Les Québécois, qu’ils soient de descendance française, amérindienne, franco amérindienne, anglaise ou Québécois d’adoption plus récente, sont les héritiers d’un processus constitutionnel commencé avec cet acte de 1791. Il suit depuis, une courbe inexorable, celle de la mainmise et de l’appropriation totale du Canada anglais sur le Canada tout entier.
Le traité de Paris de 1763 avait donné enfin à l’Angleterre la possibilité de réaliser ses ambitions et d’acquérir la Nouvelle France qu’elle désirait s’approprier depuis si longtemps, mais elle ne se douta pas un instant des terribles conséquences que cela allait engendrer.
La révolte de ses propres colons anglais des bords de l’Atlantique allait lui faire perdre toutes ses colonies de Nouvelle Angleterre et amener la création inattendue d’un nouveau pays, les états unis d’Amérique.
Ces deux colonisations, d'origine française et anglaise, auraient pu donner naissance à deux grands Etats d'Amérique, si toutefois il n’y en avait pas eu un qui jalousait l’autre et si la guerre européenne de Sept Ans, qui avait lieu des deux côtés de l’océan, ne s’était terminée par un partage arbitraire lors de ce traité de Paris de 1763… Mais l’adversité en avait décidé autrement.
Ce traité avait fait disparaître d'un trait de plume l'ancien Canada français. Alors qu’il donnait la Nouvelle France aux Anglais, ironie du sort, le traité était rédigé en Français, comme d’ailleurs tous les traités de cette époque, la langue française, par la richesse de son vocabulaire, les circonvolutions intellectuelles qu’elle permet, avait été choisie à l’unanimité langue de la diplomatie internationale, depuis le traité de Nimègue en 1678.
Les Anglais désagrégèrent immédiatement l’immense territoire de la Nouvelle France, ils déterminèrent une étroite bande de terre qu’ils appelèrent « Province de Québec ». Celle-ci se rajouta à leurs colonies anglaises situées le long des côtes de l'Atlantique.
Toute l'Amérique du Nord, à l'est du Mississipi, était devenue anglaise. L'avenir souriait enfin aux Anglais !
Mais pour combien de temps ?
En effet si de ce coup de plume victorieux le Canada français était maintenant entre leurs mains, il y avait encore des Canadiens. En octroyant la Nouvelle France à ces mains étrangères, la France avait laissé derrière elle une population de soixante-cinq mille personnes environ. Ce peuple avait depuis plus de deux siècles et demi maintenu la France sur ces terres septentrionales, il avait bâti à la force de son courage ce nouveau pays, c’était son pays désormais, là où ses enfants étaient nés, là où il avait planté solidement ses racines. Il avait été forcé après de nombreuses luttes de céder devant le nombre dix fois supérieur de ses adversaires et avait alors assisté impuissant et déchiré au départ du drapeau du roi de France, des régiments français venus exprès de France les aider, des gouverneurs et de leurs maisons civiles, comme de tous les personnages importants, mais lui était resté sur ses terres, dans ses maisons et dans ses bourgs.
Le traité de 1763 mettant fin à la guerre de Sept ans en Europe, sans se préoccuper de ce qui s’était passé ou non sur le sol de la Nouvelle France, où aucun des belligérants n’avait été ni gagnant ni vaincu, avait donné la Nouvelle France à l’Angleterre qui allait devenir une nouvelle colonie anglaise en Amérique. C’était un pays entièrement constitué, habité, avec une administration fonctionnant parfaitement dans lequel les Anglais n’eurent plus qu’à s’installer. Quelques centaines à peine d’immigrants anglais arrivèrent de 1760 à 1775, ils n’y vinrent pas en très grand nombre durant les premières années. Cette minorité infime disposa, néanmoins, d'une influence nettement supérieure à celle des Canadiens eux-mêmes, qui n'avaient pour eux, que le nombre, parce que l'Angleterre confia toute la gestion de sa nouvelle colonie aux Anglais eux-mêmes. Lorsque les Canadiens obtiendront plus tard le droit d'occuper des emplois publics, ils devront se contenter des postes subalternes.
