Fiction

Si le Oui avait gagné

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Scénario improbable de Lisée : jamais Trudeau n'aurait accepté le résultat du premier référendum qui ne portait pas sur la souveraineté


Quarante ans se sont écoulés depuis la victoire-surprise des indépendantistes au référendum du 20 mai 1980. Comme pour son élection quatre ans plus tôt, René Lévesque ne croyait pas à cette victoire. Les sondages avaient donné au camp du Oui une réelle avance avant la campagne référendaire et au tout début de celle-ci, mais la vague fédéraliste avait semblé dominer les 15 derniers jours. René Lévesque en était réduit à en appeler publiquement à un « sursaut » des électeurs, qui changeraient la donne au dernier moment.


Les quelques rares interventions du premier ministre canadien, Pierre Trudeau, avaient fait grand bruit en fin de campagne. Lors d’une assemblée publique, il avait déclaré que lui et ses députés québécois mettaient leurs « sièges en jeu » pour obtenir un Non. Personne n’avait complètement compris ce qu’il voulait dire [Ce qui précède est réellement arrivé.].


Lorsque, le soir du 20 mai, l’animateur de télé Bernard Derome annonça : « Si la tendance du vote se maintient, Radio-Canada prévoit la victoire du Oui au référendum sur la souveraineté du Québec », une énorme acclamation se fit entendre au Centre Paul-Sauvé, où étaient réunies les troupes du Parti québécois. Le Oui l’emportait avec 52,33 % des voix. Beaucoup pleurèrent, de joie. La consternation était d’une égale force au camp du Non et dans tout le Canada, aucunement préparé à cette éventualité.


Entouré sur scène d’une foule dense de députés et de partisans, un René Lévesque presque sans voix déclara : « C’est le début d’un temps nouveau ! » Et répéta, pour la seconde fois en quatre ans : « Je n’ai jamais été aussi fier d’être québécois. » Il invita ses partisans à se réjouir, oui, mais aussi à se montrer patients et résilients, car si le référendum était gagné, il fallait maintenant gagner la souveraineté elle-même.


Tous les regards étaient tournés vers Ottawa pour en saisir la réaction. Auparavant, Pierre Trudeau avait mis en cause le libellé de la question et la légitimité d’une majorité courte. Il avait même annoncé que ni lui ni le gouvernement canadien n’aurait, en cas de victoire du Oui, mandat de négocier quoi que ce soit avec le Québec.




1980

Le geste historique de Trudeau




Un simple porte-parole vint annoncer devant les journalistes que le gouvernement fédéral « prenait acte » des résultats du référendum, que le Conseil des ministres se réunirait le lendemain matin et que le premier ministre ferait ensuite part de sa réaction officielle. Le temps suspendait son vol.


Pierre Trudeau allait expliquer dans ses mémoires [Cette citation apparaît effectivement dans les mémoires de Pierre Elliott Trudeau.]:


« C’est le sort du Canada qui se trouvait en jeu et, par voie de conséquence, celui de notre gouvernement. Car, dans mon esprit, il ne faisait pas le moindre doute que je devrais démissionner si les séparatistes gagnaient ce référendum. En pareille occurrence, il m’aurait fallu conclure : “J’ai perdu la confiance du peuple québécois qui a choisi de quitter la fédération canadienne.” »


Pour Trudeau, cette défaite était d’autant plus amère que, depuis son entrée en politique fédérale, 15 ans plus tôt, il avait toujours eu la confiance des électeurs québécois. Il avait remporté l’élection précédente, en février 1980, avec 68 % des voix au Québec. Perdre le référendum dans la foulée était un terrible échec. Sa décision de se retirer n’était pas un coup de tête, il avait avisé son ministre Jean Chrétien et plusieurs autres de sa détermination à démissionner en cas de défaite. Mais ce n’était alors qu’une hypothèse. Allait-il la mettre à exécution ?


Le compte rendu du conseil des ministres canadien du 21 mai 1980, désormais déclassifié, montre combien une majorité de ministres, anglophones et francophones, ont tenté de convaincre Pierre Trudeau de revenir sur sa décision. Tous les arguments furent utilisés, y compris ceux que le premier ministre avait lui-même employés dans le passé pour dénoncer le référendum, la question, la majorité requise.


Lorsque Jean Chrétien prend la parole, c’est pour proposer la tenue d’un « contre-référendum » organisé par le fédéral, qui demanderait : « Voulez-vous la séparation, oui ou non ? » [Jean Chrétien a proposé à Brian Mulroney de poser cette question aux Québécois à l’occasion du référendum de 1992 sur l’accord de Charlottetown.] Il se dit certain de sa victoire, le cas échéant. Seuls quelques ministres des Prairies et de l’Ouest affirment timidement qu’un refus de la décision québécoise traînerait le pays dans une autre décennie de débats centrés sur le Québec et qu’il serait peut-être temps, après tout, de passer à autre chose.


Trudeau écoute, inflexible. Il est personnellement meurtri. Le verdict référendaire est pour lui un désaveu de tout ce qu’il a tenté d’accomplir en 25 ans. La Loi sur les langues officielles. Son combat pour le bilinguisme fédéral, pour les écoles françaises dans les provinces anglophones. La construction à Ottawa d’un French power tel que le pays n’en avait jamais connu. Sa lutte contre le nationalisme québécois, qu’il voyait comme un repli sur soi, un prolongement du duplessisme, alors qu’il proposait, lui, aux Québécois de prendre les rênes du Canada et de rayonner dans le monde. S’il avait gagné ce référendum, il serait allé encore plus loin et aurait enchâssé dans la Constitution canadienne les droits des Canadiens français, pour que son œuvre dure, pensait-il, « mille ans ».


