Théâtre canadien-français, Trust américain et Église catholique : une lutte à trois sur fond de culture, d’affaires et de nationalisme

Le rôle de l’Église et du Trust américain dans la renaissance du théâtre et dans la remontée du nationalisme canadiens-français entre 1890 et 1903.

À la conquête de soi


L’art et le nationalisme canadiens-français ont toujours été intimement liés. Au Québec, la musique, la peinture, le théâtre, le cinéma s’assurent, depuis fort longtemps, d’être un véhicule efficace pour les idées porteuses de grands changements. Ce travail s’intéresse à la situation du théâtre et du nationalisme canadiens-français au lendemain de l’Acte d’Union jusqu’à l’arrivée des premiers créateurs canadiens-français populaires. Cette période est une intense lutte à trois pour la domination culturelle et commerciale du théâtre au Québec. L’Église catholique, depuis toujours, veut conserver ses valeurs bien en place pour assurer son emprise sur le peuple, mais différents événements la forceront à changer son fusil d’épaule. Le Trust, venu en terre québécoise pour incorporer Montréal et Québec à son réseau, semble s’en prendre à un public gagné d’avance, mais son ingérence et son indifférence face aux besoins des Canadiens français causeront sa perte. Et le nationalisme canadien-français, lui, renaît de ses cendres suite à l’éveil du peuple quant à sa capacité de faire son propre théâtre, dans lequel il se reconnaît mieux que dans le théâtre européen ou américain qu’on lui enfonce dans la gorge depuis trop longtemps.
Ce sujet, avec son contexte et ses acteurs captivants, soulève une grande question : «Comment l’influence de l’Église et le monopole du théâtre au Québec détenu par le Trust américain entre 1890 et 1903 causent une renaissance du théâtre et une remontée du nationalisme canadiens-français?».
Plusieurs auteurs se sont penchés sur la question du théâtre et du nationalisme canadiens-français à la fin du XIXe siècle, mais toujours en les séparant l’un de l’autre. La plupart des ouvrages offrent une analyse complète sur la renaissance du théâtre canadien-français, en se contentant de seulement effleurer au passage le nationalisme qui en ressurgit. Bref, les liens entre la renaissance du théâtre et la remontée du nationalisme ne demandent qu’à être faits, les questions qu’à être soulevées.
Il semble que l’éveil du peuple canadien-français quant à sa capacité de faire lui-même son théâtre provienne à la fois d’un ras-le-bol face à l’oppression que lui fait subir l’Église quant à ce qui est acceptable ou non, ce qui est bien ou mal, et d’un écœurement face au théâtre à la Broadway qui, au départ, comble un vide, mais qui, rapidement, prend trop de place et ne se préoccupe pas suffisamment des exigences du peuple.
Pour démontrer l’hypothèse proposée, ce travail est divisé en trois grandes parties. Premièrement, la dualité entre l’Église catholique et le théâtre canadien-français est exposée et analysée. Cette première partie démontre comment une situation perpétuelle de dominant-dominé mène à un ras-le-bol du dominé face au dominant. La deuxième partie énonce l’arrivée du Trust américain et ses méthodes pour acquérir et maintenir son monopole. On voit dans cette partie que le théâtre canadien-français, fraîchement «libre» de l’influence ecclésiastique se retrouve à nouveau sous l’emprise d’une entité supérieure. Une seconde dualité naît de ce phénomène et conduit au sujet de la troisième et dernière partie : le changement de position de l’Église catholique, la renaissance du théâtre et la remontée du nationalisme canadiens-français. Ces thèmes seront également mis en relation avec le thème intégrateur : «l’impact de la modernisation sur les institutions culturelles traditionnelles», en d’autres mots, ce travail tente de démontrer comment le Trust américain, porteur d’une modernité autant culturelle que technologique, cause un changement de position chez l’Église et un éveil du peuple canadien-français face à la prise en main de leur culture et de leurs affaires.
