Téo Taxi : un scandale d’État?

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Ce sont les Québécois, par l'entremise du régime libéral, qui ont financé l'incompétent Taillefer


Une des nouvelles de la semaine était celle de la faillite de Téo Taxi. Le concepteur de cette entreprise si prometteuse née en 2014, Alexandre Taillefer, a tenté de faire oublier la nouvelle en faisant une tournée médiatique d’excuses.   


Les Québécois pourraient être portés à lui pardonner : il a erré, il a fait acte de contrition, passons à un autre appel. Espérons que non. Il y a beaucoup de zones d’ombre dans ce dossier, et trop de questions restent sans réponse.   


Le gouvernement du Québec a offert subventions, exemptions et particularités à Téo Taxi. Par la suite, Alexandre Taillefer est parvenu à mettre la main sur la quasi majorité du marché du taxi montréalais, réussissant même à le transformer à son avantage.  


Le gouvernement du Québec a, de fait, offert subventions, exemptions et particularités à Téo Taxi.   


Rappelons-le d’emblée : avec feu Téo Taxi, Taxi Diamond et Hochelaga, Alexandre Taillefer contrôlait 40 pour cent du marché montréalais.   


L’entrepreneur en a fait rêver plus d’un avec son modèle d’affaire, disposant d’un bel enrobage « vert » et « innovateur » : voitures électriques, véhicules propres, chauffeurs salariés ayant une bonne attitude avec les clients, etc. Taillefer se targuait même de payer ses chauffeurs 15 $/h. C’est faux : ils bénéficiaient du salaire minimum, mais on leur garantissait le 15 $/h, c’est-à-dire qu’ils y auraient droit si les pourboires ne permettaient pas d’atteindre ce chiffre.   


Dans toute l’affaire Uber, comme on le sait, Alexandre Taillefer a adopté une posture très hostile à la multinationale, qui a effectivement des agissements pour le moins condamnables. Le gouvernement libéral nous habituait cependant à une attitude complaisante à l’endroit des multinationales cherchant à faire leur propre loi. Pourquoi pas cette fois? Était-ce parce qu’Uber menaçait le modèle d’affaire de Taillefer? Ce dernier avait assurément besoin, à ce moment, d’une réglementation gouvernementale allant dans le sens de ses intérêts.   


Lorsqu’est survenue l’entente hautement controversée entre Uber et le gouvernement du Québec, Taillefer a demandé à ses chauffeurs de ne pas manifester contre elle . Pourquoi? Voulait-il ménager le gouvernement libéral? Passer d’une agressivité ressentie à l’endroit d’Uber à une interdiction de manifester contre elle, voilà qui laisse songeur.   


On sait qu’Alexandre Taillefer a toujours distribué les contributions aux partis politiques, mais que le Parti libéral du Québec occupait une place toute particulière dans son cœur et dans son portefeuille. 


D’autres éléments soulèvent certaines questions. En 2016, Alexandre Taillefer a défendu la pertinence d’un programme de rachat des permis. Cela l’aurait assurément servi en éliminant des concurrents et d’augmenter la valeur de permis de ses compagnies. Moins il y en a, mieux c’est. Ça n’est pas advenu. Cependant, en 2018, deux semaines avant les élections, le premier ministre Philippe Couillard a annoncé des indemnités de 1000 à 46 700 $ par permis de taxi, dont les entreprises de Taillefer allaient bénéficier. Combien de permis se trouvant entre les mains de Taillefer ont pu en profiter?   


Monsieur Taillefer est-il prêt à jurer qu’il n’a pratiqué aucun lobbying avec le gouvernement, sachant qu’il était depuis quelques mois président de la campagne électorale du Parti libéral et que Philippe Couillard avait clairement affirmé que son saut en politique ne lui imposait nullement de se départir de ses compagnies?   


Rappelons également une nouvelle de juin 2018. Il a alors été révélé que le gendre de Christian Dubé, aujourd’hui président du Conseil du trésor mais à l’époque grand responsable des placements privés au Québec de la Caisse de dépôt et placement, était l’associé d’Alexandre Taillefer au sein des entités possédant Téo . Souvenons-nous que la Caisse de dépôt et placement était la deuxième actionnaire de la société mère de Téo.   


Dès le début, nous aurions dû nous poser la question suivante : comment une entreprise utilisant des voitures coûteuses comme des Tesla peut-elle concurrencer le reste de l’industrie du taxi? Comment voulions-nous que ça fonctionne? Avec l’argent des autres. Je rassurerai le lecteur : je suis éminemment favorable à l’intervention financière de l’État, surtout dans un projet aussi important que l’électrification du taxi. C'est là où le bât blesse : ce gâchis reste encore grandement inexpliqué, et pourrait tristement entacher tout projet futur d’électrification des taxis, un objectif pourtant noble.  


Pour finir, si Téo Taxi n’est plus, Alexandre Taillefer a toujours ses investissements dans Taxi Diamond et Taxi Hochelaga. M. Taillefer a donc toujours une importante main mise sur le taxi montréalais. Qu’en adviendra-t-il?   


N’en restons pas là. Trop de questions restent sans réponse, nonobstant les excuses mielleuses d’Alexandre Taillefer.   


  


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 Simon-Pierre Savard-Tremblay, socio-économiste (Ph.D.)              


 Pour me contacter : simonpierre.savardtremblay@ehess.fr         




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Simon-Pierre Savard-Tremblay est sociologue de formation et enseigne dans cette discipline à l'Université Laval. Blogueur au Journal de Montréal et chroniqueur au journal La Vie agricole, à Radio VM et à CIBL, il est aussi président de Génération nationale, un organisme de réflexion sur l'État-nation. Il est l'auteur de Le souverainisme de province (Boréal, 2014) et de L'État succursale. La démission politique du Québec (VLB Éditeur, 2016).