« M. Trudeau a donné sa parole aux Québécois », affirme son lieutenant, le ministre Marc Lalonde, aux ministres rassemblés. Il lui avait conseillé de ne pas le faire, mais bon, il l’a fait. « Il l’a donnée, lui, répond un ministre ontarien non identifié dans le compte rendu, mais pas nous. Pas nous ! »


Quand Trudeau prend la parole pour clore le débat, chacun constate qu’il n’a pas été ébranlé par ce qu’il a entendu.


« Si nous n’avions pas participé à la bataille, nous pourrions refuser le verdict. Mais nous avons décidé, ensemble, de peser de toutes nos forces dans le combat référendaire. Tous nos députés québécois, tous nos militants, Jean [Chrétien] a mis à profit tous les budgets de publicité fédéraux. Malgré cela, les séparatistes ont gagné. Le Canada devrait-il refuser le verdict ? Devrait-il négocier la séparation ? Devrait-il offrir autre chose ? Ce sont de bonnes questions.


Mais comment pouvons-nous prétendre, autour de cette table, parler au nom du Canada ? Je suis député de Montréal, comme toi, Marc. Jean, tu es député de Shawinigan. Notre gouvernement ne repose que sur 73 députés hors Québec. Le Parti conservateur en détient à lui seul 103.



 


Le Canada a besoin aujourd’hui d’un gouvernement issu du Canada pour affronter ce défi. Il ne peut pas être dirigé par des députés issus du Québec, comme moi, et fonder son autorité sur des députés du Québec.


C’est avec tristesse mais dignité que je vais présenter au gouverneur général la démission de notre gouvernement et lui conseiller, comme c’est mon droit constitutionnel, d’offrir au chef de l’opposition de former un nouveau gouvernement sans déclencher d’autres élections. Je me rendrai ensuite au caucus québécois du parti pour inciter tous ses membres à remettre leur démission. »


Le compte rendu s’arrête là, mais les témoins rapportent qu’on a entendu beaucoup de « No, no ! » et de « Ça s’peut pas ».




1981-1982

Les négociations




Le nouveau premier ministre, Joe Clark, n’avait pas la moindre intention de tenter de retenir le Québec dans la fédération. Lorsqu’il avait été brièvement premier ministre, en 1979-1980, il avait d’ailleurs mis la hache dans les budgets que les libéraux avaient prévus pour un éventuel référendum, disant que cette question était, je cite, « l’affaire des Québécois ». Il avait été relativement discret pendant la campagne du référendum, invitant évidemment les citoyens à voter contre, mais affirmant qu’en cas de victoire du Oui, il serait prêt à négocier avec René Lévesque [Joe Clark a réellement fait ces déclarations.].


L’heure était venue. La presse canadienne-anglaise, y compris la Gazette de Montréal, réclamait de Joe Clark qu’il refuse la négociation. L’appel de Trudeau à son caucus québécois avait été diversement accueilli.


Quelques députés avaient remis leur démission. D’autres, qui venaient tout juste d’être élus en février, se trouvaient sans ressources et refusaient de… refuser leur chèque. Ils annonçaient cependant qu’ils allaient s’absenter de la Chambre et se concentrer sur le travail en circonscription.


La plupart des députés anglophones québécois voulaient continuer le combat et choisirent Jean Chrétien pour diriger en Chambre leur caucus. Leur relation avec le reste du caucus libéral canadien allait devenir très difficile à gérer, les autres libéraux étant tiraillés entre la bataille d’arrière-garde menée par Chrétien et consorts pour garder le Québec dans le Canada et leur propre volonté de « refonder » leur parti dans le reste du pays pour affronter les conservateurs aux élections suivantes.


Derrière tout ce bruit, l’essentiel était de comprendre la position du gouvernement Clark. Trudeau avait raison, le gouvernement Clark était vraiment canadien. Son parti n’avait qu’un député au Québec, Roch Lasalle, un nationaliste qui n’était pas entré au Cabinet. Le Conseil des ministres de Clark n’était constitué que d’élus de l’Ontario, des Maritimes et de l’Ouest, en particulier des Albertains. Ils étaient évidemment déçus du départ du Québec, mais le calcul politique était clair.


Une fois le Québec rayé de la carte électorale canadienne, le Parti conservateur, et non le Parti libéral, devenait le parti naturel de gouvernement. Clark avait donc tout avantage à conclure le départ du Québec le plus rapidement possible, certainement avant l’élection fédérale suivante.


Le ministre des Finances avait jugé que rien ne pouvait empêcher le Québec d’utiliser le dollar canadien, et qu’il était dans l’intérêt des Maritimes et de l’Ontario de ne pas établir de frontières commerciales avec la province. Cependant, il ne devait pas être question d’« association » avec le Québec. Tout ce qui pouvait être séparé le serait. Seul serait préservé ce qui était indubitablement dans l’intérêt du Canada.


Cette position simplifiait évidemment la négociation. Après la démission de Trudeau, le dollar canadien avait chuté de 20 % et la valeur des entreprises canadiennes en Bourse avait également accusé un net recul. Bay Street réclamait une stabilisation rapide de la situation, donc un règlement avec Québec.


L’Ontario avait un souhait crucial : que le Québec reste dans le pacte de l’auto avec les États-Unis, qui faisait que l’Ontario produisait les voitures américaines pour le marché canadien tout entier. Le Québec parti, les usines ontariennes perdraient le quart de leurs ventes et de leurs emplois. Au gouvernement Lévesque, Jacques Parizeau souhaitait au contraire que le Québec négocie son propre pacte de l’auto avec les États-Unis, et qu’il obtienne en retour la construction, au Québec, des voitures américaines achetées par les Québécois.


