Dans le monde de la santé, nous avons assisté au cours de la dernière décennie à un foisonnement d'initiatives coopératives tout à fait digne de mention. Près d'une centaine de nouvelles coopératives ont ainsi vu le jour dans les domaines des services à domicile, de l'hébergement, des services ambulanciers et dans celui des cliniques médicales.
Chaque fois, c'est une collectivité qui se mobilise pour prendre en charge la satisfaction de ses besoins. Chaque fois, la grande polyvalence, la grande «malléabilité» du modèle coopératif représentent un avantage indéniable. Chaque collectivité qui se lance dans l'aventure coopérative a en effet la possibilité d'adapter le modèle à sa situation et son environnement particuliers.
Je suis à ce sujet convaincu que c'est parce que le modèle coopératif est un modèle vivant qu'il est pour l'avenir encore un modèle gagnant.
Nous sommes en mesure de constater que les cliniques coopératives, en plus de répondre aux besoins exprimés par les forces vives du milieu, soulèvent de plus en plus l'intérêt d'un certain nombre de médecins.
En effet, les jeunes médecins, de même que les plus âgés qui se dirigent vers leur retraite, choisissent de se consacrer davantage à leur pratique médicale plutôt qu'à la gestion administrative d'une clinique médicale. La clinique coopérative a pour eux l'avantage de gérer les affaires administratives, soit par exemple la facturation, la location des locaux à d'autres professionnels de la santé, la gestion du personnel, l'entretien des lieux, l'achat de fournitures et d'équipements.
Impact réel
Outre les motivations et le contexte qui expliquent la création de ces cliniques coopératives, les travaux du Conseil de la coopération du Québec permettent de croire que ces dernières ont aussi un impact important sur le développement de leur milieu.
Une recherche récente menée par l'économiste Pierre Péloquin visait à mesurer les impacts économiques et sociaux de la présence de la coopérative clinique santé sur la communauté d'accueil de Saint-Étienne-des-Grès, soit la municipalité qui a vu naître une première clinique coopérative en 1996. La méthodologie utilisée a consisté à comparer l'évolution de plusieurs indicateurs de développement à Saint-Étienne-des-Grès avec 450 municipalités de même taille.
La comparaison des indicateurs économiques et sociaux sur une période de dix ans laisse voir des résultats intéressants à Saint-Étienne-des-Grès. Qu'il s'agisse de la baisse du chômage, de l'accroissement de la population ou de l'évolution des déclarants d'impôts, les résultats de l'étude permettent d'affirmer que la prise en charge citoyenne a un effet levier qui contribue à améliorer les conditions économiques et sociales d'une communauté.
C'est souvent en réaction à la perte de ressources spécialisées en santé que les citoyens se mobilisent pour créer leur clinique coopérative. La formule de clinique médicale coopérative représente également une formule intéressante dans la mesure où elle constitue une réponse au problème d'accessibilité à des services de santé en plus d'être une solution de rechange à la marchandisation de la médecine dans certains milieux à plus petite densité de population.
Modèle d'affaires
Ce dernier phénomène est en train de transformer la prestation de soins de santé au Québec. Les recherches conduites par le Conseil de la coopération du Québec ont permis de déterminer l'émergence d'un nouveau modèle d'affaires à l'échelle mondiale et au Québec.
Ce modèle consiste à intégrer des services multiples en santé en un seul lieu; pharmacie, épicerie-supermarché et clinique médicale. Il encourage l'établissement des cliniques médicales là où il existe une masse critique de consommateurs et il généralise le «sans rendez-vous» sans mettre l'accent sur le suivi médical.
Le développement de ce modèle d'affaires a un impact sur la répartition infra-régionale des effectifs médicaux, et ce, sur la base des forces du marché de consommation. Ainsi, de 1500 cliniques privées avec médecins en l'an 2000, on en trouve aujourd'hui presque deux fois moins (840).
Les agents économiques facilitent l'établissement de médecins en leur fournissant des services clé en main (locaux, équipement, facturation) avec comme objectif d'augmenter l'achalandage des commerces localisés dans le même environnement. Ce modèle a aussi l'inconvénient d'évacuer toute la question de la prévention en santé, qui est pour sa part étroitement associée à l'approche coopérative.
Nous ne pouvons pourtant pas, collectivement, laisser les coûts du curatif exploser littéralement comme ils le feront du seul fait de l'évolution démographique du Québec, sans faire tout ce qui est en notre pouvoir pour en freiner le rythme en mettant notamment les citoyens au centre de la gestion de leur santé.
Un rôle à reconnaître
Le modèle de coopérative de solidarité santé que nous préconisons est à mille lieues de celui représenté par le tandem grandes surfaces en pharmacie et cliniques médicales privées, qui s'est imposé au cours des 20 dernières années dans toutes les régions du Québec. Ce dernier modèle est ainsi en train de concentrer le corps médical dans les villes d'un minimum de 10 000 habitants, et il représente pour cette raison une réelle menace pour les stratégies de développement des petites collectivités. C'est justement pour contrer la fragilisation des communautés causée par la perte de services de santé qu'émergent des expérimentations marquées par la volonté des citoyens de trouver une réponse à leurs besoins. Les citoyens se mobilisent alors pour créer leur propre clinique coopérative.
Le mouvement coopératif peut jouer un rôle de premier plan dans la responsabilisation des personnes au sujet de leur santé et la réussite d'une approche préventive dont les effets se feront sentir à moyen et à long terme. Parce que nous voyons l'avenir en termes de pérennité, que notre structure de propriété nous délivre de la tyrannie du trimestre et que nous pouvons ainsi plus librement travailler dans une perspective de long terme, nous sommes certes parmi les mieux placés pour valoriser l'effort de longue haleine et la persévérance obligatoirement associés à toute approche préventive.
Il est regrettable que la seule mention du mot «coopérative» dans le document qui sert actuellement de base à la consultation sur l'accès aux services de santé, le soit à propos d'une formule, les cliniques affiliées. La formule coopérative dans le secteur de la santé est bien plus qu'un modèle d'organisation administrative, elle a l'avantage de situer les citoyens au coeur de la gestion de leur santé et pour cela elle mérite d'être reconnue.
Le mouvement coopératif ne demande pas qu'on lui consacre plus de ressources ou d'attention que celles qui sont allouées au développement des entreprises privées classiques. Il ne demande qu'une pleine reconnaissance du potentiel qu'il représente. Tout le reste, de la mobilisation collective à l'organisation, de la prestation des services à la responsabilisation des personnes, le mouvement coopératif est capable de l'encadrer.
Alban D'Amours : Président et chef de la direction, Mouvement des Caisses Desjardins, Extraits de l'allocution prononcée par l'auteur le 13 avril devant la Commission des affaires sociales qui se penche actuellement sur la place du privé dans le domaine de la santé
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé