Le premier ministre québécois aime bien dire que les relations qui unissent la France et le Québec sont entrées dans «une autre époque». Cette semaine, alors qu'il célébrait à Paris les 50 ans de la Délégation générale du Québec en France, il a eu l'occasion de le répéter tant au ministre des Affaires étrangères, Alain Juppé, qu'au premier ministre, François Fillon.
Certes, Jean Charest n'a pas été reçu par Nicolas Sarkozy, alors que de Gaulle avait accueilli son prédécesseur Jean Lesage en 1961 avec la moitié de ses ministres. Mais, selon Jean Charest, il ne faudrait pas sombrer dans une «légitime nostalgie» et regretter les «éclats du passé». Pour notre premier ministre, la relation entre la France et le Québec est «passée à autre chose». Moins politique, elle s'approfondirait dans l'économie et aurait pénétré tous les secteurs de la société civile. Elle serait même devenue «plus mature».
Jean Charest n'a pas tout à fait tort, chacun peut le constater. Il n'existe pas beaucoup de secteurs où la France et le Québec n'expriment leur complicité. Même l'économie, longtemps parent pauvre, semble devoir maintenant emboîter le pas.
Mais, en affirmant que nous étions entrés dans «une autre époque», le premier ministre ne croyait peut-être pas si bien dire.
Mercredi, Jean Charest était au siège de l'Organisation internationale de la Francophonie (OIF) avec le secrétaire général Abdou Diouf pour annoncer la tenue à Québec cet été d'un grand Forum international sur la langue française. Il y a encore dix ou vingt ans, celui qui aurait annoncé un tel événement aurait aussitôt provoqué l'enthousiasme des organisateurs de festivals. Ne serait-ce que pour la manne que représentent plus de 1000 jeunes francophones venus du monde entier. Qu'on se souvienne de la Superfrancofête, en août 1974, qui fut la mère de tous les festivals québécois et qui réunissait 100 000 jeunes à Québec, dont un grand nombre venus de nombreux pays francophones.
Voilà l'exemple qu'avaient évidemment en tête les représentants des pays francophones qui assistaient nombreux à la conférence de presse lorsque Jean Charest évoqua la synergie qui pourrait se tisser entre le forum international et le Festival d'été de Québec. Et voilà qu'il aura fallu leur expliquer que les temps avaient bien changé et que ce même Festival de Québec réservait ses meilleures scènes à des artistes... anglophones! Sans compter que ses organisateurs n'entendaient pas se faire dicter leur programmation.
Il fallait être dans la salle pour comprendre à quel point ce qui se passait ce matin-là à l'OIF avait des airs surréalistes. Il fallait voir l'étonnement des représentants africains. N'avaient-ils pas toujours cru que le Québec était le porte-flambeau de la défense du français dans le monde? Et voilà que, dans ce Québec qui fait par ailleurs la leçon au monde entier, il ne serait même pas possible de convaincre un petit festival de réserver ses meilleures scènes à des artistes francophones pour accueillir un forum international sur la langue française? Allait-on fêter la langue d'Alain Souchon et de Pierre Lapointe en écoutant Metallica et Simple Plan?
Visiblement étonné de la fin de non-recevoir qui est venue de Québec, le premier ministre, un peu abasourdi, semblait découvrir «en temps réel» à quel point nous étions en effet «passés à autre chose». Hier, il en était réduit à dire que le gouvernement allait essayer de faire son possible afin d'influencer la programmation du Festival d'été de Québec pour éviter que le millier de jeunes francophones attendus en juillet prochain ne se trémoussent au son de U2 et d'Arcade Fire.
Et dire qu'il y a encore des gens qui défendent cette mainmise du star-system anglo-saxon sur les scènes québécoises au nom de l'«ouverture». Elle est belle l'«ouverture» de ceux qui envoient promener un premier ministre qui les invite poliment à, justement, «ouvrir» leurs scènes à des artistes sénégalais, haïtiens, français, congolais, martiniquais, vietnamiens ou roumains!
Si le Québec avait voulu dégonfler, sur la scène internationale et devant un public (et des journalistes) venu de tous les pays francophones, le mythe selon lequel il est le plus fier défenseur de la langue française, il n'aurait pas fait mieux. Malgré les belles paroles de nos représentants, ce mythe est d'ailleurs aujourd'hui en voie de s'effriter, tout particulièrement en France.
Les Français qui connaissent le Québec et qui y vont régulièrement ont bien vu que Montréal s'anglicisait à vue d'oeil. Pas plus aveugles que n'importe qui, ceux que je rencontre à Paris m'en parlent souvent. Comme ils visitent Montréal périodiquement, tous les trois ou six mois, ils sont parfois mieux placés pour mesurer les évolutions que ceux qui sont immergés en permanence dans le magma linguistique montréalais.
Décidément, il se pourrait que Jean Charest n'ait jamais eu autant raison. On est vraiment à «une autre époque»!
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crioux@ledevoir.com
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