René Lévesque lia cette question à celle du pétrole. À l’époque, tout le Canada payait son pétrole, essentiellement produit en Alberta, à un prix moindre que le prix international. La campagne du Non avait d’ailleurs beaucoup joué sur l’augmentation du prix de l’essence qui se produirait en cas d’indépendance.

« On reste dans le pacte de l’auto si on reste dans le pacte du pétrole », avait déclaré Lévesque. Une position qui avait semé la bisbille au sein du gouvernement Clark, opposant les ministres ontariens aux ministres albertains. Le consensus était impossible. Le Québec se retirerait donc du pacte de l’auto et paierait, pensait-on, son pétrole plus cher.


Mais la crise économique qui a frappé l’Occident à compter de 1981 allait faire baisser le prix international du pétrole, et attirer des files de consommateurs ontariens venus faire le plein au Québec pour économiser quelques sous.


La question la plus difficile reposait sur la proportion de la dette canadienne qui devait revenir au Québec. De la dette, mais aussi des actifs, bien sûr. Ottawa pensait que cette proportion devait être égale au nombre de Québécois dans le Canada, donc à 24 %. Le Québec estimait au contraire que, puisqu’il n’abritait que 17 % des actifs fédéraux — comme les immeubles, les ports et les aéroports —, il ne devrait hériter que de 17 % de la dette. Après six mois d’impasse, Québec et Ottawa acceptèrent de soumettre la question à un arbitrage international qui, essentiellement, coupa la poire en deux.


La question autochtone devenait la plus épineuse. Le gouvernement Lévesque avait proposé aux Autochtones de négocier de nouvelles ententes qui feraient de Québec leur seul interlocuteur. Jusque-là, le gouvernement fédéral et celui du Québec intervenaient à divers titres dans les réserves.



 


Mais dans des consultations pré et postréférendaires, la majorité des 11 nations présentes au Québec s’étaient exprimées contre l’offre, et contre l’idée même d’indépendance pour le Québec. De plus, légalement, la Couronne britannique était fiduciaire des Autochtones et ceux-ci, craignant de perdre des droits issus de traités conclus avec la Couronne dans le passé, organisèrent des manifestations à Londres devant le palais de Westminster pour réclamer que la reine conserve ce rôle [Ces manifestations ont bien eu lieu, mais ce fut en 1981, lorsque le Canada a voulu rapatrier sa Constitution et hériter du rôle fiduciaire de la reine.]. Ce qui embêtait considérablement la première ministre, Margaret Thatcher, qui aurait voulu se débarrasser de ce problème.


Cette question, très médiatisée aux États-Unis et ailleurs, semblait inextricable. Lévesque, conseillé par le ministre-constitutionnaliste Jacques-Yvan Morin, choisit de « découpler » la question autochtone de l’indépendance. D’une part, il décida que le statu quo aurait cours pour tous, indéfiniment. La reine resterait la fiduciaire, Ottawa continuerait à fournir des services (que le Trésor québécois lui rembourserait) et Québec maintiendrait les siens. D’autre part, il offrit aux nations qui le désiraient de nouvelles ententes, plus généreuses que le statu quo, mais qui feraient de Québec le seul interlocuteur. Il n’y avait pas de délai. Quarante ans plus tard, 6 nations sur 11 ont signé une telle entente. D’autres sont toujours indécises. Les Mohawks ont annoncé qu’ils conserveraient le statu quo, donc leur lien avec le Canada et Londres, jusqu’à la fin des temps.


L’indépendance du Québec fut proclamée 13 mois après le référendum, le 24 juin 1981.




Les années Lévesque

1981-1984


Le premier gouvernement de l’indépendance




Le gouvernement Lévesque croyait se diriger vers une réélection facile fin 1981, mais un problème imprévu vint créer une énorme rogne dans l’opinion publique. La chute de la valeur du dollar faisait très mal aux finances des clubs professionnels de hockey Canadiens et Nordiques, de même qu’aux Expos de Montréal, qui payaient leurs joueurs en dollars américains. Ils prévoyaient ne pas pouvoir survivre plus d’une saison avec ce nouvel équilibre. Le maire de Montréal, Jean Drapeau, et celui de Québec, Jean Pelletier, plaidaient leur cause. L’opposition libérale accusait les péquistes de faire perdre aux Québécois leur sport national.


« Si on a les fans de hockey et de baseball contre nous, pesta Lévesque, on est morts ! » Le ministre des Finances, Jacques Parizeau, déposa avant l’élection un minibudget à deux volets. L’État allait couvrir l’écart de change entre le dollar canadien et le dollar américain pour les équipes professionnelles. Pour se financer, Loto-Québec obtenait le droit, et le monopole, des paris sportifs. La mesure allait être extraordinairement payante. Elle explique pourquoi les Expos, les Canadiens et les Nordiques sont toujours parmi nous, 40 ans plus tard.




René Lévesque invita ses partisans à se réjouir, mais aussi à se montrer patients et résilients, car si le référendum était gagné, il fallait maintenant gagner la souveraineté elle-même.




Les premières années du Québec indépendant, dans le second mandat de Lévesque, ne furent pas un conte de fées. L’absorption des activités fédérales par le Québec fut complexe et, comme toute grande réforme, eut son lot de ratés. Mais de bonnes nouvelles firent oublier ces embûches. Le premier budget du Québec complètement indépendant, en 1982, dégagea des économies insoupçonnées grâce à l’abolition de nombreux programmes fédéraux. La chute du dollar canadien provoqua une hausse des exportations manufacturières québécoises aux États-Unis, ce qui était bienvenu, car une partie des exportations de la province vers le Canada avaient diminué, vu la mauvaise humeur des consommateurs canadiens. Les producteurs québécois s’étaient ajustés en masquant toute mention du Québec sur l’emballage de leurs produits.


