Nouvelle-France

Un peuple sans Histoire est comme le vent sur l’herbe aux bisons

Le 4 août 1701 jour de la Grande Paix de Montréal, Français et Amérindiens se sont juré une paix éternelle!

969b56222323aabcc66e279d403738b3

Chronique de Marie-Hélène Morot-Sir

Un événement historique extrêmement fort, l'un des plus grands événements diplomatiques de l'histoire de la Nouvelle-France et de la relation entre les Amérindiens et les Français a été la signature en août 1701, par le Gouverneur Louis-Hector de Callières, représentant la France, et par trente-neuf nations amérindiennes souveraines, du traité de la Grande Paix de Montréal.


Ce traité témoigna ainsi du rôle clé joué par les nations amérindiennes dans l'histoire du Canada, la Grande Paix de Montréal est un épisode tout à fait remarquable dont il importe de raviver et de célébrer le souvenir. Cette paix, voulue par les Français, a réussi à mettre fin à cent ans de conflits, marquant un tournant important dans les relations franco-amérindiennes, elle a instauré une nouvelle ère de paix non seulement entre les Français, mais surtout entre leurs alliés amérindiens et les Odinossonis/Iroquois, ce qui a permis un changement profond pour tous ces peuples qui purent désormais vivre beaucoup plus sereinement permettant aussi de ce fait le développement de Montréal et de la Nouvelle France.


Effectivement depuis l’arrivée des Français, tout le siècle qui a suivi a été marqué de guerres incessantes, générées le plus souvent par les Cinq Nations Odinossonis/iroquoises, contre les Nations alliées des Français. Ces Nations les avaient non seulement accueillis mais invités à rester vivre avec eux souhaitant en contrepartie qu’ils les aident dans leurs conflits avec leurs terribles ennemis héréditaires. – Cf. la Grande Alliance du 27 mai 1603 à la Pointe aux alouettes baie Sainte Catherine


Malheureusement les Français en signant cette Grande Alliance  n’ont pas dû voir qu’ils signaient en même temps un siècle entier de conflits avec les ennemis de leurs alliés.


Au cours des ans, les gouverneurs successifs de la Nouvelle France tentèrent en de nombreuses occasions d’établir une  paix durable avec ces nations iroquoises, mais sans grand succès puisque cela perdurait seulement quelques années, apportant un peu de tranquillité. Entre 1667 et 1680, une nouvelle entente rendit possible une paix générale qui dura cette fois douze ans. Cette période d'accalmie fut hélas suivie par près de vingt ans de reprise des hostilités et de nouveaux échecs pour des négociations de paix, et ce, malgré les efforts soutenus de Louis de Buade comte de Frontenac avec d'autres tentatives encore entre 1688 et 1695. Ainsi ce gouverneur commença à mettre sur pied en 1697 le processus qui conduira à cette Grande Paix de Montréal quatre ans plus tard.


Ce 4 août 1701 après deux longues années de tractations commencées par le gouverneur Louis de Buade comte de Frontenac, poursuivies après sa mort, avec la même ardeur par son successeur Louis Hector de Callières  tous deux bien aidés par de nombreux Amérindiens, comme l’extraordinaire chef Wendat /Huron, Kondiaronk, conscients de ce que cette paix instaurée par les Français allaient leur apporter, ont abouti positivement. Ainsi  ce matin du 4 août tout autour des remparts de la ville les tribus au nombre de trente-neuf étaient si bien au rendez-vous, que les Amérindiens étaient plus nombreux à l’extérieur des remparts que les habitants même de Montréal.


Durant tous ces mois les Anglais avaient en vain tenté de ralentir ce formidable élan, intervenant auprès des Cinq Nations plus proches d’eux, mais en vain pour l’arrêter, comprenant combien, cette entente entre les Amérindiens et la Nouvelle France pouvait les défavoriser.


