C’est dimanche à l’aube, après cinq jours de négociations, que les représentants des grandes puissances occidentales et l’Iran ont scellé un accord intermédiaire visant à contenir le programme nucléaire de Téhéran pour les six prochains mois.
L’accord a été qualifié de « succès » par le guide suprême iranien, l’ayatollah Khamenei, et de « première étape importante » par le président des États-Unis, Barack Obama, mais il n’en reste pas moins fragile et incertain.
Le court texte de quatre pages du « plan commun d’action » vise à « atteindre une solution complète et à long terme à l’issue d’un accord mutuel destiné à s’assurer que le programme nucléaire iranien sera uniquement pacifique ». Plus précisément, l’accord prévoit que la moitié du stock existant d’uranium enrichi à 20 % devra être dilué à moins de 5 %. De plus, l’Iran s’engage à arrêter toute activité d’enrichissement d’uranium même à moins de 5 % durant les six prochains mois et à ne pas construire de nouvelles centrifugeuses en plus des 3000 que le pays compte déjà. Enfin, Téhéran devra permettre un accès quotidien à ses sites aux experts de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA).
En échange, les représentants du « 5 + 1 », soit les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU, États-Unis, France, Grande-Bretagne, Russie, Chine, plus l’Allemagne, un des principaux partenaires économiques de l’Iran, s’engagent à un allégement des sanctions « limité, temporaire et ciblé qui pourra être annulé », équivalant à quelque sept milliards de dollars. De cette somme, environ quatre milliards sont constitués d’avoirs issus de la vente de pétrole, gelés dans des banques internationales.
Pour le président Obama, ce « premier pas » accompli énormément en « coupant les routes les plus évidentes à la fabrication d’une bombe » et en ouvrant « un nouveau chemin » vers un monde plus sécuritaire. En Iran, le président Hassan Rouhani a quant à lui estimé que « toutes les sanctions seraient levées pas à pas au fur et à mesure des négociations », alors que l’accord en lui-même semblait faire consensus au sein de la classe politique du pays, selon le New York Times. Il s’agit d’un jalon marquant entre les deux pays, qui ont rompu leurs relations diplomatiques il y a trente-quatre ans lors de la révolution islamique et de l’invasion de l’ambassade des États-Unis à Téhéran.
Le gouvernement canadien s’est dit pour sa part « profondément sceptique », affirmant que les sanctions imposées par Ottawa demeureraient fermes jusqu’à ce qu’il voie des actions concrètes. « Pour dire les choses simplement, l’Iran n’a pas gagné le droit au bénéfice du doute », a affirmé le ministre des Affaires étrangères, John Baird.
Cependant, c’est en Israël que les réactions ont été les plus virulentes, le premier ministre Benjamin Nétanyahou dénonçant même « une erreur historique » qu’il n’était pas tenu de respecter. Prenant la parole devant son cabinet, le premier ministre a déclaré que l’entente avait fait du monde un « endroit plus dangereux » et a réitéré sa menace de recourir à la force contre l’Iran si nécessaire, soutenant que l’État hébreu avait « le droit et le devoir de se défendre lui-même ».
Le président israélien, Shimon Peres, Prix Nobel de la paix, a fait preuve de son côté d’une approche plus positive. « Je voudrais dire aux Iraniens : vous n’êtes pas nos ennemis et nous ne sommes pas les vôtres. Il est possible de régler ce problème par la diplomatie. La balle est dans votre camp. Rejetez le terrorisme. Mettez fin au programme nucléaire. »
La majorité des observateurs s’accordent sur le fait que le véritable défi reste à venir durant les six prochains mois de négociations. « Maintenant, la partie vraiment difficile commence » a commenté le secrétaire d’État américain, John Kerry, ajoutant qu’il faudra faire « un effort pour obtenir un accord complet qui demandera d’énormes engagements en matière de vérification, de transparence et de responsabilité ».
Des négociations porteuses d’espoir
Pour T.V. Paul, professeur de relations internationales à l’Université McGill, l’accord représente « une percée plus psychologique que technique », mais les négociations elles-mêmes sont porteuses d’espoir en ce qui concerne une éventuelle pacification de la région, de l’Afghanistan à la Syrie, estime-t-il. « L’accord n’est pas un pas de géant, mais il permet de calmer la situation », ajoute Frédéric Mérand, directeur du Centre d’études et de recherches internationales (CERIUM), pour qui il était « minuit moins cinq », puisque la situation aurait pu très vite dégénérer.
Fin octobre 2013, l’Institute for Science and International Security (ISIS), un groupe de réflexion qui se veut non partisan, estimait en effet que l’Iran n’était plus qu’à un mois de pouvoir enrichir assez d’uranium pour produire une bombe. Le rapport a été pris très au sérieux par les membres du Congrès américain qui souhaitaient alors déjà renforcer les sanctions économiques envers l’Iran.
Cependant, le Congrès accepterait désormais de ne pas court-circuiter le processus mis en place à Genève, tout en menaçant Téhéran d’un renforcement sans précédent des sanctions déjà en place. « Si l’Iran ne consent pas à un accord [final] qui l’empêche d’acquérir l’arme nucléaire, il existe un vaste consensus au Congrès pour imposer des sanctions encore plus dures », a déclaré dans un communiqué le sénateur démocrate Carl Levin, président de la commission de la Défense.
« L’accord pourrait ne pas survivre à la politique intérieure de Téhéran ou de Washington », reconnaît Julian Schofield, professeur de science politique à l’Université Concordia. D’ores et déjà, le texte donne lieu à des interprétations divergentes sur la possibilité pour l’Iran de maintenir à terme le droit d’enrichir de l’uranium à des fins civiles. D’un côté, le président iranien Hassan Rohani a affirmé que « le droit à l’enrichissement d’uranium sur le sol iranien a été accepté ». De l’autre, John Kerry a affirmé au contraire que l’accord « ne dit pas que l’Iran a le droit à l’enrichissement, quoi qu’en disent certains commentaires en l’interprétant ». « Ce que dit [le document], c’est que, dans le cadre d’une solution complète, si nous atteignons le stade suivant de cette solution complète, l’Iran sera en mesure de jouir de ses droits fondamentaux à disposer de l’énergie nucléaire à des fins pacifiques, ce qui impliquera ce que nous appelons un programme d’enrichissement mutuellement défini et limité aux besoins pratiques », a expliqué le chef de la diplomatie britannique, William Hague.
Pour Joel Rubin, responsable des relations politiques pour le groupe de réflexion pacifiste Ploughshares Fund, les négociations à venir vont « être un défi à tous les sentiments, les conceptions, les idéologies et les émotions qui se sont cristallisés aux États-Unis, en Occident et en Israël depuis des décennies. Cela va être très, très dur ».
Avec l’Agence France-Presse, l’Associated Press et La Presse canadienne
Un « premier pas vers la paix » avec l’Iran
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