Pendant la saison de hockey 1981-1982, trois matchs où les Canadiens de Montréal et les Nordiques de Québec étaient reçus à Toronto par les Maple Leafs durent être annulés parce que des spectateurs furieux lançaient des objets sur la glace. Il fallut réorganiser l’horaire pour que ces rencontres n’aient lieu qu’en territoire québécois, y compris pour la saison 1982-1983.


La faiblesse du dollar, bonne pour les exportations et le tourisme, mettait cependant en danger la propriété des quelques grandes entreprises québécoises. Jacques Parizeau dut copier la technique de Margaret Thatcher pour protéger ces entreprises et acheta des actions préférentielles dans les Bombardier et autres RONA pour rendre leur vente à l’étranger impossible.


L’appui de la France aux premières années de l’indépendance fut important. La chute du dollar canadien ayant rendu les produits québécois concurrentiels en Europe, le président Valéry Giscard d’Estaing décida de jouer la carte allemande. Chacun savait que l’Allemagne de l’Est était pour ainsi dire un « membre fantôme » du marché commun, ses produits accédant au reste de l’Europe via l’Ouest. La France allait faire du Québec son propre « membre fantôme », lui donnant un accès privilégié au marché européen. L’Allemagne ne pouvait pas refuser.


Le déménagement dans la Ville Reine du siège social d’Air Canada en 1983 fit scandale. Le gouvernement Lévesque réagit vivement et souhaita remplacer Air Canada par un transporteur québécois. Il savait que Québecair — propriété de l’État depuis 1981 [C’était bien le cas.]— n’avait pas les reins assez solides, même en étant combiné avec l’autre transporteur existant, Nordair. Avec François Mitterrand, il négocia une entente par laquelle Air France deviendrait copropriétaire, avec le Québec, du nouveau Québecair qui, à terme, détiendrait toutes les routes jusque-là détenues par Air Canada sur le territoire du Québec. Un certain François Legault comptait parmi l’équipe qui ferait de Québecair un succès.


Lévesque et Mitterrand négocièrent également l’entrée d’Airbus au capital de Bombardier, en échange de l’implantation d’Airbus au Québec et de la vente d’avions Airbus à Québecair. Cette affaire eut une incidence capitale sur le développement de l’axe économique France-Québec, sur l’élaboration de la grappe aéronautique montréalaise et sur le sentiment national québécois.


En 1983 et 1984, les effets de la crise économique mondiale, l’augmentation du chômage au Québec comme dans le reste du continent ainsi que la renégociation des conventions collectives du secteur public dans un climat d’affrontement se conjuguèrent pour amocher la popularité du premier gouvernement indépendantiste de l’histoire.




Il ne devait pas être question d’« association » avec le Québec. Tout ce qui pouvait être séparé le serait.




Malgré ces déboires, le Québec connut un grand moment de fierté nationale en février 1984. C’était la première fois qu’il participait en tant que pays aux Jeux olympiques. Les Jeux d’hiver, tenus à Sarajevo, allaient offrir au Québec ses premières médailles d’or : Gaétan Boucher au 1 000 m et au 1 500 m en patinage de vitesse longue piste, en plus d’une médaille de bronze au 500 m [Gaétan Boucher a obtenu ces médailles en représentant le Canada.].


Agglutinés à leur écran, les Québécois vécurent une vague d’émotion en entendant pour la première fois les accords de leur nouvel hymne national pendant une cérémonie internationale. L’hymne avait été adopté l’année précédente : une version légèrement modifiée de la chanson « Le plus beau voyage », de Claude Gauthier. Le patineur Boucher fut accueilli en héros à son retour, tant à Montréal qu’à Québec. Les Jeux olympiques, spécialement les Jeux d’hiver, deviendraient des moments forts de la construction de la fierté nationale québécoise. Et une longue quête allait débuter pour obtenir les Jeux d’hiver à Québec.




Les années Mulroney

1984-1992


L’accord de libre-échange États-Unis–Québec




Politiquement, il se passait des choses intéressantes ailleurs qu’au gouvernement. La course au leadership du Parti libéral de 1983 fut particulièrement intense. Robert Bourassa, revenu de son exil européen, menait un travail de fond auprès des militants et présentait sa « question de Bruxelles », proposant de maintenir le Québec souverain, mais associé au Canada dans un Parlement commun [Robert Bourassa avait soulevé l’hypothèse de poser cette question en 1992, mais ne l’a jamais fait.]. Jean Chrétien, qui n’était plus député fédéral depuis la proclamation de l’indépendance, promettait que, devenu chef libéral québécois, il tiendrait un référendum pour que le Québec redevienne une province canadienne. Mais le candidat le plus rafraîchissant était Brian Mulroney. Candidat défait à la direction du Parti conservateur fédéral en 1976, Mulroney avait replié ses réseaux conservateurs et sa caisse électorale bien garnie sur le Parti libéral. Conscient qu’il n’y avait pas le moindre appétit au Canada pour un retour du Québec, il se proposait simplement comme le premier ministre de la prospérité et de la réconciliation.