Dès la fin juillet, toute une flottille rassemblant plus de deux cents canots Odinossonis/Iroquois avait commencé à apparaître le long de Caughnawaga, s’arrêtant au Sault Saint Louis chez leurs frères Iroquois, puis les uns après les autres les députés des trente-neuf nations avaient rangé leurs canots le long de la rive accompagnés de plus de mille deux cents Amérindiens. Cet été-là les nations arrivèrent de toutes les régions pour être à ce grand rendez-vous donné par les Français, certains n’ayant pas hésité à franchir plus  de mille cinq cents kilomètres depuis la vallée du Mississipi (Metsi Sipi) comme les Illinois, les Miamis, ou depuis les bords du lac Michigan, les Mascouten et les Folles avoines et bien sûr  tous les Attichawatta regroupant les Algonquins et tous ceux du Saint Laurent, vieux et chers alliés des Français.. Les Attikamèque les Outaouais, les Etchemins, les Montagnais,  Mik’Maq…Abénaquis… les Wendat/Hurons rescapés, maintenant à Lorette.


Les canons du fort retentissent en signe de bienvenue, les Amérindiens répondent en poussant des cris de joie en déchargeant leurs fusils tout en agitant leurs avirons à bout de bras, le gouverneur Louis Hector de Callières et son état-major au grand complet sont là prêts à les recevoir, en grand uniforme rutilant, pour que cette journée soit grandiose, historique et… à jamais inoubliable !  


« La grande plaine se remplit peu à peu, on voit les ennemis d’hier les plus agressifs et les plus virulents s’installer les uns à côté des autres, assis sur des nattes posées au sol, tout le long de la palissade entourant la ville, car ce jour précis le calumet de la Paix  est allumé, tous l’espèrent pour toujours. Même la grave épidémie qui commençait à frapper les malheureux habitants de Québec ne les ont pas arrêtés dans leurs désirs de faire cette paix, peut-être même les a-t-elle renforcés pour la faire au plus vite. »


Chaque nation va s’engager solennellement à vivre en paix entre elles, c’est le premier point le plus important  demandé par les Français, puis tous se mettent d’accord si quelques différends survenaient entre eux, de venir immédiatement exposer leurs griefs devant Onontio, le gouverneur de la Nouvelle France, afin qu’il puisse trouver rapidement une entente. Cette promesse est d’une importance capitale, elle engage une vraie relation affective  avec les Français abolissant la précédente alliance des nations Odinossonis qu’elles avaient eues avec les colonies hollandaises comme l’ancienne « chaine de convenant » tacitement reprise par les Anglais. Les Français font accepter aux tribus des Cinq Cantons Odinossonis, ce qui est totalement inespéré, de rester neutres si une guerre se déclarait entre la France et l’Angleterre.


Le 4 Août 1701 la paix est solennellement signée, ratifiée par chacun des ambassadeurs des différentes nations, en apposant leur signature représentant le pictogramme de leur tribu, ce paraphe, ce symbole très particulier sur le document officiel est un engagement fort non seulement pour eux mais pour leurs descendants et le contrat sera  respecté durant de nombreuses années.


Le Gouverneur Callières adresse le 6 août suivant le document officiel dans lequel tous ces accords et ces signatures sont consignés, il se trouve encore aujourd’hui aux archives du secrétariat de la marine en France. Mais une lettre accompagne le document dans lequel Louis de Callières suggère, aux autorités françaises de l’époque, la conduite qu’il serait judicieux que la France mette en place :


« Il serait facile de ruiner les établissements anglais de Nouvelle Angleterre puisque la paix a été conclue avec les Odinossonis, les Canadiens sont des combattants bien meilleurs que les Anglais car il n’y a pas de troupes réglées dans leurs colonies, les miliciens Canadiens se battent à la manière amérindienne, ils effraient par leurs attaques aussi soudaines que surprenantes, appuyés par leurs alliés amérindiens, tous les habitants des colonies anglaises , la plupart des places anglaises sont mal protégées comme Corlaer, Orange, Manatte, Boston... »


Suit alors des explications précises, concernant la manière de procéder, rapidement et parfaitement réalisable,  d’autant plus que les Anglais paraissent alors suffoqués de cette paix réalisée sous leur nez par les Français,  malgré pourtant tous les efforts et moyens déployés en vain durant des mois, pour l’empêcher, y compris les plus troublants, comme ceux tentés pour arrêter les acteurs les plus dynamiques et les plus entreprenants.