La dualité entre le théâtre canadien-français et l’Église catholique
Au début de la période qui nous intéresse, le théâtre professionnel et commercial francophone n’existe pas. En fait, le théâtre francophone au Québec se limite à des adaptations de pièces françaises, anglaises et américaines. En d’autres mots : «l’institution théâtrale […] en fut une d’importation»(1) et, en ce sens, les premières tournées à venir visiter le Québec sont européennes, surtout anglaises. À par l’expérience que possèdent ces troupes, elles présentent tous les désavantages possibles : elles coûtent très cher, elles sont souvent épuisées par leurs longues tournées et, surtout, elles sont formées de comédiens dont l’accent agace l’oreille canadienne-française. C’est en réaction à ces troupes étrangères qu’apparaissent, vers 1860, à Montréal et à Québec, les premières troupes locales. Les troupes, elles, n’ont pas trop de difficulté à jouer les adaptations européennes, mais le principal problème est que, jusqu’en 1900, au Québec, «il n’existe pas d’éditeur ni même de collection spécialisée dans l’édition du texte dramatique»(2). Les rares auteurs dramatiques canadiens-français doivent donc financer eux-mêmes leur édition et leur publication, ce qui est bien au-dessus des moyens de la plupart d’entre eux. Alors comment les auteurs dramatiques canadiens-français s’y prennent-ils pour rendre leurs œuvres accessibles au public ? Ils vont voir ceux qui les méprisent et les censurent depuis plus d’un siècle : l’Église catholique. Et pourquoi l’Église changerait-elle sa position face au théâtre qu’elle perçoit depuis toujours comme immoral, trop léger et répandant les mauvaises valeurs ? Dans ce cas-ci, l’on peut dire que la vieille expression «l’ennemi de mon ennemi est mon ami» s’applique. Devant l’importance grandissante de la présence européenne et, bientôt, américaine, l’Église catholique ne peut que constater qu’un important morceau de la culture québécoise est en danger et n’a d’autre choix que de permettre la diffusion, dans ses revues et dans ses circulaires, d’œuvres d’auteurs canadiens-français comme Louis-Honoré Fréchette (Papineau), Anne-Marie Gleason-Huguenin (L’adieu au poète), ou encore Rodolphe Girard (À la conquête d’un baiser).
Mais il ne faut pas croire que l’Église supporte le théâtre. Elle daigne diffuser les auteurs d’ici, mais elle s’assure de les garder à un bas niveau : amateur et même scolaire, de préférence. Le fait est que l’Église approuverait bien le théâtre s’il voulait parler de patriotisme et de vertu, mais comme les pièces viennent majoritairement d’Angleterre et de France, même si elles sont quelques fois jouées par des Canadiens français, elles ne sont pas adaptées au contexte Québécois de l’après-Acte d’Union. Comme le décrivent Laflamme et Tourangeau : «Elle [l’Église] ne lui accorde pas sa bénédiction [au théâtre], mais elle lui laisse tout de même une paix relative» (3). Cependant, Montréal fait exception à cette règle cléricale. De 1836 à 1876, Monseigneur Bourget, évêque du diocèse de Montréal, paralyse presque complètement le théâtre et toutes autres formes de manifestations artistiques dans sa «politique du juste milieu» (4). Cette politique, bien plus rigide que son nom l’indique, stipule qu’«on ne peut, sous peine de péché mortel, concourir à aucune représentation notablement indécente […], ni par abonnement ou souscription, ni par applaudissement» (5). Ainsi, d’un côté, il limite grandement le développement du théâtre francophone à Montréal et, d’un autre côté, il pousse la jeunesse franco-canadienne vers le théâtre montréalais anglophone. Puisque ce théâtre est régit par les protestants plutôt que par les catholiques, il offre des pièces «d’une morale généralement beaucoup plus relâchée que celle du théâtre français» (6), c’est-à-dire des pièces dans lesquelles apparaissent notamment des femmes. Bref, cette censure par l’Église catholique fait pratiquement mourir le peu de théâtre francophone qui se fait au Québec à la fin du XIXe siècle au profit du théâtre anglophone et européen.
