Dans notre contexte sociopolitique, souveraineté et indépendance sont deux
mots qui renvoient à la stature du pays envisagé pour le Québec.
Déçus par la lenteur et la longueur de la marche “souverainiste” vers ce
pays, agacés et impatientés par les “mollesses”, les “tergiversations”, les
“revers” et les “ratages” du Parti Québécois, -- parti qui, il va sans
dire, ne mérite pas tous les ménagements--, plusieurs croient pouvoir
préciser le but et accélérer le tempo en parlant plutôt d’“indépendance”.
Pense-t-on pouvoir ainsi être plus authentique, afficher plus vrai? Ne
vaut-il pas la peine de se questionner encore à ce propos avec une
insistance renouvelée? Par exemple, ce déplacement sémantique peut-il être
bénéfique dans les circonstances présentes? Ou n’est-il qu’un jeu de mots
inutile ou stérile? De quoi ces deux mots sont-ils signes? Quelles réalités
visent-ils? Signifient-ils de fait deux réalités différentes? Et, si oui,
dans quelle mesure? Mais si non, à quoi sert ce transfert? Peut-il être un
leurre?
Le mot souveraineté renvoie à une autorité et un pouvoir suprêmes ou
ultimes. Les rois, les tyrans, les dieux sont des représentants historiques
ou symboliques d’une telle souveraineté. Et depuis l’antiquité, au moins
cinq siècles avant notre ère, le peuple grec aussi, le dèmos, s’est
constitué comme siège d’une telle souveraineté. Quand les Grecs ont pris en
main le soin de déterminer eux-mêmes le mode de leur existence en commun et
de ne plus se référer en ce domaine aux volontés divines mythologiques, ils
accédaient à la souveraineté. Leur peuple devenait l’autorité suprême en
matière de gouvernance.
C’est bien cela qui est visé actuellement par beaucoup de Québécois qui
veulent pour le Québec la souveraineté. Ils veulent que le Québec soit
l’auteur unique de sa propre gouverne. Ils n’acceptent plus qu’une
quelconque autre autorité, qu’elle soit royale, tyrannique, étatique,
divine ou céleste, intervienne dans la détermination et la mise en place
de la structure de leur gouvernance comme peuple. Et c’est exactement ce
que l’on décline depuis quelques décennies en disant que le Québec doit
lui-même concevoir et proclamer ses lois, recevoir tous ses impôts et
signer lui-même tous les traités qui le concernent. Se constituant en tout
cela unique auteur, il se déclarerait et deviendrait effectivement
l’autorité suprême. Il deviendrait, dans les faits, souverain. C’est là la
souveraineté recherchée. D’où le mouvement souverainiste. Ce mouvement
ambitionne pour la nation québécoise sa pleine réalisation démocratique,
c’est-à-dire son accomplissement de dèmos, de peuple authentiquement et
pleinement autonome. Et, en travaillant à concrétiser cela, il cherche à
dégager le Québec réel de l’emprise d’une autre autorité qui lui est
extérieure, et dans ce sens étrangère.
Et maintenant, l’indépendance. Qu’en est-il? Bien simple, semble-t-il.
D’abord en lui-même le mot dit tout juste qu’on ne dépend pas. Indépendant,
on ne dépend pas de quelque chose d’autre. Et dans le cas d’un pays, d’un
État, cela veut simplement dire qu’il ne dépend pas d’un autre pays ou d’un
autre État, que la conduite de son existence et de ses affaires ne relève
pas de quelque puissance étrangère. Alors quel rapport y a-t-il donc, en
réalité, entre l’indépendance et la souveraineté? Le dictionnaire, au mot
souveraineté, renvoie à indépendance. Les deux mots sont-ils vraiment
synonymes? Expriment-ils une quelconque différence? Une différence qu’il
vaille la peine de souligner et d’exploiter dans la pratique?
Et dans le cas du Québec concret d’aujourd’hui et de demain, que peuvent
bien signifier ces deux termes? Peut-on vraiment se baser sur eux,
c’est-à-dire sur leur teneur propre ou particulière à chacun, pour
entreprendre des démarches politiques différentes, juxtaposées, en
opposition ou de remplacement?
