardins peuvent-ils espérer recevoir en retour de leur soi-disant «convergence des finalités de mission»? Quand une direction de Caisse, «coopérative financière», ose s’attribuer le pouvoir de juger qui méritera le RSI (les ristournes), fruit de l’exploitation de tous les membres, au seul bénéfice d’une minorité de « membres-entreprises », on n’est certes plus en coopération ni en coopératisme ni en philosophie de gestion coopérative : on bafoue les principes d’égalité et d’équité du coopératisme en toute impunité. Lisons ce 9e paragraphe :


En particulier à l’égard des entreprises, une plus grande place et de meilleures conditions devraient être accordées aux coopératives et aux entreprises d’économie sociale, en raison de la convergence des finalités de mission qu’elles poursuivent et pour lesquels le crédit coopératif peut devenir un important moyen de se démarquer de la concurrence, d’atteindre des objectifs servant au mieux la prospérité de leurs membres et du milieu.



Le 10e paragraphe du résumé est né de l’oeuvre de dénaturation de Claude Béland du Mouvement Desjardins : la réussite d’une oeuvre quelconque exige beaucoup de travail de persuasion par les auteurs; celles et ceux qui ont créé chacune des Caisses populaires d’antan se sont donnés corps et âme à ce travail. Claude Béland a aussi utilisé ses talents d’orateur et ses capacités charismatiques pour complètement transformer (adapté dira-t-il à profusion) l’oeuvre de Dorimène et Alphonse Desjardins. Aujourd’hui, Desjardins est totalement méconnaissable et l’IRÉC le confirme à son tour par son analyse de l’automne 2022. Mais sa façon de concevoir le Mouvement Desjardins est totalement erronée : l’oeuvre des Desjardins n’est pas une entreprise caritative ni communautaire. Lisons ce dernier paragraphe : 


Le Mouvement peut faire beaucoup plus pour lutter contre l’usure et pour servir les couches de la population considérées comme moins «rentables». En collaboration avec les banques alimentaires, avec les groupes d’entraide et ceux d’éducation économique, une vaste opération de «dé-marginalisation» pourrait être mise en branle, une opération qui ne serait pas si coûteuse et à laquelle, à coup sûr, une vaste majorité de ses membres souscrirait avec enthousiasme. 



Je rappelle ici à l’IRÉC que le travail du comité de révision des structures décisionnelles et organisationnelles orchestré par Claude Béland a conclu qu’il pouvait éliminer plus de 75 millions annuellement des «dépenses» du Mouvement Desjardins! La disparition des fédérations et celle de toutes les «petites» Caisses des villes et villages du Québec étaient dans la vision bélandiste. N’était-ce pas là avoir le «suprême souci du Mouvement Desjardins» au-delà des membres individuels comme l’a bien exprimé Claude Béland à la veille de sa retraite? (voir ci-dessous) 



CONCLUSION : 



On n’impose pas la coopération; la coopération se propose.



L’étude de l’IRÉC est à noter et à considérer, mais elle demande à être enrichie.



Les Québécois aiment-ils se faire exploiter? Peut-être; mais peut-être pas plus que n’importe quel autre peuple de la planète. L’actuelle philosophie de gestion de l’entreprise Desjardins en est une d’exploitation des humaines-personnes, membres sociétaires des Caisses, leurs épargnes et leurs besoins financiers: elle n’est plus dans la coopération ni dans la démocratie.



Dorimène et Alphonse Desjardins furent ici au Québec des précurseurs à cet éveil contre l’exploitation de la crédulité; le plus ironique à cet éveil fut qu’ils utilisèrent l’Église catholique (immensément riche au début du XXe siècle) dans l’évolution positive de leur oeuvre de coopératives financières. Notre fond judéo-chrétien continue de nous faire croire à des espérances rocambolesques… Le reliquat de notre éducation judéo-chrétienne fait encore des siennes! 



