Sous votre écran, des enfants au fond des mines

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Le Bloc se préoccupe plus des enfants du Congo que de bâtir l'État souverain au Québec

L’auteure est députée du Bloc Québécois


Je vous imagine assis bien confortablement à lire ce texte. Vous le lisez sur votre tablette ? Votre ordinateur ? Ils nous facilitent la vie ces appareils électroniques qui nous permettent d’avoir accès à presque tout en quelques secondes, mais leur fabrication n’est pas notre souci premier. Je crois toutefois que nous avons besoin de nous informer avant de porter aux nues notre mode de vie numérique.


Des substances, plus d’une trentaine, provenant de régions et de pays différents sont nécessaires à la simple fabrication d’un cellulaire. D’où viennent ces substances ?  Comment sont-elles extraites du sol ? Qui travaille dans les mines ? Quelles sont leurs conditions de travail ? Nous ne pouvons fermer les yeux sur ce qui s’avère être la plupart du temps du travail forcé, de l’extraction à l’exploitation et de l’usine au point de vente.


Seriez-vous surpris si je vous disais qu’il y a un mois, le collectif International Rights Advocates (IRAdvocates), une coalition de chercheurs et d’avocats spécialisés dans les actions en justice contre des multinationales, déposait devant la Cour fédérale américaine une plainte contre Apple, Microsoft, Google, Dell et Tesla ? Il accuse ces entreprises d’avoir aidé et encouragé le travail d’enfants dans les mines de cobalt en République Démocratique du Congo (RDC).


Il faut savoir que la RDC est un des pays les plus riches en minerais, mais paradoxalement, la population demeure très pauvre. Selon Oxfam, c’est plus de 87,7 % des Congolais vivants avec moins de 2 $ par jour. Ce pays d’Afrique produit les deux tiers du cobalt mondial et détient 80 % des réserves mondiales de coltan, deux minerais stratégiques indispensables à la fabrication de nos téléphones intelligents, nos ordinateurs et nos véhicules électriques. Le cobalt sert à fabriquer des batteries lithium-ion rechargeables et le coltan, prisé pour sa grande résistance à la corrosion, est utilisé dans la fabrication de condensateurs pour les équipements électroniques.


En République Démocratique du Congo, la chasse au cobalt et au coltan s’est transformée en véritable ruée vers l’or. Aux mines industrielles s'est ajoutée une tonne de mines artisanales (opérées par des « creuseurs »), où malheureusement trop d’enfants sont appelés à travailler aux côtés des adultes. Selon les dernières estimations mondiales, 152 millions d’enfants sont astreints au travail forcé dans le monde. L’Organisation internationale du travail (OIT) évalue à près d’un million le nombre d’enfants oeuvrant dans les mines congolaises et l’UNICEF estime à 40 000 le nombre d’enfants travaillant plus précisément dans les mines de cobalt.


Dans un rapport accablant, Voilà pourquoi on meurt !, Amnistie internationale décrit le quotidien de ces enfants. Ils travaillent dans les mines en se relayant 24 heures sur 24. Ils peuvent travailler toute l’année jusqu’à 12 heures par jour pour un ou deux dollars seulement. Équipés uniquement de lampes de poche et n’ayant que leurs mains comme outils, ils doivent se glisser le long de tunnels noirs très étroits qui n’ont aucun mur de soutènement pour prévenir de possibles effondrements. Il arrive que seul un enfant puisse entrer dans un trou de creusage. Après être descendu environ 65 pieds sous terre, les jeunes « creuseurs », qui n’ont rien pour protéger leurs visages, recueillent et transportent des sacs de minerais de 20 et 40 kg. À cet effet, le reportage de CNN, Dirty Energy, présente des images saisissantes de la situation.