En moins de quinze ans, tout le commerce passa aux mains des commerçants anglais. Ceux-ci, grâce à leurs relations avec Londres s’en emparèrent facilement, privant les Canadiens qui ne pouvaient plus bénéficier des débouchés commerciaux de leur propre métropole. Tout le contrôle de la vie politique et économique de la colonie appartenait désormais à ceux que les Canadiens appelaient maintenant les Anglais. Toute cette population canadienne, commerçants, artisans, paysans et religieux, même s’ils avaient été séparés brutalement et sans ménagement de leur mère patrie, gardaient l’espoir chevillé au cœur de faire perdurer à travers eux la présence de la France en Amérique, leur Canada français n'était pas disparu. C'était le pays qu'ils avaient bâti, que leurs ancêtres avaient fondé, la terre natale où ils étaient nés, cette terre qu'ils avaient défendue avec toute leur vaillance et leur courage contre l'envahisseur anglo-saxon. Le Canada était leur patrie. Le gouvernement britannique lui-même ne put nier cela, leur gardant leur nom de Canadiens.
Pourtant maintenant cette «nation canadienne» habitait un pays qui ne lui appartenait malheureusement, déjà plus.
Les Canadiens vont malgré tout arriver en quelques années grâce à leur caractère optimiste et à tout leur courage, à relever leur pays, totalement en ruines, dévasté et saccagé, mais aussi ruiné par la guerre que leur avaient faite les Anglais pour s’en emparer. Ils savaient qu’ils étaient à eux seuls la population majoritaire et ils pouvaient croire qu'il en serait toujours ainsi. Le gouverneur anglais, James Murray en était lui-même convaincu.
Personne à ce moment-là, ne doutait que, tôt ou tard, ils reprendraient le contrôle de leur pays, pas même les Anglais. Le jour viendrait, c’était certain, où cela arriverait parce que personne à ce moment-là, ne pouvait prévoir qu'un autre Canada, un Canada anglais cette fois, avec l’aide du destin qui allait terriblement pencher en sa faveur, allait bientôt s’édifier sur leur magnifique Canada français.
Alors que le nouveau gouvernement anglais tentait de gérer la Nouvelle France avec cette population importante de Français du Canada catholiques, habitant le territoire, sans beaucoup d’habileté les dirigeants de Londres instaurèrent immédiatement la Proclamation royale du roi George III. Cette Proclamation royale imposait des lois restrictives aux Canadiens, comprenant leur « Common Law » britannique remplaça le droit français, et le serment du test obligeant les catholiques à renier leur foi, pour pouvoir assumer des fonctions administratives, ce qui les en écartait de fait. Elle comportait certes de grandes avancées pour protéger les territoires des tribus amérindiennes des grands lacs, que le roi tentait ainsi d’amadouer après le triste départ de leurs « frères français », mais cela interdit dans cette perspective aux propres colons britanniques d’envahir la région de l’Ohio que ces derniers croyaient pouvoir enfin investir depuis le départ des Français. Cette décision royale amènera une rancœur supplémentaire à ces colons de Nouvelle Angleterre qui finiront par se révolter contre Londres.
Alors au moment de la révolte des Insurgés les Anglais vont devoir faire rapidement marche arrière par rapport à la Proclamation royale, qui indisposait beaucoup trop la population canadienne, ils instaureront dans l’urgence l’Acte de Québec de 1774 principalement parce que Londres voulait éviter que cette insurrection des colons anglais ne se propage jusqu’au Canada, et que les Canadiens mécontents de l’emprise anglaise sur eux, ne finissent par les rejoindre.