Cette analyse de l’IRÉC a pour effet auprès des membres qui se sont battus, qui se battent encore aujourd’hui et qui furent tous floués par la réingénierie de Claude Béland des années 1990, a pour effet, dis-je, d’être une certaine provocation à leur intelligence. Dans les faits historiques, Desjardins n’est plus une coopérative : continuer d’utiliser et de considérer cette qualité et cette philosophie de gestion aux Caisses Desjardins est une insulte à l’intelligence des membres fondateurs et créateurs d’antan, ainsi qu’à l’intelligence de celles et ceux exploités d’aujourd’hui : une insulte à l’encontre de toutes les personnes sociétaires des Caisses, car elles sont maintenant toutes utilisées à des fins autres que leurs propres intérêts, à des fins autres pour lesquelles Dorimène et Alphonse Desjardins avaient créé les coopératives Caisses populaires d’épargne et de crédit financier. 



Les membres étaient la fin de l’oeuvre des Desjardins alors qu’aujourd’hui ils sont devenus des moyens à utiliser et à exploiter pour faire du profit maximum, pour ensuite faire des dons, commandites, subventions et fonds de tous genres, et pour que les dirigeants s’octroient des rémunérations inqualifiables aux yeux des sociétaires de bonne foi. Est-ce là le rôle d’une coopérative? Exploiter ses membres au profit des autres? Est-ce là le respect des principes d’équité et d’égalité du coopératisme? Absolument pas.



L’IRÉC doit se conscientiser au fait que la dérive du Mouvement Desjardins s’est enclenchée depuis plus de trente ans sous la présidence de Claude Béland; celui-ci a cru nécessaire d’imposer la «coopération» aux membres à cause des impératifs qu’il avait reçus des agences de notation américaines lors d’un voyage à New York. La lecture de son autobiographie de 2015 («Claude Béland; une carrière au service du coopératisme», FIDES, page 143) est révélatrice du changement de philosophie : «… passer d’une culture autonomiste à une culture de la solidarité.» Claude Béland avait le don de la parole pour faire croire, et il a réussi. Il s’est bien gardé de nous parler de ce voyage à New York dans son autobiographie, voyage qui semble avoir été le déclencheur de cette réingénierie. J’ai voulu vérifier ces faits auprès de la Maison historique de Desjardins à Lévis, mais la responsable des archives du musée ne m’a pas permis de faire cette recherche. Curieux n'est-ce pas?



Il devient urgent avant qu’il soit dramatique et trop tard (mais ne l’est-il pas déjà?) que la transparence des informations issues des autorités gouvernementales et de l’AMF nous disent clairement que Desjardins n’est plus une coopérative et nous disent clairement sous quelle fin de gestion les sociétaires participent à leur propre exploitation : à leur fin personnelle ou aux fins de la société du Québec au même titre qu’Hydro-Québec, Loto-Québec, Épargne placements Québec, Caisse de dépôt et placement du Québec?



La nationalisation de Desjardins serait alors plus appropriée pour effectuer tout le mécénat auquel nous assistons (et reconnu par l’IRÉC), sociétaires des Caisses Desjardins, maintenant impuissants à la gouvernance de ce que la loi ose encore appeler une «coopérative financière». Là est un des mérites de l’IRÉC d’avoir dénoncé la grogne des membres dans son étude de 2022 : ce scandale doit cependant cesser; il a assez duré.



Contrairement à l’affirmation de l’IRÉC, ce débat ne peut être public : il appartient aux membres sociétaires des Caisses Desjardins floués furent-ils par Claude Béland, sa fausse conception du coopératisme et sa réorganisation du Mouvement Desjardins à la fin de son règne en un réseau dirigé par une Fédération unique telle un navire amiral, telle une banque centrale et privée. N’oublions pas de plus que l’AMF interdit de publier sans son autorisation (sous menace de poursuite judiciaire) ses réponses aux membres qui lui dénoncent les abus d’autorité des Caisses sur l’exploitation des sociétaires. Les sociétaires des Caisses sont plus que jamais pris en étau par les autorités : avec les règlements de régie interne 4.6 (saine conduite d’un membre) et 4.7 (réprimande, suspension, EXCLUSION) imposés à toutes les Caisses en 2010 par Monique F. Leroux, le comble de la dictature financière atteint des sommets jamais imaginés. L’exclusion d’une personne tient du fascisme, de la dictature institutionnalisée, et c’est absolument indigne du coopératisme qui est ouvert à toutes et à tous. Si Desjardins veut bannir des membres qu’il juge indigne d’être des coopérateurs de la coopérative financière, qu’il se soumette à la Loi sur les normes du travail et ses articles contre le harcèlement psychologique (81,18 à 81,20 et 123,6 à 123,16).