Après plus de trente-six ans à la tête du diocèse de Montréal, Monseigneur Bourget se retire et nomme Monseigneur Fabre pour le remplacer. Cependant, Monseigneur Bourget laisse un héritage très lourd et son spectre semble toujours être omniprésent autour des relations entre l’Église et le théâtre. En conséquence, même si l’on croyait que le départ de Monseigneur Bourget allait aider les choses, jusqu’en 1893, les journaux des trois grandes villes québécoises, presque tous sous contrôle ecclésiastique, martèlent les théâtres francophones et étrangers pour leur manque de moralité, leur caractère trop léger, et y vont de sévères mises en garde à l’intention de ceux qui voudraient s’y adonner.
La dualité entre le théâtre canadien-français et le Trust américain
Comme mentionné dans la partie précédente, la substitution des troupes de tournées pour des troupes locales permet au moins à quelques Canadiens français de vivre du théâtre. Par contre, l’arrivée des troupes locales entraîne un phénomène qui se révèlera plus tard comme regrettable : les troupes européennes, forcées de limiter leurs présences en sol québécois, laissent la porte grande ouverte à l’hégémonie New-Yorkaise qui ne prend que quelques années à incorporer le Québec dans son réseau. Le Trust américain, ce monstre économique et, par la bande, culturel, fait son entrée au Québec vers 1890. Puisque le peuple canadien-français a soif de nouveauté mais est encore incapable de palier lui-même à ses propres besoins, l’ouverture est béante pour un envahissement déguisé en sauvetage. Le plus grand monopole de l’industrie du loisir et de la culture au monde semble invincible parce qu’il est «une association tactique entre quelques puissants producteurs new-yorkais et divers directeurs de petites chaînes régionales exaspérés par la situation théâtrale» (7). Parmi les producteurs, on retrouve Marcus Klaw et A.L. Erlanger qui possèdent la majorité des salles de théâtre du sud des États-Unis ; les millionnaires et géants de la production Al Hayman et Charles Frohman ; ainsi que Samuel F. Nixon et Fred Zimmerman, deux importants producteurs new-yorkais. En moins de sept ans, «tous les établissements montréalais et québécois de quelque importance passèrent progressivement sous le contrôle du groupe new-yorkais» (8). Au départ, l’arrivée d’un groupe aussi puissant ne peut que servir la cause du théâtre au Québec : le Trust assure la régularité des spectacles et, surtout, met enfin Montréal sur le circuit des grandes tournées. Cette grande vague de modernisation qui souffle sur l’industrie du théâtre au Québec fait en sorte que Montréal n’accuse plus aucun retard sur les autres grandes villes mondiales quant à la présentation des grands succès de Broadway et à l’utilisation des nouvelles techniques et technologies.

Mais pourquoi les Canadiens français, lassés du théâtre à l’européenne tombent-ils littéralement en amour avec le théâtre à l’américaine ? Legris l’explique très simplement dans «Le théâtre au Québec : 1825-1980» :

Avant de partir en tournée, un spectacle devait d’abord passer le test new-yorkais. Alors, auréolée du prestige de la réussite, la production menait, parfois pendant des années, de grandes tournées continentales. Quand le succès obtenu sur Broadway était plus triomphal encore, on pouvait envoyer en tournée jusqu’à cinq ou six troupes affublées du même nom et des mêmes épithètes ronflantes que l’originale. Des centaines de milliers de spectateurs eurent ainsi la conviction de voir dans les théâtres les plus reculés du continent les grands triomphes de New York tels que les avaient acclamés la foule et la critique new-yorkaises. Le subterfuge dura (9).

