BRUTALITÉ POLICIÈRE

Un témoignage

Conflit étudiant - grève illimitée - printemps 2012


Alexandre Poulin - L’auteur est étudiant à la maîtrise en histoire de l'art
J'étais jeudi le 19 avril 2012 parmi les étudiants qui ont occupés de façon pacifique l'Université du Québec en Outaouais (UQO). La vidéo présentée a été produite à la suite d'un abus indescriptible des forces policières de la ville de Gatineau. Voici ce que j'y ai vécu:
Après avoir tenté à plusieurs reprises d'entrer par diverses portes dans notre université bloquée par des policiers, des étudiants ont trouvé une porte qui n'était pas surveillée. Des centaines d'étudiants sont entrés. Il faut comprendre que nous étions tous très bouleversés par les blessures encourues à la tête par deux de nos camarades quinze minutes plutôt. Bavure policière? Oui. On ne frappe pas à la tête avec des matraques.
Donc on entre dans la cafétéria de l'UQO, on l'a vu aux infos ce matin, on chantait des slogans, faisait du bruit. Un leader improvisé a commencé à proposer qu'on prenne la parole pour discuter de notre vision de l'université. Tous se sont assis aux tables, nous étions on ne peut plus pacifique. Un a un les étudiants dénoncent l'entêtement du gouvernement, la marchandisation de l'éducation, la brutalité policière. Quelques minutes plus tard, l'anti-émeute débarque en trombe pendant notre exercice démocratique. Le mot d'ordre est lancé par un des leaders : on reste assis, on ne panique pas et on garde le silence pendant quelques minutes. Pendant que l'anti-émeute blindée se plaçait en ligne de front devant nous, nous les regardions silencieusement, un signe de peace des doigts en l'air.
Alors une mère s'est levée et a poursuivi l'exercice que nous entamions. Pendant près d'une heure, l'anti-émeute est restée là, plantée devant nous, avec l'air menaçante qu'on lui connait, à nous écouter discourir. J'ai moi-même pris la parole plusieurs fois. Nous étions émus. C'était beau à voir. Une rangée de G.I. Joe devant de simples étudiants tous assis, pacifiques et calmes. Nous prenions possession de notre université, cette institution de transmission du savoir, sans faire de grabuge (des policiers ont d'ailleurs brisé eux-mêmes des portes et des fenêtres avec leurs matraques). On leur a même offert de prendre la parole, naïvement, mais ça ne parle pas des G.I Joe.
A un moment donné, un policier nous a indiqué dans un microphone que nous étions en état d'arrestation pour méfait. Il nous a lu nos droits, l'anti-émeute nous a encerclé. Les policiers ont omis de nous donner l'avertissement que nous étions dans l'illégalité avant de nous arrêter. Ils n'ont pas respectés la procédure légale qui consiste à nous permettre de quitter les lieux.
Résignés et fiers, les étudiants sont sortis un à un, escortés par des policiers pour se faire sauvagement menottés (on en a des bleus) et être éventuellement amenés au poste. Mais c'était long. Après deux heures à attendre pacifiquement notre tour dans cette cafétéria, certains ont commencés à avoir soif et envie. Il faut savoir qu'à notre entrée dans l'UQO quelques heures plus tôt, la direction a fermé l'eau des abreuvoirs et les policiers nous ont bloqué l'accès aux toilettes. On a demandé à des policiers s'ils pouvaient nous laisser aller au toilette. Leur réponse : "C'est pas mon problème".
Discrètement, pressée par son envie, une fille est allée uriner dans un coin. À son retour à la table, un policier s'est approché d'elle et lui a dit de le suivre. Certains se sont levés, le policier a alors tordu le bras de l'étudiante. C'est là que tout a éclaté et qu'on a été témoin de l'une des plus horribles choses qu'il m'est adonné de voir dans ma vie.
