PIERRE ALLARD
Le Droit
Sous la gouverne de Stephen Harper, le gouvernement canadien nous a inondés ad nauseam depuis quelques années de symboles monarchistes: retour de l'appellation «royale» pour l'aviation et la marine canadiennes, portraits de la reine affichés au ministère des Affaires extérieures et dans les ambassades, célébration à l'excès du jubilé de diamant d'Élizabeth II, sans oublier le renforcement du cordon ombilical britannique avec la commémoration tous azimuts de la guerre de 1812.
Le pire, c'est que tout cet élan monarchique ne suscite pas de fierté excessive au pays, même au sein d'une partie importante du Canada anglais. Au Québec et chez les francophones en général, l'opinion oscille surtout entre l'indifférence et l'irritation quand les appartenances «royales» sont mises en évidence. Un sondage récent de l'Association d'études canadiennes révélait à cet égard qu'à peine 14% des francophones du Canada (et 16% de tous les Québécois) considéraient la monarchie comme source importance de fierté personnelle ou collective.
À l'extérieur du Québec, on peut comprendre que la Couronne puisse attiser les braises patriotiques de Canadiens d'origine britannique, mais on a peine à croire qu'elle entraîne autant de ferveur chez les millions de ressortissants d'autres pays et traditions. Une conclusion apparaît évidente, toutefois: même si elle ne semble pas provoquer de fort courant d'opposition, la monarchie n'intéresse plus grand monde au Québec et dans l'ensemble du Canada français. Le temps serait-il mûr pour une bonne discussion sur l'utilité et l'opportunité de la Couronne comme symbole de l'autorité de l'État?
Il est douteux qu'un tel débat trouve des assises au Canada anglais, mais le Québec d'après-Révolution tranquille s'est montré ouvert à une remise en question des vieux acquis imposés à une époque où l'on se méfiait d'une démocratie aux mains d'une majorité canadienne-française. Le Conseil législatif (l'ancien Sénat québécois) a été aboli dans les années soixante, l'Assemblée législative a été rebaptisée Assemblée nationale, et le statut privilégié de l'anglais a été largement supprimé. Ce dont on se souvient moins, c'est qu'en 1968, le gouvernement Johnson avait proposé à Ottawa de transformer le Québec en république fédérée au sein du Canada.
Cette idée de république, qu'on a peu revue depuis la rébellion des Patriotes en 1838, nous obligerait à repenser les fondements philosophiques de notre régime parlementaire. Dans notre monarchie, l'autorité s'incarne dans le souverain. Le monarque reste le chef d'État, même si le pouvoir réel est détenu par un gouvernement élu. Dans une république, le peuple est souverain et le chef d'État, le plus souvent un président, est élu par l'ensemble des citoyens. Un tel régime serait éminemment compatible avec notre démocratie parlementaire.
Sans présumer du statut éventuel du Québec dans le cadre de l'union canadienne, rien n'empêche, théoriquement, une province d'amender ses statuts pour se donner une constitution s'orientant vers des valeurs de type républicain. L'Assemblée nationale a déjà souhaité en 1996 la suppression du poste de lieutenant-gouverneur «essentiellement symbolique et hérité du passé colonial».
Ne pourrait-on pas proposer à Ottawa l'abolition pure et simple du vice-roi au Québec, et mettre du même coup en chantier - nous ne manquons pas d'experts - un projet de nouvelle constitution québécoise incorporant des éléments pouvant être mis en oeuvre sans négociations fédérales-provinciales?
Le gouvernement Marois, tout minoritaire qu'il soit, a bien d'autres chats à fouetter par les temps qui courent. Mais dans le sillage du printemps «érable», peut-être un bon débat sur les assises de l'État susciterait-il un certain intérêt au sein des autres partis et du public, surtout si les échanges qui en découlent pouvaient mener à l'élaboration collective d'une nouvelle loi fondamentale issue de principes plus démocratiques et adaptée au caractère distinct du Québec.
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