C’est ainsi, avec le reste du continent, que les Canadiens français sont entraînés dans un mouvement grandiose et prestigieux comme seuls les Américains sont capables de créer. Ce nouveau monopole détenu par le Trust pèse très lourd sur le dos des auteurs et des troupes d’expression francophone. Les auteurs sont maintenant condamnés à demeurer mineurs et amateurs parce que les Américains écrivent leurs propres pièces, et les troupes, si elles veulent jouer plus que du religieux ou du scolaire, doivent parvenir à se faire engager par le Trust américain pour jouer des pièces new-yorkaises. Et la domination du Trust n’a pas d’effets négatifs que sur les auteurs et les troupes locales : elle accroît également «la centralisation des affaires théâtrales dans la métropole américaine et ne [tient] aucun compte des disparités régionales» (10). Donc, d’un côté, la haute bourgeoisie anglaise est mécontente parce qu’elle déteste voir Montréal perdre de son pouvoir économique aux mains de New York, et d’un autre côté, les francophones ne tardent pas à s’apercevoir qu’ils se reconnaissent encore moins dans le théâtre à la Broadway que dans le théâtre européen qu’ils ont mis à la porte. Sans compter que le Trust se soucie encore moins que ses prédécesseurs de savoir si l’accent, l’apparence ou même l’histoire racontée conviennent ou non au public québécois.
Renaissance du théâtre et remontée du nationalisme canadiens-français
Ainsi, malgré l’admiration que le public canadien-français a, au départ, pour le théâtre à la Broadway, la volonté d’avoir enfin un théâtre bien à lui se fait sentir plus que jamais. Devant la situation économique et culturelle alarmante du théâtre canadien-français, l’Église permet progressivement aux auteurs canadiens-français de diffuser un peu plus librement et largement leurs œuvres dans les revues et dans les circulaires des différentes paroisses. Ainsi, tout aussi progressivement, les troupes locales commencent à avoir des pièces canadiennes-françaises sous la main et les jouent dans les églises et dans les écoles. Bref, il ne leur manque qu’une scène majeure sur laquelle jouer parce qu’il est évidement que le Trust américain ne les laisseront jamais jouer sur les siennes. Et c’est à partir de ce moment que le théâtre qui ne faisait que survivre et que le nationalisme présent mais dominé se fondent l’un dans l’autre : «il suffit, pour s’en convaincre, de relire les multiples appels à la création d’un théâtre national qui jalonnent notre histoire théâtrale» (11). Toutefois, le Théâtre National ne sera inauguré que dans un quart de siècle et c’est maintenant que le théâtre et le nationalisme canadiens-français demandent à éclore.
Devant la grogne grandissante du public québécois, le 30 septembre 1898, Elzéar Roy et la Société Saint-Jean-Baptiste mettent sur pied les «Soirées de famille». Avec l’approbation et même l’aide du clergé, ce qui ne devait être qu’un mélange d’exercice théâtral et de cours d’élocution devient rapidement une troupe régulière. Les trois années d’efforts mises par Elzéar Roy sont, au bout du compte, «à la fois une récompense pour les élèves [des deux sexes] et une aubaine pour les spectateurs pour suivre avec intérêt le succès des jeunes acteurs et jouir d’un bon spectacle français» (12). Toutefois, il ne faut pas se leurrer ; les Soirées de famille ne sont pas l’événement ni l’avènement que les Canadiens français attendent. En effet, des soixante-quatorze pièces jouées par la troupe, aucune n’est québécoise ; à l’exception de Juliette Béliveau, aucun membre de la troupe ne poursuit une carrière professionnelle après la fermeture de 1901 ; les Soirées deviennent rapidement officieusement exclusives à la petite bourgeoisie canadienne-français et le peuple la boude. Bref, les Soirées ne sont pas aussi rayonnantes qu’espéré, mais au moins, le mouvement est lancé. Comme le décrit clairement Renée Legris : «Tout le monde, à l’époque, comprit bien l’esprit qui les animait [les Soirées] et le sens profond du consensus historique qui présida à leur création. Le «mal», c’était l’assimilation et tout ce qui pouvait la ralentir était «bon» ou acceptable» (13). Devant cet éveil de conscience, certains membres de la petite bourgeoisie canadienne-français rejoigne le mouvement. Par exemple, le 21 novembre 1898, Godeau, un ingénieur, fonde le Théâtre des Variétés qui donnera naissance un peu plus tard au Théâtre de la Renaissance.