Finalement, je me permets cette ultime observation sur l’étude de l’Institut de Recherche en Économie Contemporaine (IRÉC) : celles et ceux qui comme moi liront les 4 volets (surtout ce 4e volet) de l’analyse sur le Mouvement Desjardins (1990-2022) prendront connaissance de ce qu’est une réflexion «woke», ce courant américain défini par l’Office québécois de la langue française (OQLF) comme «un mouvement qui prône une sensibilisation accrue à la justice sociale ainsi qu’un engagement actif dans la lutte contre la discrimination et les inégalités» afin de sauver la planète et les peuples discriminés, et qui a infiltré les autorités en mal de perfection et d’absolu. L’exagération n’a pas de limite : «sky’s the limit». Comme Desjardins, l’IRÉC est tombée pieds et poings liés dans l’idéologie «woke» et dérape à son tour dans une exagération qui n’a pas sa raison d’être considérant que les membres des Caisses ne sont pas des contribuables au service de la communauté du Québec. 



Claude Béland a voulu faire passer l’oeuvre de Dorimène et Alphonse Desjardins «d’une culture autonomiste à une culture de la solidarité» («Claude Béland; une carrière au service du coopératisme», son autobiographie, FIDES, 2015, page 143), comme si Desjardins n’en avait pas fait suffisamment en 100 ans d’existence; et voici que l’IRÉC vient ajouter à l’erreur bélandiste avec son étude en 4 volets de 2022. Désolé, mais il faut dénoncer cette idéologie «wokiste» qui a fait dérailler le Mouvement Desjardins depuis plus de 30 ans, et que l’IRÉC vient renforcer alors qu’il faut la dénoncer.


Voici quelques notes tirées du livre de Nathalie Heinich («Le wokisme serait-il un totalitarisme; L’enfer woke est pavé de bonnes intentions» Albin Michel, 2023, p. 145 à 149) afin de bien saisir jusqu’où va cette idéologie du wokisme pour endoctriner telle une religion et faire taire tel un totalitarisme d’État :



«Le totalitarisme, une fois au pouvoir, remplace invariablement tous les vrais talents, quelles que soient leurs sympathies, par ces illuminés et ces imbéciles dont le manque d’intelligence et d’esprit créateur reste la meilleure garantie de leur loyauté. »


Hannah Arendt, <Le Système totalitaire>, 1951, Seuil, 1972



 « … ce qui apparaissait au départ comme vertueux… se transforme peu à peu en facteur d’oppression, sans que cette mue soit perçue tant est forte l’adhésion à l’idéal, et tant celui-ci joue le rôle d’écran posé sur des réalités dérangeantes, notamment l’atteinte aux libertés et la prise de pouvoir d’une caste de dirigeants s’arrogeant le droit de vie et de mort sur leurs concitoyens.


Expérience de Sergiu Klainermann : ce qui a commencé par l’intention parfaitement raisonnable de lutter contre la discrimination sur la base de la race, du sexe et de l’origine ethnique, dans le but de créer plus de cohésion sociale, plus de tolérance et de justice, a produit l’exact opposé de ce qui était prévu — c’est-à-dire plus de division, moins de tolérance et moins de justice. Ainsi, au lieu d’une union plus parfaite, nous avons maintenant une société qui perd rapidement la foi dans ses institutions unificatrices les plus fondamentales.



… la persistance de la croyance en l’idéal engendre une remarquable capacité de déni face à ses évidentes dérives. … comment admettre… qu’une utopie révolutionnaire ait pu se changer en régime de massacre de ses principes mêmes? Refus, dénégation ou — pire encore — mutisme sur un problème qu’on se garde bien de reconnaître, par peur ou par défense de ses propres intérêts.



