Rencontre sous haute tension

Ottawa consent à quelques demandes, pendant que des milliers d’autochtones manifestent toujours un peu partout au Canada

Ottawa : bien loin de régler la question autochtone

Ottawa — La rencontre de Stephen Harper avec les Premières Nations se sera déroulée sous haute tension et au sein de profondes divisions parmi les chefs autochtones du pays. Car si les représentants d’une majorité de provinces ont accepté de rencontrer le premier ministre, les chefs régionaux de trois autres ont boycotté la réunion, accusant le chef national de ne pas avoir respecté leur requête d’y voir aussi le gouverneur général. Quant aux résultats annoncés, eux aussi sont mitigés.
Les chefs autochtones qui ont pris part aux pourparlers de quatre heures avec le premier ministre et des membres de son gouvernement auront obtenu gain de cause à l’une de leurs principales demandes : Stephen Harper a annoncé qu’il allait « entreprendre des dialogues de haut niveau au sujet des relations découlant des traités et des revendications globales ». Et les dossiers touchant les autochtones seront sous la supervision de son propre bureau de même que du bureau du Conseil privé. L’Assemblée des Premières Nations (APN) avait prévenu cette semaine que cela était essentiel « pour rétablir le lien de confiance » entre les communautés et le fédéral. Les leaders des Premières Nations avaient en outre espéré qu’Ottawa s’engage à tenir d’autres pourparlers dans un avenir proche, autre demande consentie par Stephen Harper. Le premier ministre a promis de revoir le chef national de l’APN, Shawn Atleo, dans les prochaines semaines afin de faire le point et d’« examiner les prochaines étapes à franchir ».
« Le gouvernement demeure résolu à maintenir un dialogue permanent relativement aux enjeux liés aux autochtones, et à franchir des étapes réalisables qui donneront de meilleurs résultats pour les communautés des Premières Nations », a fait valoir le porte-parole du premier ministre, dans une déclaration par courriel. Après avoir irrité plusieurs chefs en annonçant qu’il ne serait présent qu’au début et à la fin de la rencontre, le premier ministre a finalement décidé de rester pendant l’entièreté de la réunion.
Mais quant aux autres demandes des chefs autochtones, Ottawa n’a pas montré la même ouverture.
Pas de changement donc aux projets de loi budgétaires de la dernière année, C-38 et C-45, qui ont modifié plusieurs lois environnementales de même que le processus de location de terres sur les réserves. L’APN réclamait que l’« agenda » législatif d’Ottawa soit revu, afin d’assurer qu’il n’enfreigne pas les droits des autochtones. « Nous sommes très à l’aise à l’effet que nous avons respecté nos obligations constitutionnelles quant à ces lois », a tranché le ministre des Affaires autochtones, John Duncan. Rien non plus en ce qui concerne les revenus provenant de l’exploitation des ressources naturelles, dont les Premières Nations voulaient toucher leur part. « La question devra être dirigée vers les provinces », a rétorqué le ministre. L’APN revendiquait par ailleurs que soit créée une Commission nationale d’enquête publique sur la violence faite aux femmes autochtones et que chaque réserve compte son école ; des demandes que n’a pas abordées le ministre Duncan en point de presse.
Forte division
Pris entre l’arbre et l’écorce avec cette rencontre avec Ottawa, le chef de l’APN, Shawn Atleo, a quant à lui fui les médias toute la journée vendredi. Personne ne l’a vu rentrer, ni sortir, et son bureau a indiqué qu’il n’offrirait aucune entrevue, ni même un communiqué de presse pour réagir à l’issue de la réunion.
C’est que la réunion de vendredi ne faisait pas l’unanimité parmi les chefs autochtones. Elle a au contraire débuté en marge de cris de manifestants qui occupaient la rue, au pied de l’édifice Langevin qui abrite les bureaux du premier ministre. Plus d’un millier de manifestants avaient parcouru les deux kilomètres qui séparent la colline parlementaire de l’île Victoria, où la chef d’Attawapiskat mène sa grève de la faim depuis maintenant un mois. La foule s’était massée devant la porte principale de l’édifice Langevin, tentant de bloquer l’entrée à la vingtaine de chefs régionaux qui avaient décidé de prendre part aux pourparlers et qui ont dû entrer par les rues adjacentes.
Et c’est ce qui sera en outre ressorti de cette rencontre, soit que les chefs des Premières Nations sont fortement divisés, car le dialogue proposé par Stephen Harper a été accueilli par deux factions.
Dans le camp de Shawn Atleo, les chefs du Québec, des Maritimes, de l’Alberta, de la Colombie-Britannique et du Yukon, de même que certains de la Saskatchewan, préféraient des pourparlers imparfaits plutôt que de ne rien discuter du tout.
« Nous avons une responsabilité envers les gens de nos communautés », a défendu le chef régional du Québec, Ghislain Picard. « Nous devons utiliser toutes les avenues possibles pour transmettre notre message. […] On n’est pas ici que pour manifester. On a des solutions à proposer », a renchéri Matthew Coon Come, ancien chef national de l’APN.
Mais dans le camp adverse, les chefs du Manitoba, de l’Ontario et des Territoires-du-Nord-Ouest réclamaient que Shawn Atleo snobe lui aussi l’invitation du premier ministre, en solidarité avec la chef d’Attawapiskat. Ils réclamaient que M. Harper vienne plutôt à leur rencontre dans un hôtel d’Ottawa, et surtout accompagné du gouverneur général, puisque c’est avec la Couronne qu’ont été signés les traités ancestraux.