Arrive ensuite la période des cafés-concerts ; une formule directement importée de Paris. Les cafés-concerts sont de petites salles fréquentées autant par le peuple que par la petite bourgeoisie où l’on présente des pièces francophones et, surtout, où l’on peut consommer de l’alcool. Le concept connaît un succès sans précédant chez le petit peuple canadien-français parce que, pour une rare fois, il s’y reconnaît parfaitement, comme en témoigne la première revue locale d’Alfred Durantel, présentée le 31 mars 1899 au café-concert l’El-Dorado :
Au lieu d’entendre parler constamment d’un vicomte millionnaire ou d’un baron décavé, nous sommes en présence de Télesphore Pigeonneau, un dur à cuire qu’a [sic] du poil aux pattes, de la gaieté au cœur et du courage au ventre. Au lieu de parcourir les grands boulevards parisiens, il est question de la Côte-Saint-Lambert ou de la Place Jacques-Cartier ; au lieu d’entendre crier Brébant, ou Bignon, ou le café des Variétés de Paris, on entend parler de Jos Riendeau, et cela sonne bien à nos oreilles attentives (14).

Maintenant que la petite bourgeoisie et le peuple canadiens-français sont sur la même longueur d’onde, le mouvement nationaliste peut poursuivre sa poussée dans le milieu théâtral. Les deux dernières années du XIXe siècle sont les plus importantes de l’histoire théâtrale du Québec : elles marquent la naissance et l’aboutissement du projet de Julien Daoust de créer le Théâtre National. Encore une fois, Renée Legris décrit parfaitement l’effet qu’a le National sur toute l’industrie : «Ce que ne réussissent pas à faire ni les «Soirées de famille», ni les autres établissements éphémères de l’époque, le Théâtre National le réalisa avec éclat et fulgurance. Il parvint à puiser dans la clientèle francophone des théâtres anglais et sut se l’attacher. Son succès prit de court le Trust qui, jusqu’à ce moment, n’avait guère à s’inquiéter des entrepreneurs locaux, et pour cause» (15).
Paul Cazeneuve, à la tête du Théâtre National, sait très bien comment continuer et achever le changement désiré par le public canadien-français. À ses débuts, il se contente de poursuivre la tradition à laquelle le public s’est habitué : présenter des versions traduites en français de pièces américaines ou anglaises. Cependant, les méthodes de Cazeneuve révolutionnent la création théâtrale canadienne-française : pour la préparation des spectacles, il fait appel à des talents locaux pour traduire et adapter les textes. De cette façon, il met de nombreux jeunes auteurs en contact intime avec des œuvres à succès. Grâce à ce geste en apparence anodin, dès 1903, plusieurs jeunes auteurs canadiens-français écrivent et voient leurs pièces être jouées sur les planches du Théâtre National. Cazeneuve, peut-être malgré lui, lance ainsi la première vague d’auteurs canadiens-français populaires. Les Canadiens français réalisent enfin qu’ils savent écrire, produire et jouer un théâtre dans lequel ils se retrouvent, et ce, mieux que les Européens ou les Américains. Finalement, comme le décrit Larrue : «la dernière décennie tranche nettement avec l’évolution tranquille et prudente qui avait caractérisé le XIXe siècle dramatique» (16).
En conclusion, la pression et l’oppression constante que subissent le théâtre et le public canadiens-français aux mains de l’Église catholique causent un véritable ras-le-bol face à cette institution que plusieurs surnomment «le dernier bastion de la culture canadienne-française». Devant son besoin grandissant d’autonomie, le théâtre d’ici parvient à se libérer partiellement de l’hégémonie cléricale qui régit pratiquement toute la culture canadienne-française, mais tout cela simplement pour retomber sous l’influence d’une nouvelle institution qui, elle, représente la modernité et la modernisation. Devant cette nouvelle menace à la culture canadienne-français, l’Église catholique et le théâtre doivent mettre leurs vieilles querelles de côtés pour éviter l’assimilation du milieu théâtral, du moins. Grâce à l’initiative de certains membres de la petite bourgeoisie, du milieu artistique, du peuple et à la coopération des évêques et autres membres du clergé, le théâtre d’ici peut évoluer parallèlement au théâtre américain. Finalement, en 1903, avec la mise en marche du Théâtre National et l’arrivée des premiers auteurs canadiens-français populaires, le théâtre canadien-français prouve au grand public qu’il peut très bien, même mieux que le théâtre à la Broadway, combler le vide causé par l’évincement presque total des productions et des troupes européennes.
