Lisa-Marie Gervais - Dans l’impasse depuis de nombreuses semaines, le conflit étudiant semble avoir atteint un tournant. Le premier ministre, Jean Charest, et la ministre de l’Éducation, Line Beauchamp, ont rencontré les cégeps et les universités à Québec hier après-midi pour discuter d’une sortie de crise. Le président-directeur général de la Fédération des cégeps, Jean Beauchesne, et son homologue de la Conférence des recteurs et des principaux du Québec (CREPUQ), Daniel Zizian, ont ainsi été convoqués pour faire le point sur la situation dans leurs établissements respectifs, qui devient de plus en plus critique.
Selon M. Beauchesne, les cégeps sont poussés « dans leurs derniers retranchements ». « Plus le temps passe, plus les directions des collèges vont commencer à annoncer qu’elles ne sont plus capables de faire rattraper les cours d’ici le 30 juin. » Plusieurs cégeps n’auront pas le choix de reporter la fin de la session d’hiver au mois d’août, après les vacances d’été, note-t-il. La double cohorte à l’automne n’est pas non plus viable.
S’il a déjà eu des échanges avec M. Charest et Mme Beauchamp, M. Zizian reconnaît pour sa part que c’est la première fois qu’il se rend à Québec pour rencontrer le premier ministre au sujet de la grève. Le conflit s’enlise et c’est en cela qu’il y a « urgence ». « On pensait que c’était le tournant il y a un mois, on pensait que c’était le tournant après la proposition gouvernementale et on pensait que ce l’était lorsque les fédérations étudiantes ont fait leur proposition, mais c’était finalement décevant. Plus le temps file et plus on souhaite qu’il y ait un événement ou une démarche qui permette de sortir de l’impasse actuelle », a dit en entrevue au Devoir le p.-d.g. de la CREPUQ.
Il se fait toutefois avare de commentaires sur les solutions évoquées lors de la rencontre avec M. Charest et Mme Beauchamp. « On a eu des échanges et l’élément principal était comment on peut trouver un espace de dialogue, a-t-il indiqué. Il y a une volonté de trouver un espace de dialogue [avec les étudiants] ». Le réseau universitaire mettra tout en oeuvre pour ne pas pénaliser les finissants du cégep, dont la rentrée à l’université est conditionnelle à l’obtention d’un diplôme d’études collégiales, ce qui risque d’être retardé.
Vers une annulation ?
Si divers scénarios ont été évoqués, l’annulation de la session n’est pas retenue pour l’instant. « On a toujours été en mode rattrapage. Oui, il peut y avoir suspension des cours et ils pourraient être reportés au trimestre d’automne ou à l’hiver suivant, selon les disponibilités des professeurs et des chargés de cours », a expliqué M. Zizian. Il ajoute qu’à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), où on avait annoncé la possibilité d’annulation de cours sans remboursement, il y a eu une mauvaise interprétation des règlements. « Il y a une possibilité qu’il y ait abandon, mais venant de la part de l’étudiant lui-même. » Entre autres, l’UQAM et l’Université du Québec en Outaouais (campus Gatineau) ont reporté leur trimestre d’été.
À la Fédération des cégeps, on souligne que cette possibilité d’annulation existe désormais. « On est à huit cégeps qui ont huit semaines ou plus de grève. L’annulation, c’est une hypothèse qui commence à circuler, mais on n’en est pas là comme réseau. L’annulation est maintenant envisagée, alors qu’au début c’était écarté », a dit Caroline Tessier, la directrice des communications à la Fédération des cégeps. Plus de 18 cégeps sont touchés par le mouvement de grève au Québec et du lot, 16 sont en grève depuis sept semaines et plus, selon la Fédération des cégeps. Les étudiants du cégep de Sherbrooke ont toutefois voté hier pour un retour en classe lundi.
Le porte-parole de la Coalition large de l’Association pour une solidarité syndicale étudiante (CLASSE), Gabriel Nadeau-Dubois, a confirmé que les associations ont le mandat de consulter leurs membres sur leur position devant une éventuelle annulation. « Devant le fait que la grève se prolonge et devant les perspectives électorales, qui risquent, si elles sont déclenchées, de donner cinq semaines de plus à la grève, c’est une réflexion qui commence à se faire. Est-on prêt à faire ce sacrifice-là d’annuler la session ? […] On a fait un appel aux associations locales de commencer à tenir ce débat-là, si jamais ça arrive, il va falloir prendre une position », a-t-il dit en marge d’une conférence de presse où il a dévoilé la contre-offre de la CLASSE.
Injonctions et lois spéciales
Au moins huit cégeps sont présentement visés par des injonctions au Québec, dont celui de Sherbrooke jusqu’à lundi, mais les ordonnances sont loin d’être respectées dans certains établissements, où les cours sont souvent levés. Au collège de Maisonneuve, toutefois, une entente survenue entre la direction et les étudiants a permis hier aux demandeurs de la requête de suivre leurs cours, a indiqué le directeur général, Réginald Lavertu. À Saint-Hyacinthe aussi, les cours d’un étudiant ayant obtenu une injonction ont été donnés.
Pour le reste, la situation est préoccupante, selon Me Frédéric Bérard, de l’Université de Montréal. « On ne respecte pas la règle de droit actuellement au Québec. Je ne dis pas que les revendications et manifestations sont problématiques, mais le non-respect des injonctions, c’est un problème pour la primauté du droit. C’est un outrage au tribunal. » Hier, le ministre de la Justice du Québec, Jean-Marc Fournier, demandait à nouveau aux étudiants de respecter les injonctions. « Les droits sont actuellement brimés. Les injonctions doivent être respectées. »
Est-ce que le gouvernement aurait le pouvoir d’adopter une loi spéciale pour forcer un retour en classe pour tous les étudiants ? Oui, selon le professeur de droit à l’Université Laval Christian Brunelle, qui précise toutefois que ce serait une mesure « inusitée ». « Ce serait sans précédent. En général, les lois spéciales viennent toujours avec des amendes assez importantes en cas de non-respect et dans ce cadre, ça pourrait avoir une certaine efficacité. Mais sur le plan politique, ce serait un geste considérable. Une loi spéciale est un geste ultime. Ça pourrait envenimer le conflit avec les étudiants, plutôt que de les calmer. »
Quant à l’idée d’une loi spéciale pour forcer le vote secret dans les établissements d’enseignement, évoquée hier par Gabriel Nadeau-Dubois, ce serait beaucoup trop lourd, toujours selon le professeur Brunelle. Des agents de l’État devraient vraisemblablement superviser les assemblées étudiantes à travers le Québec.
Avec Mélissa Guillemette
Rencontre pour une sortie de crise à Québec
Beauchamp et Charest rencontrent la direction des cégeps et des universités
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