Le Canada et le Québec ne sont pas le modèle économique que la France croit, préviennent des chercheurs québécois.
La France a le moral dans les talons. Depuis plusieurs années déjà, ses finances publiques semblent irrécupérables, son économie apparaît désespérément en panne et on y cherche avidement des modèles dont on pourrait s’inspirer pour sortir du marasme. Parmi les pays que ses propres experts lui servent constamment en exemples, on trouve les pays de l’Europe du Nord, bien sûr, mais aussi le Canada. Mais dans ce dernier cas, il y a manifestement un malentendu, concluent Stéphane Paquin et Jean-Patrick Brady, du Groupe d’études sur les relations internationales du Québec (GERIQ) de l’École d’administration publique du Québec (ENAP) dans une note de recherche d’une trentaine de pages intitulée Le mirage canadien et québécois de la France ?.
« La France n’est pas aussi mauvaise que certains se plaisent à le répéter, a expliqué dans un entretien téléphonique au Devoir le politologue Stéphane Paquin, après avoir comparé plus d’une vingtaine d’indicateurs de performance économique et sociale en France, au Canada et au Québec. Mais surtout, les raisons des succès économiques du Canada ne sont pas ceux que l’on dit en France. »
Pas ce que vous croyez
À en croire plusieurs experts français, les politiques d’assainissement des finances publiques menées durant les années 1990 par le gouvernement fédéral de Jean Chrétien ont lancé au Canada une période de prospérité sans précédent. Or, fait valoir l’étude de l’ENAP, les surplus budgétaires et le succès économique canadiens ont surtout découlé de l’introduction de la taxe sur les produits et services (TPS) et de la signature de l’accord de libre-échange canado-américain à la fin des années 1980 par le prédécesseur de Jean Chrétien, Brian Mulroney, puis du boom des prix du pétrole albertain à compter des années 2000.
« Il ne s’agit pas de nier l’importance des politiques d’assainissement du gouvernement Chrétien, seulement de préciser qu’elles auraient été loin de suffire », observe Stéphane Paquin. Malheureusement pour la France, elle pourrait difficilement reproduire les trois facteurs qui ont été les plus déterminants au Canada, puisqu’elle n’a pas la chance de disposer de réserve pétrolière, qu’elle prélève déjà une taxe à la valeur ajoutée relativement élevée et qu’elle ne peut pas espérer signer de nouvelle entente commerciale qui aurait, pour son économie, l’impact qu’a eu le traité canado-américain pour le Canada.
France-Canada-Québec
Dans leur engouement pour le Canada, les experts français oublient un peu vite que le pays est constitué de provinces aux réalités bien différentes. Ne disposant pas, elles non plus, de la manne pétrolière albertaine, « les deux plus importantes, l’Ontario et le Québec, connaissent [elles aussi] d’importants problèmes de croissance et de finances publiques », rappelle l’étude.
À parité de pouvoir d’achat, le Québec affiche ainsi un produit intérieur brut (PIB) par habitant (36 216 $US) légèrement inférieur à celui de la France (37 134 $) et sensiblement plus bas que la moyenne canadienne (43 306 $), à raison d’un taux de croissance moyen de 1,3 % par année de 1981 à 2011, soit un peu moins que le Canada (1,38 %), mais presque la même chose qu’en France (1,29 %). En matière de dette publique, celle du Canada s’élevait à 83 % du PIB en 2009, contre 89 % en France et 88 % au Québec, lorsqu’on inclut sa part de la dette fédérale calculée en fonction de son poids économique dans le pays.
Le Canada et le Québec font, par contre, beaucoup mieux que la France en matière, notamment, d’emploi et de performances scolaires. La France leur rend la monnaie de sa pièce en matière de fécondité et de productivité, bien que, dans ce dernier cas, la plupart des experts tendent à y voir plutôt le symptôme d’un faible taux d’emploi des travailleurs plus jeunes et plus vieux.
Fait tout de même à noter, le taux d’emploi des 25 à 54 ans en France (80,7 %) est très près de celui du Québec (81,7 %) et du Canada (81,4 %) et nettement meilleur que celui aux États-Unis (75,9 %). En matière d’inégalités de revenus, la France fait un peu mieux que le Québec, qui fait mieux que le Canada.
En somme, la réalité est plus nuancée qu’on le dit, conclut Stéphane Paquin, qui a récemment codirigé un ouvrage comparant, cette fois, le Québec avec les pays scandinaves. S’il n’est pas étonnant que la France ne soit plus le modèle qu’elle a déjà été au Canada et au Québec dans les années 1960 et 1970, « la France ferait bien mieux, quant à elle, de ne pas essayer de copier le Canada et de regarder, plutôt, du côté des pays d’Europe du Nord, comme la Suède ».
LE QUÉBEC ET LE CANADA
Un idéal économique illusoire
La France croit à tort que la province et le pays peuvent lui servir de modèles, soutiennent deux experts
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