Il remporta la course, au second tour, avec une sérieuse avance. Il devint le deuxième premier ministre du Québec souverain le 1er avril 1984. Robert Bourassa fut son fidèle ministre des Finances jusqu’à ce qu’un cancer le mette hors jeu en 1990. Il fut alors remplacé à ce poste par Paul Martin. Mulroney nomma son ami Lucien Bouchard ambassadeur du Québec à Paris et réalisa le rêve de René Lévesque d’être ambassadeur du Québec à Washington [René Lévesque a affirmé à plusieurs reprises en entrevue que c’était son plus grand rêve.]. Dans un geste de réconciliation, et de reconnaissance du rôle déterminant que Pierre Trudeau avait joué pour l’indépendance québécoise, Mulroney renomma l’aéroport de Mirabel « aéroport Pierre-Elliott-Trudeau ». (Heureusement pour lui, M. Trudeau, décédé en 2000, n’allait pas vivre assez vieux pour assister à la fermeture de l’aéroport de Mirabel aux passagers en 2004.)




On eut droit à un moment symbolique lorsque Clark et Mulroney assistèrent ensemble au premier match opposant les Maple Leafs aux Nordiques sur la glace torontoise.





 


Le gouvernement canadien de Joe Clark, réélu à l’automne 1981 après le départ du Québec, considérait Mulroney comme un interlocuteur valable. Celui-ci put mettre sur pied avec Ottawa un comité mixte de règlement des différends et introduire, entre les deux pays voisins, un sentiment d’apaisement. On eut droit à un moment symbolique lorsque Clark et Mulroney assistèrent ensemble au premier match opposant les Maple Leafs aux Nordiques sur la glace torontoise. Malgré quelques huées pendant l’hymne national québécois, le match se déroula sans anicroche et, comme pour se montrer à la hauteur de l’occasion, se solda par une marque nulle.


La visite du pape Jean-Paul II au Québec en septembre 1984 fut un moment important pour l’image internationale du nouveau pays, que Mulroney ne manqua pas d’utiliser au maximum. Mais son objectif principal en matière internationale était d’établir de solides relations avec les États-Unis, dirigés par Ronald Reagan, avec lequel il partageait des racines irlandaises. Mulroney fut reçu à la Maison-Blanche début 1985. Le courant passa. Dans les deux ans qui suivirent, le premier ministre québécois put conduire un accord tripartite Washington-Québec-Ottawa sur les pluies acides [Brian Mulroney a signé l’Accord Canada–États-Unis sur la qualité de l’air en 1991 et l’ALENA en 1992.]. Sur cette lancée, il proposa un accord de libre-échange tripartite.


Les réticences de l’Ontario étaient telles que le Canada se retira des discussions. Au Québec, au contraire, c’était la grande alliance. Le nouveau chef du Parti québécois, Jacques Parizeau, y était fortement favorable, comme son lieutenant, Bernard Landry, et bien sûr l’ambassadeur à Washington, René Lévesque. L’accord de libre-échange États-Unis–Québec allait propulser les exportations québécoises aux États-Unis comme peu l’auraient cru possible. Lorsque le Mexique voulut s’y joindre en 1994, le Canada n’eut d’autre choix que d’accepter d’y adhérer à son tour.


Le gouvernement Mulroney souffrait toutefois de l’inexpérience de certains de ses ministres. Le jeune Jean Charest, notamment, fut pris à intervenir auprès d’un juge et dut démissionner [Cela s’est produit lorsque Jean Charest était ministre fédéral.]. Un autre laissa des documents précieux dans un bar de danseuses. Des rumeurs de corruption commençaient à sourdre ici et là. Mais Mulroney compensait ces difficultés par ses succès à l’étranger.


Avec François Mitterrand, il avait lancé la Francophonie internationale, où le Canada, par l’entremise du Nouveau-Brunswick, n’avait qu’un poste d’observateur. Dans cette enceinte, le Québec était copilote, avec la France. Mulroney avait aussi insisté pour que le Québec reste dans le Commonwealth, puisqu’il était une ancienne colonie britannique. Il y mena le combat contre l’apartheid sud-africain, ce qui lui valut un réel succès d’estime international. Nelson Mandela vint remercier Mulroney et le Québec en juin 1990, lors d’un discours à l’Assemblée nationale et d’une grande rencontre à Montréal.


Le second mandat de Mulroney fut plus difficile, notamment quand fut découvert le salaire secret que lui versait le Parti libéral, outre son salaire de premier ministre [Le Parti libéral a versé un salaire à Jean Charest alors que celui-ci était rémunéré comme premier ministre. Brian Mulroney a reçu des « allocations » du Parti conservateur.]. Ses dépenses personnelles et celles de son épouse, Mila, firent la manchette pendant plusieurs semaines.


Mulroney tenta de remonter la pente en ramenant son ami Lucien Bouchard de Paris et en le faisant élire dans une élection partielle. Nommé ministre de l’Éducation, Bouchard avait tendance à critiquer ouvertement ses collègues. Lorsque Mulroney, en janvier 1991, accepta l’invitation du président américain, George Bush (le père), d’engager la petite armée québécoise dans la coalition internationale contre l’invasion du Koweït par l’Irak, l’opinion publique québécoise y fut très défavorable. Les journaux rapportèrent que le ministre Bouchard avait menacé de démissionner.


Mulroney connut cependant en 1991 son heure de gloire en convainquant le président Bush et le président français, François Mitterrand, de participer à Québec, le 24 juin, aux célébrations du 10e anniversaire de l’indépendance. Mulroney ayant souvent servi d’intermédiaire entre Washington et Paris, les deux présidents annoncèrent qu’ils appuieraient la candidature du Québec à un des postes non permanents du Conseil de sécurité de l’ONU.


Pour ce 10e anniversaire, l’aéroport de Dorval fut rebaptisé « aéroport René-Lévesque », du nom du père de l’indépendance, décédé en 1987.