C’est ainsi que cet Acte de Québec avait, heureusement, rétabli des règles manifestement moins strictes à celles qui leur avaient été précédemment imposées, en abolissant le serment du test et en redonnant plusieurs droits aux Canadiens, comme les lois civiles françaises et la reconnaissance du caractère français du territoire…
La révolution des colonies de Nouvelle Angleterre divisa profondément les colons anglo-saxons eux-mêmes. Les Insurgés proclamèrent de leur côté l’indépendance unilatérale des colonies anglaises des bords de l’Atlantique, ils fondèrent, contre le gré de Londres mais grâce au soutien très actif de la France, les états unis d’Amérique et prirent le nom d’Américains.
Quant aux autres colons anglais, restés fidèles et loyaux à Londres et à la monarchie, pour fuir les représailles des colons insurgés, ils allèrent se réfugier au Canada devenu maintenant anglais, mais leur arrivée massive de 50.000 personnes changea radicalement les choses, provoquant une grande inquiétude parmi les Canadiens. Effectivement les nouveaux arrivants anglais incriminèrent très vite les autorités coloniales anglaises, les accusant d’accorder trop de pouvoirs à la majorité canadienne française, en oubliant leurs propres sujets anglais et en permettant aux « vaincus » de dicter la politique coloniale anglaise.
Cette attitude ne faisait que reprendre et amplifier le mécontentement des autres Anglais installés à Montréal, qui n’avaient cessé de réclamer dès leur arrivée, non seulement l’abrogation des lois et coutumes du Canada français mais en plus la création d’une Assemblée législative.
Les Loyalistes à partir de l’année 1783 ne firent que renchérir, ils mirent le feu aux poudres grâce à leur nombre ;
Les conflits s’envenimèrent et ne cesseront de s’exacerber au cours des mois, malgré tous les efforts des autorités anglaises d’essayer de les contenter. Alors submergé par autant d’attaques, de protestations virulentes, de pétitions sans nombre et de vitupérations continuelles, Londres va mettre en place une nouvelle constitution.
L’Acte constitutionnel du 10 juin 1791 sera institué par le parlement britannique pour satisfaire les revendications des Loyalistes et des autres sujets anglais, mais sans en avertir les Canadiens qui de plus n’avaient rien demandé et qui étaient encore moins au fait, bien entendu, de ce qui allait subvenir, avec cette amputation faite de la partie la plus riche du territoire de cette province qu’on leur avait pourtant précédemment laissée. Cette nouvelle loi modifiera considérablement l’Acte de Québec de 1774 qui avait été «très généreux » avec la population francophone, certes, mais les Loyalistes se considéraient maintenant chez eux, en territoire anglais, ils ne voulaient surtout pas d’un état où les lois françaises étaient encore tolérées et toujours sous-jacentes à cause de ces Canadiens Français et catholiques de surcroît !
Cependant ils redoutaient et craignaient encore les anciens colons anglais devenus ces si fiers américains, n’ayant nulle confiance dans les nouvelles idées républicaines de leurs trop proches voisins.
Cet Acte de 1791 comportait cinquante articles, s’il apportait en effet de grands changements à l’Acte de Québec précédent, les Canadiens, conservèrent malgré tout la pleine compétence sur leurs anciennes lois et coutumes du Canada, tel que l’avait stipulé cet Acte mais ces nouvelles dispositions constitutionnelles allaient non seulement créer un régime parlementaire sur le modèle de celui des colonies anglaises de peuplement, mais surtout une importante coupure de la province de Québec. Elle deviendra de facto un terroir réduit à sa plus simple expression, bien distinct et séparé, désormais appelé « Bas Canada », décision demandée par les Loyalistes ne désirant pas vivre à côté des Canadiens. L’autre partie de la province qui se trouvait comme par hasard être le plus riche territoire agricole leur sera donc octroyé ainsi qu’aux autres anglophones.