Malheureusement, l’histoire ne demeure pas aussi brillante pour le reste du XXe siècle. Maintenant que le théâtre canadien-français n’est plus en danger, l’Église revient sur ses positions d’après-Acte d’Union : l’industrie du théâtre est à nouveau mal vue et dénigrée par le clergé. Cependant, puisque le théâtre canadien-français devient plus qu’un simple divertissement, mais également un véhicule pour la culture et l’identité canadienne-française, l’Église ne réussira jamais à contenir et à limiter son rayonnement comme elle le faisait il y a quelques années.
NOTES
1 Christian Beaucage, Le théâtre à Québec au début du XXe siècle : Une époque flamboyante, 1996, p. 55
2 Hélène Beauchamp et al., Théâtres québécois et canadiens-français au XXe siècle : Trajectoires et territoires, 2003, p. 90
3 Jean Laflamme et Rémi Tourangeau, L’Église et le Théâtre au Québec, 1979, p. 128
4 Jean Laflamme et Rémi Tourangeau, op. cit., p. 127
5 loc. cit.
6 Jean Laflamme et Rémi Tourangeau, op. cit., p. 131
7 Renée Legris et al., Le théâtre au Québec : 1825-1980, 1988, p. 41
8 Renée Legris et al., op. cit., p. 42
9 Renée Legris et al., op. cit., p. 29
10 Renée Legris et al., op. cit., p. 43
11 Renée Legris et al., op. cit., p. 30
12 Renée Legris et al., op. cit., p. 49
13 Renée Legris et al., op. cit., p. 50
14 Sylvio, «chronique de la quinzaine», 1899, p.66.
15 Renée Legris et al., op. cit., p.53
16 Jean-Marc Larrue, Le théâtre à Montréal à la fin du XIXe siècle, 1981, p. 12
BIBLIOGRAPHIE
Beaucage, Christian (1996). Le théâtre à Québec au début du XXe siècle : Une époque flamboyante, Montréal, Nuit blanche éditeur, 302 pages.
Beauchamp, Hélène et al. (2003). Théâtres québécois et canadiens-français au XXe siècle : Trajectoires et territoires, Sainte-Foy, Presses de l’Université du Québec, 436 pages.
Laflamme, Jean et Rémi Tourangeau (1979). L’Église et le Théâtre au Québec, Montréal, Fides, 355 pages.
Larrue, Jean-Marc (1981). Le théâtre à Montréal à la fin du XIXe siècle, Montréal, Fides, 141 pages.
Legris, Renée et al. (1988). Le théâtre au Québec : 1825-1980, Montréal, VLB éditeur, 205 pages.
Sylvio, «chronique de la quinzaine», le Passe-Temps, vol. 5, no 105, 1er avril 1899, p.66.

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Simon Roy1 article

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Originaire de Senneterre, en Abitibi-Témiscamingue, je m’intéresse depuis toujours à l’idée d’indépendance et aux défis que doivent surmonter les régions et les villages isolés du Québec. D’origines française, britannique, allemande et amérindienne, je m’intéresse grandement aux cultures et aux particularités du Québec et des Québécois. Maîtrise en Histoire avec spécialisation en histoire socio-économique, 2010, Université de Sherbrooke. Baccalauréat en Histoire, 2008, Université du Québec à Trois-Rivières. Diplôme d’études collégiales en Langues modernes, 2005, Cégep de l’Abitibi-Témiscamingue.





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