Les années Parizeau

1992-2000


Le retour des Franco-Canadiens




Mulroney fut défait en 1992 par le Parti québécois de Jacques Parizeau. Son ministre de l’Environnement, Gilles Duceppe, participa aux négociations de Rio, qui ouvrirent une période importante d’activité internationale sur le front du climat. Le Québec faisait partie d’un groupe de pays actifs à ce sujet et se positionna rapidement comme un modèle international d’énergie verte.


Après une période de restrictions budgétaires sous le gouvernement libéral de Mulroney, les ministres de Parizeau étendirent le filet social, notamment grâce à une politique de garderies à bas coût et l’équité salariale. La gestion des urgences en santé posait cependant un problème de plus en plus aigu. Par ailleurs, l’évolution de la politique du voisin canadien préoccupait le gouvernement Parizeau. Le Canada s’était doté d’une nouvelle Constitution qui retirait à la minorité francophone ses droits particuliers, et la loi fédérale sur les langues officielles avait été abrogée. Le ministre québécois des Affaires internationales, Bernard Landry, fit voter une « loi du retour » offrant une prime à tous les francophones canadiens qui voulaient s’installer en terre québécoise [Bernard Landry a souvent parlé de cette « loi du retour », calquée sur l’expérience israélienne.]. Pas moins de 100 000 nouveaux citoyens allaient s’établir au Québec grâce à ce programme.


Toutefois, comme prévu à l’accord d’indépendance de 1981, la citoyenneté canadienne des résidants québécois allait s’éteindre en 1993, soit 12 ans plus tard — leur droit de vote aux élections canadiennes avait déjà été retiré en 1982. Plus de 100 000 Anglo-Québécois choisirent de déménager au Canada pour préserver cette citoyenneté, d’autant qu’ils pouvaient aussi garder leur citoyenneté québécoise.


Les deux mandats de Parizeau, de 1992 à 2000, furent pour beaucoup consacrés à la construction d’un entrepreneuriat québécois robuste, avec l’émergence de plusieurs entreprises d’envergure. De plus, le virage technologique sur lequel avaient misé depuis 20 ans les gouvernements québécois successifs fit de Montréal un des lieux mondiaux de la nouvelle économie. La gestion de la crise du verglas de janvier 1998 par le premier ministre Parizeau fut un moment fort de son second mandat.


Pendant ces années, l’opposition libérale avait mal vécu la course au leadership fratricide que s’étaient livrée en 1994 les anciens ministres de Mulroney Lucien Bouchard et Jean Charest. Sonné par l’agressivité de Charest dans les débats, désarçonné par l’appui que Mulroney avait donné à Charest, Bouchard semblait tirer sérieusement de l’arrière lorsqu’il fut victime, en pleine course, de la bactérie mangeuse de chair [Cela est réellement arrivé en 1994.]. Le Québec entier fut témoin de son combat contre la mort et de son retour quasi miraculeux. L’étoile montante du Parti libéral, Mario Dumont, choisit ce moment pour appuyer la candidature de Bouchard et organiser un grand rassemblement autour de lui. Dumont tenait dans ses mains un mot écrit par le chef hospitalisé : « Que l’on continue. » [Lucien Bouchard avait effectivement griffonné cette phrase, puis a affirmé par la suite qu’elle signifiait, dans le contexte de 1995, de continuer à vouloir l’indépendance.] Bouchard avait voulu dire « que l’on continue les traitements », mais Dumont affirma qu’il souhaitait que se poursuive la course au leadership.


Charest savait que le destin ne le favorisait pas, et se retira de la course. Le nouveau chef, couronné, ne réussit cependant jamais à faire la paix avec ce qu’il était convenu d’appeler le « clan Charest », qui ne cessait de préparer en coulisses son éventuelle accession au pouvoir. On ne savait d’ailleurs pas qui, de Bouchard ou de Charest, avait l’appui de la famille Desmarais, les deux hommes étant de fréquents invités au domaine de Sagard.


Venait brouiller les cartes la démission en 1998 de François Legault, l’ex-président de Québecair devenu ministre péquiste de l’Éducation. À l’étroit entre les fortes pointures du PQ et successeurs potentiels de Parizeau — Bernard Landry, Pauline Marois et Gilles Duceppe, pour ne nommer qu’eux —, Legault menaçait de créer son propre parti pour, disait-il, faire sortir le Québec de la dualité PQ-PLQ, de la tyrannie des « vieux partis ».


Jacques Parizeau ayant annoncé en 1998 qu’il allait tirer sa révérence, la course au leadership de 1999 couronna Landry au troisième tour, devant Marois et Duceppe. À l’élection de 2000, la participation de la Coalition Avenir Québec allait suffisamment brouiller les cartes pour empêcher la réélection d’un gouvernement péquiste majoritaire [La CAQ ne sera fondée qu’en 2011. En 1998, c’est l’Action démocratique du Québec (ADQ) qui tient le rôle de tiers parti. Mais l’ADQ a été créée en 1994 en réaction à la politique canadienne de Robert Bourassa, un non-sens dans une version indépendantiste de l’histoire québécoise. Une CAQ plus précoce vient, ici, combler le vide.].





Les années Landry

2000-2004


Le dollar québécois




Le gouvernement Landry formait donc le premier gouvernement minoritaire du Québec souverain. Il fut rapidement testé sur le front monétaire. La montée en flèche du prix du pétrole, à compter de 2002, allait propulser à des sommets la valeur du dollar canadien. Cela aurait un effet négatif considérable sur les exportations québécoises et sur l’emploi manufacturier. Des spéculateurs internationaux, dont George Soros, qui avait réussi à faire sortir la livre anglaise du système européen quelques années plus tôt, décidèrent qu’un bon profit pouvait se réaliser en pariant sur la fin du dollar canadien au Québec. Ils prirent des positions de vente à la fois sur la valeur du dollar et sur la valeur des obligations de la dette du Québec et d’Hydro-Québec.


