Le professeur Jean-Herman Guay fut mon professeur, et pendant mes études, je le considérais comme un maître, tant pour ses qualités d'orateur que pour sa rigueur intellectuelle dans le cadre de ses travaux et enseignements. Aujourd'hui encore, je considère comme un effort précis de raisonnement les positions et l'argumentation du professeur Guay en regard de l'avenir du projet souverainiste et du Parti québécois qui le défend, qu'il me déplairait par ailleurs de voir assimiler à un simple réflexe d'abandon de ses rêves ou idéaux d'un Québec souverain.
Toutefois, je ne partage la vision de ce brillant professeur, ce qui me pousse à me porter en faux contre ces positions. Je souhaite cependant que mon analyse de son allocution faite lors d'un certain conseil national du Parti québécois et de ses propos tenus à l'émission « Il va y avoir du sport », animée par Marie-France-Bazzo à Télé-québec, ne soit pas considérée comme une tentative sournoise de prouver que l'élève a dépassé le maître et que sa pensée n'est que le reflet d'une tendance différente de celle qui me définirait.
J'entends plutôt réhabiliter l'aspiration à l'indépendance de la société québécoise sur la base d'un rationalisme que je prétends, en toute humilité, supérieur à celui du professeur Guay.
De l'infériorité à la fatigue
D'entrée de jeu, le professeur Guay mentionne que l'option souverainiste ne trouve plus de justifications valables en raison des changements qu'a connus le Québec au cours des 40 dernières années. La société canadienne-française, inférieure sur le plan politique, économique et social, aurait été remplacée par une société québécoise progressiste qui n'aurait plus besoin de l'État québécois comme principal instrument de promotion.
Il est vrai que les temps ont changé et que l'argumentation de l'infériorité politique, économique et sociale des Québécois pour justifier l'indépendance du Québec se défend difficilement de nos jours. L'historiographie récente va même jusqu'à nier l'impact de la Conquête et de ses suites sur l'infériorité économique et politique des Canadiens français de l'époque. Selon certains historiens, le Québec n'aurait pas évolué différemment des autres sociétés occidentales. Alors, comment serait-il possible d'évoquer cette infériorité alors qu'elle n'aurait jamais existé ? Poser la question c'est y répondre ! Toutefois, il faudrait m'expliquer pourquoi une société qui a évolué comme les autres sociétés occidentale du monde n'aurait pas droit elle aussi à un système conçu en fonction de la globalité de sa culture.
Je conviens donc que cette interprétation domine toujours l'historiographie et qu'elle fait consensus dans nombres de milieux. Toutefois, je tiens à souligner que certains historiens reprochent à cette façon d'interpréter l'histoire d'être exclusivement centrée sur la présumée normalité du Québec et de négliger ce qui, historiquement, l'a toujours distingué des autres sociétés du monde. Bien que le Québec vive de nombreux problèmes analogues à ceux des autres sociétés occidentales, certains problèmes lui sont propres.
À cet égard, je partage le diagnostic du professeur Guay à l'effet que les Québécois sont affligés d'une « fatigue chronique ». D'ailleurs, cette notion de « fatigue », mise de l'avant par Hubert Aquin en 1962, semble trouver encore une certaine pertinence auprès de plusieurs intellectuels québécois qui en ont recours pour tenter d'expliquer l'ambivalence de nombreux Québécois face à leur avenir collectif. Dans les circonstances, le projet souverainiste trouve peut-être sa pertinence en ce qu'il vient palier, non pas l'infériorité économique, politique et sociale des Québécois, mais cette « fatigue » qui trouve sa source dans une structure fédérale aliénante et infériorisante.
Je ne prétends pas que la souveraineté du Québec est une fin en soi et qu'elle règlera tous nos maux et problèmes. L'indépendance est un état d'être et d'esprit, tout comme l'est notre dépendance au grand tout canadien. Bien qu'elle ne soit pas nécessaire historiquement, l'émancipation de la société québécois au sien d'un État indépendant demeure certainement l'option politique la plus logique et la plus saine, ce qui n'empêche aucunement cette société de continuer à discuter et d'échanger avec les peuples du monde entier.
Ce qui est étonnant toutefois, c'est qu'à une époque où on nous demande de participer au développement de l'universel avec ces mêmes peuples, on nous propose de sauter par dessus une étape de notre développement, passer de la dépendance à l'interdépendance sans obtenir au préalable notre indépendance. N'en déplaise au professeur Guay, il n'y a pas de raccourci possible pour passer de l'infériorité ou de cette fatigue ressentie collectivement à la collaboration d'égal à égal. Et comme il n'y a pas l'exemple de pays qui, pour devenir plus progressistes que les autres, ont renoncé unilatéralement à leur indépendance pour mieux s'universaliser, le Parti québécois doit continuer à promouvoir un État national pour les Québécoises et les Québécois.
