Notons d'abord que chez tous les peuples d'origine indo-européenne nous retrouvons le culte de l'arbre sacré. Dans toutes ces cultures, du dieu grec Prométhée au dieu germanique Loki, en passant par les légendes indiennes et jusqu'à l'histoire biblique du Jardin d'Éden, on retrouve sous différentes formes le mythe dans lequel le feu du soleil est volé aux dieux par un quelconque serpent-éclair (la foudre), qui, enflammant l'arbre de la connaissance, le transmet ensuite à l'homme.
Suivant la plupart de ces mythes, dès que l'homme acquiert l'usage du feu et apprend notamment à travailler les métaux pour s'en faire des armes, il devient supérieur à l'animal et obtient le pouvoir sur son environnement. Par cette connaissance du feu, l'humain perd l'état d'innocence (d'ignorance) dans lequel il se trouvait, de même que son état premier de symbiose totale avec la mère Nature, qui jusqu'alors s'était occupée de répondre à ses besoins. Chassé du Paradis pour ce sacrilège, il devra maintenant voir à assurer sa survie et sa reproduction.
Ayant ainsi attiré la colère des dieux contre lui, l'humain tentera symboliquement, à travers des rites, d'apaiser quelque peu cette colère. En guise d'expiation, par exemple, il placera des offrandes sacrificielles sur un arbre et y mettra le feu. Par ce geste de repentir, l'humain tente symboliquement de remettre aux dieux le feu qu'il a subtilisé au soleil par l'intermédiaire de l'arbre. Selon la tradition, lorsque l'arbre ne brûlait pas en entier du premier coup, on plaçait des brandons enflammés à ses branches, on l'abattait et on le brûlait au complet avec ses offrandes. Suivant certaines autres traditions, les morceaux du bois consumés étaient conservés précieusement tout au long de l'année dans la maison pour protéger le logis de la foudre (cette fameuse colère des dieux que l'on craignait...).
Chez les peuples des États baltes et de l'Est sibérien, la coutume voulait qu'après une chasse fructueuse, les plus beaux morceaux de viande soient suspendus à l'arbre, à la base duquel on ajoutait de la graisse et du bois sec; l'on brûlait ensuite le tout en guise de sacrifice avant de manger le reste. En Europe du Nord, c'était plutôt une énorme bûche (la bûche de Jül), que l'on introduisait dans la maison et que l'on faisait brûler; ses cendres étaient conservées non seulement pour protéger la maison de la foudre, mais également pour ses pouvoirs magiques de fécondité, disait-on. On aurait d'ailleurs trouvé des traces de cette fameuse coutume de la bûche aussi loin, paraît-il, que chez les Perses...
Du chêne au sapin
Ce serait donc cet arbre enflammé du Paradis, l'arbre du feu et de la connaissance, qui est l'origine lointaine de notre beau sapin tout illuminé. Il est d'ailleurs intéressant de noter qu'au début, l'arbre utilisé n'était pas le sapin, mais bien le chêne, précisément parce que le chêne est un meilleur conducteur de la foudre. Le chêne se faisant cependant rare, on opta plus tard pour le sapin, plus abondant et bon marché mais aussi, plus facile à faire brûler.
Comme on peut le constater, l'origine de la tradition du sapin remonterait donc bien au-delà de la fête de Noël elle-même. Les nombreuses célébrations païennes marquant le solstice d'hiver en sont autant de témoignages. Les Grecs, par exemple, décoraient déjà le chêne et, dans les villes romaines, on prenait la peine de couvrir les poteaux de branches d'arbres. Plus tard, les druides celtiques attacheront des pommes dorées aux arbres, pommes dorées rappelant évidemment le Paradis perdu, et qui symbolisent aussi par leur couleur le feu, la vie et la fécondité. De plus, on ornait habituellement les maisons de gui, une plante qui produit des fruits en hiver. Notons que cette plante était sacrée parce qu'on disait d'elle qu'elle naissait de l'arbre quand la foudre le frappait.
Culte de l'arbre
Assez étonnamment toutefois, et pendant longtemps, l'Église chrétienne interdisait formellement ce culte. Par son recours aux offrandes sacrificielles, l'Église associait le culte de l'arbre au paganisme! De plus, notons qu'à la différence d'autres grandes religions, la religion judéo-chrétienne considérait le feu, obtenu par l'intermédiaire du serpent-éclair, comme un don maléfique; associé à l'enfer et à Lucifer, le feu, pourtant porteur de lumière et de connaissance dans la plupart des traditions religieuses, fut longtemps considéré par la religion judéo-chrétienne comme l'ennemi satanique de Dieu, et l'humanité qui a osé en accepter les pouvoirs comme une très grande pécheresse...
Lorsque, par exemple, Saint-Boniface arriva chez les populations nordiques pour les convertir, la première chose qu'il fit fut d'ordonner l'interdiction de ce culte omniprésent. Ce n'est que beaucoup plus tard, avec la Réforme, au moment où le pouvoir de l'Église catholique romaine commença à s'effriter dans plusieurs régions devenues protestantes, que l'on vit resurgir ce culte de l'arbre sacré. Mais ce n'est véritablement qu'à la fin du XVllle siècle, du siècle des Lumières et de la Révolution française, que l'Église, affaiblie, dût accepter de se plier à cette coutume fortement ancrée dans la population. Considérant tout cela, il est à mon avis beaucoup plus juste de parler de sapin des fêtes ou des réjouissances que de sapin de Noël.
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Pierre Desjardins, Auteur et professeur de philosophie
Sapin de Noël ou sapin des fêtes?
Qu'en est-il vraiment de cette tradition?
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