Le sort d’Atleo incertain
Après une nuit de négociations de jeudi à vendredi, Shawn Atleo n’avait pas réussi à convaincre le premier ministre d’inviter le gouverneur général, ni ses collègues de ne pas lui en vouloir d’aller à la rencontre du gouvernement pour défendre leur cause. « S’il décide d’entrer, c’est quelque chose qui ira à l’encontre de la décision d’hier [jeudi] soir », a prévenu le chef Glenn Hudson de la réserve de Peguis, au Manitoba, quelques minutes avant le début de la rencontre. Qui plus est, il a rappelé qu’une assemblée spéciale pouvait être conviée par des chefs pour décider du sort du chef national. « Si la résolution d’hier soir n’a pas été respectée, quelqu’un doit en répondre », a-t-il laissé tomber. La Constitution de l’APN prévoit que « le chef national n’aura pas d’autorité politique inhérente ».
Mais les partisans de M. Atleo rétorquent en revanche que cette impression de division ne provient que d’une « poignée » de chefs de l’Ontario, du Manitoba et de la Saskatchewan. « Nous n’avons pas voté pour Theresa Spence comme chef nationale », a argué le grand chef Doug Kelly de la Colombie-Britannique.
Theresa Spence n’a pas fini sa lutte
Plaidant se montrer fidèle aux demandes présentées depuis le début de sa grève de la faim, la chef d’Attawapiskat a réitéré qu’une rencontre sans le gouverneur général était inacceptable. « Il est important qu’ils soient là tous les deux, en même temps, avec tous les chefs, pas seulement quelques chefs », a-t-elle accusé devant son campement de l’île Victoria, en refusant de recommencer à manger.
Si elle n’a pas daigné se présenter à la réunion de Stephen Harper, la chef Spence a cependant été à la rencontre du gouverneur général en soirée, tout comme des dizaines d’autres chefs. À l’invitation du premier ministre, David Johnston a accepté de tenir une rencontre protocolaire à Rideau Hall, menée derrière des portes closes.

D’autres manifestations à venir
Tout indique donc que la rencontre de vendredi n’aura pas suffi à apaiser les tensions dont ont témoigné les manifestations des dernières semaines. Les chefs qui ont boycotté la réunion ont prévenu qu’ils organiseraient le 16 janvier une « journée nationale d’action » à l’occasion de laquelle de nouvelles barricades seraient érigées. « Nous allons bloquer tous les corridors de cette province », a averti Gordon Peter, grand chef de l’Ontario.
S’il se targue que son gouvernement ait accompli de grands progrès, le ministre Duncan a refusé de reconnaître le mouvement de manifestations qui sévit au pays. Interrogé à savoir de quelle façon l’issue de cette rencontre viendrait calmer ces soulèvements, M. Duncan a simplement rétorqué que chacun était « libre de manifester, pourvu que ce soit fait dans le respect de la loi ». Pour le reste, ce n’était pas le mandat de la rencontre que de calmer les protestations, a-t-il conclu.

Avec Manon Cornellier et La Presse canadienne


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé

-->