La disparition des partis idéologiques
Selon le professeur Guay, le Parti québécois doit mettre de côté son projet de faire du Québec un pays souverain parce que tous les partis idéologiques n'ont pas été capables de résister à l'épreuve du temps. Ce qu'on peut dire, c'est que le professeur Guay a une vision déterministe des choses. Les humains n'ont pas d'essence, pas plus que les groupes ou les peuples. Pendant un temps donné d'observation, ils peuvent se caractériser par des attitudes, des comportements ou des projets; mais cela n'est pas une essence. Les humains sont ontologiquement indéterminés et cette indétermination est le fondement même de leur liberté. L'histoire à venir du Parti québécois n'est pas fatale et demeure donc imprévisible.
Compte tenu de la situation particulière du Québec en Amérique du Nord, le Parti québécois pourrait devenir un simple parti nationaliste toujours vigilant à l'endroit des érosions possibles. Sur ce point, le professeur Guay fait erreur. Depuis toujours, on confond nationalisme et défense de nos droits, principalement en raison du fait que tous les gouvernements québécois ont eu le fédéral comme adversaire. Or, un parti nationaliste ne désire pas négocier notre degré de dépendance avec le reste du Canada. Un parti nationaliste désire plutôt rompre ce lien de dépendance qui nous retient. Pour cette raison, tout parti se disant nationaliste doit prôner la rupture de ce lien de dépendance avec le reste du Canada et, par conséquent, défendre le projet d'un Québec indépendant et souverain.
Un projet qui ne se vend plus
Le professeur Guay prétend que l'idée d'un Québec souverain n'est plus vendable, les raisons de ce projet n'interpellant plus les Québécoises et les Québécois. Je tiens à rappeler que l'appui au projet souverainiste n'a cessé d'augmenter depuis le début des années 60, malgré la « fatigue chronique » qui nous afflige et dont souffrent, selon le professeur Guay, tous les grands projets politiques depuis 20 ans. Est-ce dire que nous aurions atteint le maximum d'appuis possibles au projet souverainiste compte tenu de la présence de cette « culture où le mépris et le cynisme dominent » ? Encore là, notre histoire n'est pas fatale et demeure plus qu'imprévisible.
Le nationalisme québécois est l'expression normale d'une culture dont on conteste la globalité, son désir d'indépendance en particulier. Avant de porter quelques jugements de valeur sur les péchés, les déficiences, les défauts ou les exploits de cette culture, il importe dans un premier temps de l'analyser froidement comme une culture qui, même décevante à plusieurs égards, a droit à un système fait en fonction de sa globalité si cela est son souhait le plus cher. Voilà ce qui importe sur le plan de la raison !
Le professeur Guay mentionne que la question nationale a mobilisé toute notre attention depuis près de 40 ans, négligeant le débat gauche-droit au sein de la société québécoise. Est-ce à dire qu'il existe une prescription sur notre avenir collectif ? Pourtant, le débat gauche-droit est de plusieurs années l'aîné de la question nationale et je ne vois pas pourquoi il aurait préséance. Enfin, si le professeur Guay maintient sa position, aura-t-il l'odieux de dire que les revendications des femmes n'ont plus leurs raisons d'être, ayant passé le cap des 40 ans depuis nombre d'années ? Quarante ans dans la vie d'un peuple n'est rien aux yeux de l'humanité.
Que faire ?
Contrairement à la suggestion du professeur Guay, je préconise que le Parti québécois s'engage, lors des prochaines élections, à tenir un référendum sur la souveraineté du Québec au cours de son premier mandat. Cette proposition comporte de nombreux avantages. Elle a le mérite d'imposer un calendrier au gouvernement pour la tenue d'un référendum. Elle pousse par ailleurs les différents acteurs impliqués dans ce grand projet collectif à se concerter et à s'organiser. Cette option n'a pas le désavantage d'être en attente d'une assurance morale ou de conditions soi-disant gagnantes. Cette option d'une élection référendaire a le mérite d'imposer sa propre dynamique et de créer des conditions favorables à la tenue d'une consultation populaire portant sur la souveraineté du Québec. Parce qu'une proportion importante des électeurs aura appuyé le programme électoral du Parti québécois, celui-ci aura toute la légitimité pour imposer un calendrier visant la tenue d'un référendum portant sur l'avenir du Québec.
Certains diront que cette obligation de tenir un référendum risque de diminuer les chances du Parti québécois de remporter les prochaines élections, certains électeurs appuyant d'autres formations politiques face à la menace référendaire. Toutefois, si le Parti québécois n'est pas en mesure de convaincre plus de 40% des électeurs de son projet de société dans le cadre d'un campagne électorale, nous ne voyons pas comment il sera en mesure de persuader plus de 50% de la population de voter pour un pays le temps venu. Le Parti québécois a prouvé qu'il pouvait être un gouvernement responsable. Il est temps maintenant qu'il s'affaire à réaliser son mandat premier, celui de faire le pays.
stephan_larouche@yahoo.com
_ Politologue et ancien étudiant
du professeur Jean-Herman Guay
Réplique au professeur Jean-Herman Guay
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