Landry, conseillé par Jacques Parizeau, dut procéder à l’opération économique la plus difficile de l’histoire du jeune Québec : introduire le dollar québécois, dans la nuit du 1er novembre 2003, et couper le cordon avec le dollar canadien, devenu un pétrodollar. Ceux qu’on appelait les membres de la « génération Parizeau » aux Finances, à la Caisse de dépôt et dans des institutions financières québécoises avaient présenté au premier ministre le « plan P » visant à profiter de la brève chute de valeur conséquente à l’introduction du dollar québécois pour rapatrier au Québec à peu de frais un gros morceau de la dette étrangère du pays, ce qui allait asseoir pour longtemps sa solidité économique.


L’introduction du dollar québécois, vivement contestée par l’opposition libérale et les organisations patronales — qui raillaient la « piastre à Landry » —, allait rétablir l’emploi manufacturier et assurer la solvabilité à long terme du Québec. Le dollar québécois se stabiliserait progressivement un peu en dessous du dollar américain, tandis que le dollar canadien continuerait d’abord sa montée pétrolière, puis vivrait des moments difficiles lors de la chute des prix du pétrole quelques années plus tard.


Cependant, à court terme, l’introduction du nouveau dollar signifiait que les avoirs des Québécois — leurs investissements, leurs REER, la valeur de leur maison — étaient, si on les comptait en anciens dollars canadiens, nettement dévalués. Un grand nombre de contribuables étaient mécontents d’avoir ainsi subi une perte de richesse. D’autant que l’incertitude planait sur l’avenir de la valeur du nouveau dollar.


Voguant sur cette vague de mécontentement, les libéraux s’allièrent aux caquistes pour faire tomber le gouvernement Landry en juin 2004. (Il faudrait attendre le décès de M. Landry, en 2018, pour que tous saluent la justesse de sa décision d’introduire le dollar québécois. Son visage figure depuis sur le nouveau billet de 20 dollars, le billet le plus utilisé.)




Les années Bouchard

2004-2012


Le scandale de la corruption




Le premier ministre libéral Lucien Bouchard avait été élu en 2004 sur la promesse d’une nouvelle ère de développement économique, fondée en particulier sur l’exploitation des richesses naturelles, y compris le pétrole et le gaz de schiste. Il n’était pas préparé pour la révolte qui allait se lever contre l’exploitation du gaz de schiste dans la vallée du Saint-Laurent.


Dans de grands sommets tenus pour dessiner le Québec de l’indépendance monétaire, Bouchard allait toutefois réussir à calmer le jeu et à rassembler les Québécois, sauf une certaine Françoise David qui allait claquer la porte et fonder, elle aussi, son propre parti.


Alors que Montréal vivait une période de morosité, la ville de Québec allait sortir grandie de la première décennie du XXIe siècle. D’abord, la célébration de son 400e anniversaire, en 2008, allait dépasser toutes les attentes. Plusieurs personnalités de ce monde répondraient à l’invitation du gouvernement québécois et du nouveau maire, Régis Labeaume.


Les échecs répétés de Québec à la suite de ses efforts en vue d’obtenir les Jeux olympiques d’hiver avaient été durs sur le moral de la ville. Pour 2010, la compétition avec Vancouver avait été féroce. Mais l’heure était enfin venue. Jamais les athlètes québécois ne brillèrent autant que pendant les Jeux de Québec. Ils récoltèrent 7 médailles d’or [Les athlètes québécois ont contribué à l’obtention de sept médailles d’or pour le Canada, en 2010, à Vancouver.], davantage que la Russie, la France et la Suisse, et ne furent dépassés que par l’Allemagne (10), les États-Unis (9) et la Norvège (9). Ce fut un des plus grands moments de fierté de l’histoire québécoise.


Le second mandat de Bouchard, de 2008 à 2012, qui devait être celui de la « confiance », fut cependant assombri lorsque le ministre des Finances, Jean Charest, annonça qu’il allait renflouer les coffres des universités grâce à une augmentation des droits de scolarité de près de 75 %. Introduites sans créer de grands remous lors du budget de 2009, les hausses devaient entrer en vigueur en 2012 et provoquèrent dans les milieux étudiants une mobilisation sans précédent. Sur ce point, Bouchard et Charest étaient unis dans leur refus de négocier avec une jeunesse turbulente. Ils avaient l’appui de Legault de la CAQ.


Ils étaient toutefois divisés sur un autre front : la corruption et la construction. Dans l’édifice politique précaire construit au sein du Parti libéral entre Bouchard et Charest, ce dernier avait hérité du grand ministère des Finances et de l’Économie et y faisait la loi. Des membres de son « clan » tenaient également les rênes du ministère des Transports. Des reportages de plus en plus fréquents faisaient état d’un réseau de corruption étendu dans le domaine de la construction. Le plan de relance des infrastructures établi au lendemain de l’adoption du dollar québécois pour redémarrer l’économie avait créé, semble-t-il, un terreau fertile pour les contrats douteux, la collusion, les « extras » et les retours d’ascenseur.


Lors de son élection comme chef du PLQ, Bouchard avait voulu faire un grand ménage après les allégations portées contre Mulroney, mais il n’avait pu écarter des personnalités comme l’entrepreneur Marc Bibeau, toujours vu auprès de Charest, qui lui-même avait placé ses pions dans l’appareil partisan.