A l’Ouest de la rivière des Outaouais, ce sera désormais le « Haut Canada » ou province de l’Ontario où se regrouperont les anglophones, à l’Est, le « Bas Canada » ou province de Québec aux structures propres aux Canadiens, tout le long des bords du fleuve Saint Laurent. La création d’une assemblée législative distincte dans chacune des provinces représentera le pouvoir britannique. Des représentants élus démocratiquement siègeront, mais en définitive sans réels pouvoirs puisque toutes les lois votées devront être approuvées non seulement par le gouvernement britannique mais surtout ratifiées par Londres.
Et à tout cela s’ajoutera dans cet Acte constitutionnel la création du système des comtés anglais.
Le Haut Canada se transforma en une véritable province anglophone où les Loyalistes constituèrent une majorité importante, s’organisant suivant la loi et les coutumes anglaises. Leurs propres lois furent adoptées par le parlement, supprimant rapidement le code civil français. Malgré toutes ces avancées faites spécialement pour eux, et à leur demande expresse, les anglophones ne seront toujours pas satisfaits. Ils ressentiront au contraire un sentiment d’aigreur, de frustration même, considérant que le Bas Canada français avait encore obtenu beaucoup trop de potentialité et de liberté.
Sans doute car de leur côté, cet acte de 1791 avait pu faire naître chez les Canadiens, l’illusion magnifique que le conquérant leur cédait un territoire autonome où ils allaient pouvoir tranquillement rebâtir leur pays français du Canada, qui leur avait si brutalement enlevé depuis 1763…
Effectivement en observant ce nombre important d’Anglais s'établir en dehors du territoire qu’on leur avait « généreusement » laissé, alors qu’on leur avait pris toute leur Nouvelle France, ils avaient malgré cette pénible conjoncture, retrouvé un peu d’espoir… Ils crurent alors vraiment que le gouvernement britannique leur avait laissé en propre le Bas-Canada. Pourtant leur méprise sera de courte durée, le gouvernement britannique remettra les choses en ordre dans un proche avenir avec l’Acte suivant : l’Acte d’Union ne leur laissera cette fois, plus aucune illusion !
En attendant même si quelques milliers de sujets anglais habitaient encore au milieu d'eux, ils les acceptaient ne pouvant pas prévoir alors, les conséquences que cette cohabitation allait engendrer. Ils les voyaient seulement installés provisoirement chez eux, même si bien entendu ils leur refusaient le droit, de s'appeler Canadiens, les seuls Canadiens, depuis toujours, c’était eux, les descendants français.
Mais cela se gâta une fois encore, il était hors de question pour ces sujets anglais d’accepter d’être administrés comme cette population canadienne française. Les vainqueurs n'ont généralement pas le goût de se soumettre aux lois des vaincus. Ayant mis la main sur toute la vie économique de la vallée du Saint-Laurent, les Anglais du Bas-Canada n’allaient pas en rester là.
L’Acte du 10 juin 1791 fut dans un tel contexte loin d’être suffisant c’est pourquoi l’aigreur des Anglais ne cessa de croître déclenchant des animosités et des incompatibilités chez les Canadiens auxquels se mêlèrent mille ressentiments.
Toutes ces rivalités empirèrent d’années en années jusqu’à conduire aux graves événements de 1837.
Londres avait besoin d’être informé ne comprenant pas ce qui « mécontentait » à ce point les Canadiens. Lord Durham fut diligenté pour éclaircir ce qui se passait et son célèbre rapport de 1838 guidera hélas par la suite les décisions arbitraires du gouvernement britannique. Celui-ci comprendra l'erreur qu'il avait commise en créant par la constitution de 1791 le Bas-Canada. Cet État canadien, placé dans la vallée du Saint-Laurent, menaçait en effet gravement l'unité anglaise de l'Amérique du Nord.
C’est ainsi que l’Acte constitutionnel de 1791 engendrera l’Acte d'Union suivant, il fournira enfin aux marchands anglais et aux Loyalistes l'occasion de bâtir ce royaume britannique qu’ils désiraient, en venant s'établir dans l’ancien Canada français.
Ce sera une autre page de l’Histoire !
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