Inutile de dire que dans ces conditions inhumaines, ces enfants inhalent des minerais sur une base régulière et que plusieurs d’entre eux développeront des maladies pulmonaires, dont le cancer des poumons. Qui plus est, les blessures et les accidents mortels sont fréquents dans les mines congolaises sans compter les agressions, dont les enfants font les frais aux mains des adultes qui les forcent à travailler.  


Rêvant de s’enrichir, certains Congolais n’hésitent pas à creuser partout où ils peuvent, et même dans leur propre demeure, pour trouver des minerais. Plusieurs secteurs résidentiels furent transformés en mine artisanale. Malheureusement, c’est dans ce genre de mine de fortune que les enfants sont appelés à travailler. Les jeunes travailleurs les plus choyés sont ceux qui vont à l’école et qui travaillent entre 10 et 12 heures pendant les fins de semaine ou les vacances scolaires, mais le décrochage scolaire fait rage au Congo. 


Évidemment, les Congolais ne sont pas les seuls à vouloir tirer profit des richesses naturelles que le pays a à offrir. En 2015, un rapport d'expert présenté au Conseil de sécurité de l’ONU dénonçait le fait que d’immenses quantités de minerais étaient extraites illégalement pour ensuite être transportées en contrebande avec l'assentiment de milices armées locales. Ce rapport accusait, par le fait même, l’Ouganda, le Rwanda et le Burundi de piller les ressources congolaises. Il ne faudra pas se surprendre de voir la communauté internationale parler de « minerais des conflits ». La guerre du coltan, qui a fait cinq millions de morts au cours des 20 dernières années, en fait l’un des conflits les plus meurtriers depuis la Seconde Guerre mondiale.


C’est donc dans un contexte de guerre, de pillage et de capitalisme sauvage où l’Europe et les États-Unis dépendent complètement des réserves de coltan que les enfants de la RDC sont exploités. Il ne faut pas se leurrer, même s’il se targue d’être un grand défenseur des droits de l’homme, le Canada a aussi du sang sur les mains. De nombreuses minières canadiennes furent associées à de sérieux cas d’abus en Afrique. D’ailleurs, Alain Deneault et William Sacher expliquent très bien comment le Canada est devenu la plaque tournante de l'industrie minière dans l’ouvrage Paradis sous terre.  Les auteurs exposent « comment le Canada est devenu le paradis réglementaire et judiciaire d’une industrie évoluant hors de tout contrôle. Comment pillage, expropriations violentes de populations, pollution durable de vastes territoires sont le lot des pays qui subissent les méthodes de cette industrie aveuglément tournée vers le profit et également comment la Bourse de Toronto se révèle le pilier de ce système où s’enregistrent 60 % des sociétés minières mondiales, des entreprises protégées par des politiques serviles. »


Aujourd’hui, les yeux du monde commencent à s’ouvrir, mais il reste tant à faire. En 2017,  le gouvernement congolais a décidé d’agir et de mettre sur pied une stratégie nationale sectorielle sur le travail des enfants dans les mines en RDC. Ce faisant, le Congo s’engageait à éliminer le travail des enfants dans le secteur minier d’ici à 2025. Huit ans plus tard, où sommes-nous rendus ?


Comme l’expliquait si bien la journaliste Sophie Langlois dans son reportage Du sang dans nos cellulaires, il y a quelque mois à peine : « Quand des journalistes, des enquêteurs ou des militants de droits de la personne visitent une carrière ou une mine, ils ne voient jamais d’enfants. On les cache, car faire travailler un enfant est illégal en RDC. Mais tout le monde admet qu’ils sont encore très présents. Ils sont plus de 40 000 – c’est le chiffre officiel –, mais ils seraient probablement plus de 100 000 enfants – et souvent de petits enfants, de 6, 7 ou 8 ans ».


C’est sans doute parce qu’il y a des milliards en jeu que la situation n’est pas prête de changer.  La communauté doit agir sans quoi nous continuerons d’avoir du sang sur les mains. La RDC montre que les questions sociales et environnementales sont indissociables. Informez-vous et dénoncez !