Or, voici ce qui semble se manifester. Étant donné la souveraineté, cet
état de choses étant de fait implanté, il va de soi qu’un État ainsi
constitué n’est pas dans une situation de dépendance fondamentale par
rapport à d’autres États. Il est indépendant. Il est indépendant de
l’autorité d’un autre pour sa propre gouverne. Ainsi l’indépendance
apparaît relever de la souveraineté. Elle en découle. En définitive, il ne
peut y avoir indépendance que par la souveraineté.
Ainsi travailler, parler, militer pour l’indépendance ne peut se faire
sans impliquer la souveraineté. Présenter l’indépendance comme un but plus
précis, plus engageant, plus stimulant que la souveraineté peut être un
leurre. Celui de masquer la nécessité première qui est, pour l’ensemble des
citoyens, de vouloir être pleinement soi-même comme nation, de vouloir être
un peuple, un dèmos, dans son achèvement, dans son accomplissement, dans sa
pleine maturité, et, dans ce sens originel et fondamental, d’être
démo-cratique. À savoir, disposer de son existence sous sa seule autorité,
vraiment sienne, et sous la gouverne, l’emprise de son propre pouvoir. Il
est des concitoyens qui, faut-il malheureusement le constater, se
contentent bien de la rareté dans ce domaine. Militer pour l’indépendance
du Québec ne peut pas faire les frais ni des efforts ni du temps requis
pour que la majeure partie des citoyens adhèrent à un projet de pays qui
leur convienne, qu’ils sont prêts à assumer dans sa totale autonomie, sous
l’égide de ses propres lois. Militer directement ou nommément pour
l’indépendance du Québec plutôt que pour la souveraineté ne garantit pas
davantage contre méprises ni bévues ni ratés ni accidents qui peuvent se
produire dans une marche sur chemins cahoteux à travers des contrées
d’indifférence et parfois d’hostilité. Militer démocratiquement pour
l’indépendance du Québec doit tabler sur le discours fondateur, sur la
parole qui laisse apparaître clairement les assises premières et les traits
inaliénables d’une structure d’État souverain. Parce que souveraineté et
indépendance sont inséparables dans la réalité. Sont par définition et par
nature étroitement reliées. L’indépendance renvoie à la souveraineté comme
son fondement essentiel et sa condition première de possibilité. C’est
celle-ci qui doit primer dans le discours et qui doit être directement
visée. L’autre en est une suite nécessaire.
Si jusqu’à maintenant le projet de souveraineté tel qu’il fut présenté n’a
pas convaincu une majorité de Québécois, c’est peut-être qu’on n’a pas su
amener le peuple à dire lui-même ce qu’il veut comme pays souverain et
indépendant, à dire comment il entend que soit départagée l’autorité
suprême intérieure. Toute entreprise qui va dans le sens d’un vrai partage
de la parole ne peut que favoriser un partage effectif satisfaisant dans la
conduite de la chose publique. En matière de souveraineté, tout escamotage,
même non délibérément recherché, est voué à l’impasse. Le mur, tôt ou tard.
Le contraire serait bien inquiétant.
Évidemment, cela ne veut pas dire qu’une nation souveraine et indépendante
dans l’établissement de sa structure étatique et l’exercice de sa gouverne,
est fermée sur tout extérieur. Cela ne signifie pas, non plus, qu’elle n’a
pas besoin des autres. Tous les peuples, nations et pays, à l’évidence,
sont en constantes communications et interrelations de tous ordres. Qui
vont des échanges commerciaux, aux apports réciproques culturels, au
partage des soucis humanitaires et planétaires, etc.
La souveraineté et l’indépendance évoquent une même et unique réalité.