Pourtant il n’y aura aucune réponse du ministre en place et encore moins de la cour. Cette chance était immense et démesurée, si elle avait été saisie à ce moment précis elle aurait pu faire changer le cours de l’Histoire non seulement celui de la France mais du monde. La Nouvelle France avait des milliers d’Amérindiens prêts à se lever pour elle, décidés à se battre à ses côtés. Si cela avait été mis en œuvre  comme les gouverneurs  sur place  le préconisaient depuis longtemps, la Nouvelle France aurait continué à s’étendre sur tout le continent Nord de l’Amérique.


Francis Parkman, écrivain états-unien écrivit en 1869 « Etonnant qu’une poignée de Français ait eu autant d’emprise sur autant de Sauvages ! »  


Les responsables français qui gouvernaient à cette époque ont sans doute dû par la suite se reprocher de ne pas avoir saisi ces opportunités absolument fabuleuses, amenées par la Grande Paix de Montréal. Mais ce n’était hélas pas dans l’air du temps !


Aujourd’hui ce serait la langue française qui prédominerait sur tout le Nord du continent américain !


Il n’y a pas eu de reconnaissance de ces autorités lointaines pour tous ces Français, que ce soit des explorateurs, des coureurs des bois, des pères missionnaires et tous ceux qui ont préparé pendant des mois au fin fond des tribus avec enthousiasme et courage cette magnifique paix de Montréal, cela grâce à leurs vies passées auprès des Amérindiens, aux multiples alliances créées, à leurs actions personnelles à leurs côtés, à l’amitié et l’affection  qu’ils ont suscités, aux liens forgés depuis tant d’années y compris parfois leurs liens familiaux dus à ces relations affectives avec des jeunes femmes des bois.


Mais les Anglais ont parfaitement reçu le message de cette grande paix de Montréal, ils ont senti la menace les effleurer  et c’est à partir de ce moment qu’ils ont déclenché et mis en place tous les éléments leur permettant de s’emparer par la suite de cette Nouvelle France qu’ils convoitaient depuis tant d’années, avant qu’elle puisse continuer à s’étendre davantage. Avant peut-être aussi que les Français du Canada aient reçu l’approbation des  autorités françaises.


C’est donc encore plus difficile de constater que les Anglo-Saxons ont si bien joué que personne ne se rappelle, ou n’essaie de se rappeler maintenant  de cette entente, ni de cette immense amitié, parce que diviser pour mieux régner reste une règle immuable. Les Amérindiens ne sont pas responsables de ce qui s’est ensuite passé car  ils ont été manipulés facilement au moment où ils ont senti qu’ils allaient rester seuls, face à l’adversaire anglais ! Ces derniers  ont eu toute latitude pour les séparer des Français, et les siècles passant ils sont parvenus à occulter cette magnifique paix de Montréal, sans doute parce que cette alliance leur  avait fait craindre le pire, pour eux. Toutes les fois où les Amérindiens et les Français ont été  unis, le passé le démontre assez, les Anglais avaient toujours perdu !


Aussi longtemps que la Grande Paix de Montréal a été respectée, toutes les nations amérindiennes ont conservé leurs territoires, leur sort était lié à celui de la Nouvelle France... Traité unique dans l’Histoire de l’Amérique du Nord, jamais dénoncé jusqu’ici.


Une telle paix ne s’était pas vue jusque-là et cela ne s’est plus jamais revu depuis.


Un peuple étranger était arrivé sur un sol où il avait été accueilli par les habitants et invité à rester et à vivre avec eux, il n’a jamais voulu en chasser les habitants, n’a jamais voulu les exterminer pour leur prendre leurs terres, mais au contraire a désiré vivre en bonne entente, et en amitié avec eux. Cent ans après, il a instauré cette grande paix voulant avant tout, que toutes ces Premières Nations la fassent entre elles, avant même de la faire avec lui.


Cette amitié unique entre des peuples aux coutumes si différentes, cette amitié jamais observée jusque-là, est-elle perdue à jamais ? Il y aurait tant de retrouvailles à refaire ! Comment se soucier de conserver la mémoire dans le monde d'aujourd'hui ?


