La négation de la nation
_ L'identité culturelle québécoise et le fédéralisme canadien
_ Eugénie Brouillet Septentrion Sillery, 2005, 484 pages
«Le régime constitutionnel canadien offrait-il en 1867 et offre-t-il aujourd'hui à la nation québécoise les outils juridictionnels nécessaires à la survie et au développement de son identité culturelle particulière?» Telle est la question que soulève la constitutionnaliste Eugénie Brouillet dans un important essai intitulé La Négation de la nation - L'identité culturelle québécoise et le fédéralisme canadien. Selon le politologue Guy Laforest, qui en signe la préface, cet ouvrage «aura l'effet d'une petite révolution sur le milieu universitaire et la vie intellectuelle au Québec» parce que, en plus d'être un modèle de précision et de rigueur, il déplaira autant aux fédéralistes qu'aux souverainistes.
Les premiers, s'ils sont de tendance centralisatrice, seront obligés de constater que l'esprit de 1867 contredit leur vision et, s'ils sont de tendance décentralisatrice, ils devront admettre que l'évolution du pacte originel contredit leur désir. Les souverainistes, pour leur part, n'accepteront pas facilement la thèse qui soutient que, jusqu'en 1949, selon les mots de Laforest, «le fédéralisme canadien a fait somme toute une place relativement généreuse à l'identité culturelle et nationale québécoise».
Car telle est, en effet, l'idée centrale de cet essai d'herméneutique constitutionnelle : pour le Québec, le pacte fédératif originel consistait à «s'unir avec d'autres entités politiques en des matières d'intérêt commun, tout en conservant une entière liberté d'action quant aux matières liées à la survie et à l'épanouissement de son identité culturelle distincte» et, jusqu'en 1949, cette approche fut à peu près respectée. Ce que montre Eugénie Brouillet, c'est que tant que le Comité judiciaire du Conseil privé de Londres fut chargé d'interpréter le pacte de 1867, l'équilibre originel souhaité par le Québec n'a pas trop souffert.
À partir de 1949, toutefois, c'est-à-dire au moment où la Cour suprême du Canada devient le dernier tribunal d'appel en toutes matières, violence fut faite «tant à l'esprit qu'à la lettre de la Constitution», et ce, toujours en faveur de la tendance fédérale centralisatrice, alors que l'évolution de l'ordre mondial (plus d'échanges de toutes sortes) aurait exigé le contraire dans une perspective québécoise. La Loi constitutionnelle de 1982 constitue en ce sens le symbole d'une évolution qui nie l'esprit du pacte fédératif originel.
Si la diversité culturelle ne nous dit rien qui vaille, on peut, écrit Brouillet, rester indifférent à cette évolution et accepter avec résignation, voire en s'en réjouissant, la dissolution de l'identité québécoise dans l'identité canadienne. Toutefois, ajoute-t-elle, «s'ils décidaient à l'inverse de continuer d'exister en tant que nation distincte, les Québécois auront à choisir, à l'issue d'une décision démocratique, de reprendre les rênes de leur destin culturel collectif en assumant les pleins pouvoirs d'un État souverain».
Interprétation historique et politique
Tout compte fait, et contrairement, dans une certaine mesure, à ce qu'affirme le professeur Laforest, c'est essentiellement aux fédéralistes en tout genre que cet ouvrage déplaira puisqu'il leur dit que leur option est devenue incompatible avec la survie de l'identité culturelle québécoise, qui passe nécessairement, aujourd'hui, par la souveraineté. Bien sûr, les historiens et sociologues de tendance nationaliste trouveront à redire sur une partie de la thèse, c'est-à-dire celle qui affirme que le pacte de 1867 pouvait être favorable à la survie et au développement de l'identité québécoise, mais ils ne pourront néanmoins qu'être d'accord avec les conclusions de cet ouvrage, d'autant plus retentissantes qu'elles proviennent d'une savante qui n'est pas associée à une démarche militante.
Ceux, d'ailleurs, que cette logique interprétative intéresse auraient intérêt à lire les travaux du philosophe Michel Seymour, dont l'argumentaire souverainiste s'inspire d'une semblable démarche. Le fédéralisme canadien aurait pu, suggère-t-il lui aussi, convenir au Québec. On sait, aujourd'hui, compte tenu de son évolution, que ce n'est plus le cas. Sur le plan de l'interprétation historique, je le rappelle, cette thèse fait débat dans les rangs souverainistes. Pour certains d'entre eux, en effet, le régime fédéral n'a toujours voulu que l'assimilation du peuple québécois de langue française. Sur le plan de l'analyse politique de la conjoncture actuelle, toutefois, elle réconcilie les souverainistes de principe, ou de longue date, avec les déçus, une fois pour toutes, du fédéralisme renouvelé, qu'il soit rouge ou bleu.
louiscornellier@parroinfo.net
La négation de la nation
L'identité culturelle québécoise et le fédéralisme canadien
Eugénie Brouillet
Septentrion Sillery, 2005, 484 pages
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