Mots rassembleurs pour un Québec qu’on rêve achevé, accompli dans son être
démo-cratique. Manifestement, la majorité de nos concitoyens n’ont pas
voulu, jusqu’ici, accéder à cet état d’accomplissement. Si blâme il peut y
avoir, il revient d’abord à l’ensemble des promoteurs du projet. Qui à ce
jour n’ont pas réussi à s’entendre entre eux. Que les plus pressés ne
logent pas ce blâme sur la seule conduite des autres. Tous ont leur part de
responsabilité. En proie à la zizanie, comment peuvent-ils espérer
convaincre l’ensemble de la population? Aucun geste de gouvernance ne
pourra conduire au vrai pays s’il n’est pas posé dans l’espace libre et
éclairé d’une entente, elle-même surgissant d’un dialogue respectueux des
avis de monsieur et madame tout-le-monde. On ne va pas rentrer le pays dans
le gosier des citoyens à coup de gestes volontaristes. La volonté de
puissance, surtout dans le domaine de la souveraineté, n’est pas de bon
conseil.
Fernand Couturier
-- Envoi via le site Vigile.net (http://www.vigile.net/) --
Souveraineté ou indépendance?
On ne va pas rentrer le pays dans le gosier des citoyens à coup de gestes volontaristes
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2 commentaires
Archives de Vigile Répondre
7 mars 2008Erreur dans mon précédent texte, deuxième paragraphe : faut lire faute et non faut.
Au sujet des problèmes de monnaies perçus par les Québécois en cas de "séparation" du Québec du ROC : Em 1980, les fédéralistes avaient sorti la piastre à Lévesque qui indiquait que cette piastre "qui aurait remplacé le dollar canadien" allait valoir 60 sous donc, une perte perçue du pouvoir d'achat de 40 % plus la fuite des camions de la Brink's vers Toronto avec l'argent des anglophones.
En 1995, les mêmes choses ne se sont pas produites mais, ce n'était pas clair ce qui arriverait de l'utilisation de la monnaie canadienne, sujet qui a fait reculer M. Bourassa quand M. Lévesque voulait le prendre au PQ comme économiste.
Cette queston de monnaie qui serait utilisée au Québec va revenir sur le tapis un jour ou l'autre. Ça va être délicat à traiter. C'est pourquoi les chefs indépendantistes en parlent peu parce que je crois qu'ils se demandent comment aborder ça sans faire peur aux Québécois.
Je me demande ce que va préconiser le PI à ce sujet vu qu'ils ne veulent pas trop avoir de liens avec le ROC avec une banque centrale à Ottawa si on se sert de l'argent canadien.
Archives de Vigile Répondre
7 mars 2008Très beau et intéressant texte M. Couturier dont une de vos très justes conclusions est : En proie à la zizanie, comment peuvent-ils espérer convaincre l’ensemble de la population ?»
Vous mentionnez aussi que la faut revient aux promoteurs du projet si la souveraineté n'a pas passé en 1980 et 1995.
Si la souveraineté du Québec n'est pas encore passée, ce n'est pas le faute aux promoteurs Messieurs René Lévesque et Jacques Parizeau, Lucien Bouchard et Mario Dumont qui avaient de très bonnes équipes et de solides arguments mais, pour les raisons suivantes :
1- La peur de l'inconnu, de problèmes financiers comme : qu'est-ce qui va arriver avec nos épargnes en argent canadien, est-ce qu'ils vont convertir ça en épargne en argent québécois et aussi la peur de la vengeance du ROC et des Américains qui auraient été tentés de ne pas nous reconnaitre et de nous boycotter nos exportations en plus.
2- Le désir d'un certain nombre de conserver leur citoyenneté canadienne. Faut penser que les francophones étaient des Canadiens bien avant les anglophones.
3- Le vote en bloc NON des anglophones et allophones, anciens ou nouveaux arrivés au Québec.
4- Le manque de frustration des Québécois qui ne se sentent pas très opprimés dans le Canada qui est un des plus prospères pays au monde. Quand on a son char, son bungalow, un bon travail, de l'épargne et personne pour nous martyriser comme au Kosovo ou en Palestine, il est difficile de se sentir victime, principalement après les améliorations apportés au Québec par le PQ : mise ne place des conditions pour que les Québécois prennent une bien meilleure place dans l'économie, protection du français avec la loi 101 et autres bonnes lois passées par lui après la prise de pouvoir en 1976.
Les souverainistes n'iront pas loin si ils continuent de se critiquer et de se séparer entre eux à la place de se concentrer à séparer le Québec du ROC.