Et pourtant quel évènement  extraordinaire  où ce jour du 4 août 1701 Français et Amérindiens se sont juré une paix éternelle.


Featured 9f80857c4f8cb8374a10579d275de8ea

Marie-Hélène Morot-Sir151 articles

  • 303 374

Auteur de livres historiques : 1608-2008 Quatre cents hivers, autant d’étés ; Le lys, la rose et la feuille d’érable ; Au cœur de la Nouvelle France - tome I - De Champlain à la grand paix de Montréal ; Au cœur de la Nouvelle France - tome II - Des bords du Saint Laurent au golfe du Mexique ; Au cœur de la Nouvelle France - tome III - Les Amérindiens, ce peuple libre autrefois, qu'est-il devenu? ; Le Canada de A à Z au temps de la Nouvelle France ; De lettres en lettres, année 1912 ; De lettres en lettres, année 1925 ; Un vent étranger souffla sur le Nistakinan août 2018. "Les Femmes à l'ombre del'Histoire" janvier 2020   lien vidéo : https://www.youtube.com/watch?v=evnVbdtlyYA

 

 

 





Laissez un commentaire



1 commentaire

  • Jean-Claude Pomerleau Répondre

    5 août 2019


    Grand merci de nous rappeler dans ce superbe texte l'importance de cette Grande Paix de 1701 pour notre nation.


    Depuis la Grande alliance (1602-1603), les français auront mis 100 ans pour remplir l'engagement de Champlain qui fut d'abord d'imposer la paix aux ennemis de ses nouveaux alliés, avant de se résoudre à la guerre. Cette alliance fut déterminante à la naissance et l'essor de la colonie.


    Denis Vaugeois (probablement alimenté par  Éric Thierry, le grand spécialiste de Champlain) est revenu sur cette Grande alliance lors des célébrations du 400e de la fondation de Québec :


    « 1603. Du 15 mars au 24 août. Cours intensif pour Champlain.


    Pour ce voyage de 1603, Dupont-Gravé ramène, à bord de la Bonne-Renommée, deux Indiens qui avaient été reçus par Henri IV. La traversée dure plus de deux mois. On peut supposer que les échanges sont passionnants pour Champlain. Il a tout à apprendre. La barrière des langues n’existe pas : les deux Indiens qui avaient voyagé avec Malhortie ,l’année précédente, ont certes appris un peu de français et Dupont-Gravé parle assez bien leur langue. Ce qui suivra n’est pas le fruit du hasard.


    À leur arrivée, la population de Tadoussac est en pleine tabagie. Le grand sagamo Anadabijou écoute attentivement les deux émissaires. Le Roi leur a fait « bonne réception »; ils assurent, rapporte Champlain dans son rapport intitulé Des Sauvages et qu’il fera publier « par privilège du roi », dès novembre 1603, que « sadite Majesté leur voulait du bien et désirait peupler leur terre ». Surtout, ajoutent-ils, Sa Majesté désire « faire la paix avec leurs ennemis (qui sont les Iroquois, précise Champlain), ou leur envoyer des forces pour les vaincre.


    Anadabijou a le sens du protocole. Son idée est arrêtée, mais il fait d’abord distribuer du pétun (tabac) à Dupont-Gravé et à ses compagnons. « Ayant bien pétuné, il commença sa harangue […] fort content d’avoir sadite Majesté pour grand ami […] et fort aise que sadite Majesté peuplât leur terre et fit la guerre à leurs ennemis.


    Les alliances franco-indiennes, amorcées en 1600, venaient de franchir une nouvelle étape. Anadabijou et Dupont-Gravé avaient jeté les bases de l’Amérique française. Ce sera l’affaire de Champlain de faire en sorte que cohabitation et métissage soient au rendez-vous. »




    Source : Texte de la communication présentée par Denis Vaugeois lors du 133e congrès du comtié des travaux historiques et scientifiques (CTHS) à Québec le 2 juin 2008.


    http://www.septentrion.qc.ca/blogue/champlain-et-dupont-grave-en-contexte