Les manifestants, dont un couple de personnes âgées, se sont précipités pour défendre (verbalement et non physiquement) leur camarade. Les policiers ont sautés dans le tas et la pluie de matraques a commencé. Un policier frappait l'homme dans la soixantaine avec le rebord de son bouclier. Il saignait. Sa femme essayait de le défendre. La dame âgée a été projetée sur le sol et a elle aussi reçu de multiples coups de matraques. Une bonne dizaine (sur les 40 étudiants encore présent) ont aussi reçu des coups parce qu'ils tentaient de défendre les deux grands-parents victimes de brutalité policière. On pleurait de colère. C'était franchement dégueulasse et inhumain. Ils ont arrêté l'homme. Pendant ce temps on était hors de nous. Les policiers nous disaient de se calmer et de nous asseoir. Ça faisait des heures qu'on était assis et qu'on collaborait avec les policiers. Plus pacifiques que jamais: les médias sur place plus tôt en étaient même étonnés. Mais de voir des personnes âgées se faire tabasser pour avoir tenté de défendre une fille qui se faisait tordre le bras pour avoir pissé dans un pot, c'était de trop.
Après l'arrestation du monsieur, après que l'étincelle eut explosé, on a vu la vieille dame se faire frapper au visage. On le voit dans la vidéo. Criss, on était pacifique.
Après l'évènement on était tous dégoutés. Ça a encore pris des heures avant qu'on soit transporté au poste. On a ensuite été séparé en deux groupes: un vers le poste de Hull, l'autre vers celui de Gatineau. J'étais dans celui de Gatineau. Pendant cinq heures, on est resté incarcéré à sept dans une cellule simple. Certains étaient 17 dans des cellules à peine plus grandes.
On a fini par sortir du poste vers 11h30. On est allé rejoindre nos camarades à Hull pour qui le moment a été plus dur que nous, ils sont restés dans un bus, menottés, pendant près de deux heures avant de rentrer au poste et d'en ressortir vers 2h00 a. m. Au moins la tension était moins tendue de notre côté, quoique nous étions tout de même des prisonniers politiques arrêtés pour de supposés méfaits. J'insiste là-dessus : les arrestations massives des derniers jours sont arbitraires et fondées sur des divergences politiques. Si le gouvernement respectait la légitimité de nos associations étudiantes et acceptait de nous parler, nous n'en serions pas rendus là. On envoie la police à nos trousses.
Des étudiants portant le carré rouge se faisaient interdire l'accès à l'UQO mercredi. Ils ne pouvaient même plus entrer dans leur université pour assister aux cours forcés par l'injonction parce qu'ils affichaient le symbole de la lutte étudiante. Des profs et des étudiants se faisaient engueuler dans les derniers jours à l'UdeM par des agents de sécurité armés de matraques et engagés par la direction. Ils les forçaient à entrer en classe même si aucun autre étudiant n'y était. Ensuite on nous demande de condamner la violence des manifestants? On cherche à diviser notre mouvement en n'invitant pas l'association qui représente 50% des grévistes à négocier? On fait des blagues qui suggèrent notre déportation dans le Nord? Voyons donc! Nous sommes les condamnés d'avance de la machine répressive néo-libérale. De véritables drames humains se jouent depuis deux mois dans la rue et les séquelles psychologiques (sinon physiques) seront vives pour plusieurs d'entre nous.
Les 150 étudiants arrêtés hier ont tous été libéré sous promesse de comparaître en cour. On relate dans les médias que nous n'avons pas reçu de contravention pour faire de ces 150 arrestations un cas exemplaire de bris d'injonction. Si nous sommes reconnus coupable, c'est un casier judiciaire qui nous attends. On veut faire de nous des criminels. Tout ça pour avoir pris possession de notre université investie par des G.I. Joe et pour avoir ainsi revendiqué son accessibilité. L'université québécoise appartient à tous les étudiants québécois. Je suis de l'UQAM, mais l'UQO m'appartient également au même titre qu'elle appartient à quiconque souhaite étudier, peu importe son origine sociale.
Je suis fier d'être étudiant, fier de me tenir debout. J'assume mes actes la tête haute. Mais franchement, j'ai honte d'être québécois en ce moment.


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