L’actualité du wokisme donne… raison à George Orwell lorsqu’il affirmait que <les intellectuels sont portés au totalitarisme bien plus que les gens ordinaires.>» 



N’est-ce pas que Desjardins ainsi que l’IREC roulent maintenant sur ce pavé de bonnes intentions aux frais des sociétaires des Caisses hyperexploités? Ne pas le reconnaître c’est justement être de l’idéologie du wokisme et tristement, s’en aveugler.



Deux dernières références importantes en lien avec l’étude de l’IRÉC : «Le néolibre-échange, L’hypercollusion business-politique» Écosociété, 2015, plus précisément de la page 169 et suivantes, par Jacques B. Gélinas, sociologue. (http://classiques.uqac.ca/contemporains/Gelinas_Jacques_B/auteur_photo/auteur_photo.html



Et du même auteur : «Le virage à droite des élites politiques québécoises», Les éditions Écosociété, 2003; Claude Béland a beaucoup frayé avec ces élites durant toute sa présidence…



En terminant, je rappelle cette déclaration malheureuse de Claude Béland dans le «Desjardins express» numéro 4 (octobre 1999), déclaration qui nous confirmait sa vision tronquée du coopératisme et de la coopération : 



« J’ai plus que jamais confiance en l’avenir du Mouvement Desjardins. … les membres du Comité [«aviseur» de la restructuration] ont placé l’intérêt supérieur du Mouvement au-dessus de toute préoccupation.»



Au-delà de toute prétention théorique ou idéologique, une coopérative (quelle qu’elle soit) n’a pas plus une mission sociale ou communautaire que n’importe quelle autre entreprise capitaliste; quand une entreprise se donne une telle mission, elle le fait avec modération afin d’assurer sa pérennité et sa solvabilité tout en cherchant à glorifier son image de marque (marketing) auprès de sa clientèle, actuelle et future. Ce n’est ni l’intercoopération, ni l’altruisme, ni la charité, le caritatif ou le mécénat ni la bonté du coeur qui doit devenir la mission première d’une coopérative financière : Desjardins doit d’abord servir financièrement ses membres (services financiers compétents et ristournes [RSI] à l’usager) et modérément répondre aux demandes de don, de commandite, de subvention ou de confection de fonds financiers pour toute sorte de bonnes causes humanitaires : que la Fondation Maurice Tanguay accomplisse seule sa «généreuse» mission sociale… Que les coopératives de Santé du Québec administrent leur  entreprise sans l’exploitation des membres de Desjardins… Et quoi d’autre?



Avant Claude Béland, le Mouvement Desjardins était une coopérative d’épargne et de crédit au service de ses membres sociétaires et à leur bénéfice; après Claude Béland, Desjardins est devenue insidieusement une espèce de «charity bank» où les membres sociétaires sont maintenant considérés comme des contribuables au service de la société et au service des communautés. Ça ne va plus du tout : Desjardins, ce n’est pas une institution de charité ni une banque à capital-actions. Si c’est devenu ainsi, que les autorités (le gouvernement et l’AMF) le disent en toute transparence et que les membres ne soient plus dupes de leur inconsciente exploitation financière par la Loi sur les coopératives de services financiers et ses orchestrations aberrantes, abusives et abrutissantes.





François Champoux


Trois-Rivières



P.S. 1 en tant que membre Desjardins (et du P.S. 2 ci-dessous), je suis disposé à toute discussion ou tout dialogue avec l’IRÉC sur leur présente analyse de l’automne 2022.



P.S. 2 je souligne à l’IRÉC que les observations qu’elle présente aux pages 8 et 9 de son volet 4, m’ont valu 6 exclusions en 8 ans des Caisses populaires où j’étais membres (souvent depuis plusieurs décennies): Trois-Rivières, Louiseville, Saint-Léon-le-Grand, Saint-Grégoire, Saint-Prime, Maskinongé.



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