Constamment talonné en période de questions par la nouvelle chef du PQ, Pauline Marois, Bouchard demanda à l’ancien chef de police de Montréal Jacques Duchesneau de procéder à une enquête préliminaire[Jacques Duchesneau a fait cette enquête en 2010-2011, lorsqu’il dirigeait l’Unité anticollusion, pendant le troisième mandat de Jean Charest.].


La tension Bouchard-Charest était telle que bon nombre de membres du caucus et certains ministres usèrent de divers prétextes pour démissionner en cours de mandat. Par exemple, le populaire ministre de la Santé, Philippe Couillard, quitta son poste, car il aurait voulu que le nouveau CHUM soit construit au centre-ville de Montréal. Lucien Bouchard imposa le choix d’Outremont [En fait, Philippe Couillard imposa le centre-ville à Jean Charest qui, lui, souhaitait Outremont.]. Le gouvernement perdait ainsi plusieurs sièges chaque année et sa majorité ne tenait plus qu’à une voix.


L’ampleur des révélations que fit Duchesneau trois mois plus tard mit Bouchard dans un état de rage rarement vu. Il ordonna la création d’une commission d’enquête, malgré l’opposition de la majorité des membres de son Cabinet. Il mit en demeure Charest de couper les ponts avec Bibeau ou de démissionner.


La chef de l’opposition Marois profita de ce moment pour proposer une motion de censure au gouvernement. Ses députés ainsi que ceux de la CAQ et du parti de Françoise David votèrent pour. Il leur manquait une voix. Dans un geste qui passa à l’histoire, le premier ministre Bouchard demanda au président d’assemblée le droit de voter en dernier. Lorsque son tour arriva, il vota, lui-même, seul député libéral, pour la censure, et donc la chute de son propre gouvernement.




Les années Marois

2012-2018


Le gouvernement de coalition




À l’élection qui suivit, le PLQ fut dirigé par un chef de compromis, Mario Dumont, qui demanda à Jean Charest et à une partie de ses proches de ne pas se représenter. Il réussit à créer la surprise en recrutant comme candidat-vedette Justin Trudeau, qui fut élu dans sa circonscription montréalaise, mais cela ne suffit pas.




Pauline Marois décida d’offrir au chef de la CAQ, François Legault, le poste de ministre de l’Économie et à Françoise David, de Québec solidaire, le poste de ministre des Affaires sociales.




Le Parti québécois fut élu dans un gouvernement minoritaire. En cette période difficile, Pauline Marois décida d’offrir au chef de la CAQ, François Legault, le poste de ministre de l’Économie et à Françoise David, de Québec solidaire, le poste de ministre des Affaires sociales.


Elle dirigeait ainsi le premier gouvernement de coalition du Québec indépendant, représentant 66 % des Québécois [L’hypothèse de constituer ce gouvernement de coalition a été soumise à Pauline Marois en 2012.]. Pendant son premier mandat, elle fit un grand ménage dans l’industrie de la construction et des contrats publics, et réforma, avec son ministre Bernard Drainville, le financement électoral, y compris au niveau municipal.


Pauline Marois fut particulièrement appréciée pour sa gestion de la tragédie de Lac-Mégantic, en 2013. Après des débats internes considérables qui créèrent une forte tension au sein de la coalition, une charte de la laïcité fut votée en 2015, s’appliquant aux employés de l’État en position d’autorité, avec une clause de droits acquis. Le ministre Legault entama une grande réforme d’Investissement Québec et fit en sorte de diminuer l’écart de revenu entre Québécois et Ontariens. Il nomma Pierre Fitzgibbon à la tête de la Caisse de dépôt et placement.


Les sondages indiquant qu’une nouvelle élection donnerait les mêmes résultats que la précédente, et les Québécois appuyant massivement l’idée de coalition, les trois partis décidèrent de se présenter ensemble à l’élection de 2015, puis d’introduire une réforme du mode de scrutin. Ils furent réélus.


La question de la gestion des soins de santé continuait à être problématique. Le ministre Réjean Hébert se lança dans une vaste entreprise de rehaussement des soins à domicile [Réjean Hébert avait effectivement ce projet, mais la défaite du gouvernement péquiste en 2014 l’a empêché de le réaliser.] qui deviendrait extrêmement utile au moment où, en 2020, une pandémie allait s’attaquer aux plus vulnérables.


En 2018, les tensions entre ministres péquistes et caquistes devinrent trop fortes. Legault insistait pour imposer des baisses d’impôts importantes, Pauline Marois refusait. Ce dossier poussa le leader de la CAQ à quitter le gouvernement. En coulisses, l’arrivée prochaine de Pierre Karl Péladeau dans l’écurie péquiste — Marois l’avait nommé à la tête du conseil d’administration d’Hydro-Québec[Cela est arrivé, mais en 2013.]— alimentait les craintes de Legault d’être marginalisé. Il fit tomber le gouvernement et remporta l’élection de 2018.




Les années Legault

2018-


La pandémie




Au moment de fêter le 40e anniversaire du référendum de mai 1980, le premier ministre Legault caracolait en tête des sondages. Il s’est particulièrement démarqué dans la gestion de la pandémie, en ordonnant la fermeture des frontières internationales du Québec bien avant que ses voisins canadiens et américains aient fait de même. Cela n’a pas empêché le Québec d’être frappé par le virus, mais le maintien à domicile d’un grand nombre d’aînés, qui sinon auraient été vulnérables dans des centres d’hébergement et de soins de longue durée, a permis d’amortir le choc chez les plus âgés.


Au sortir de la pandémie, le septième premier ministre du Québec indépendant a sa petite idée. Au 40e anniversaire de l’indépendance, le 24 juin 2021, il lancera un grand chantier : « Québec 50 », pour tenir au Québec en 2031 une exposition internationale célébrant son premier demi-siècle.







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