Une bibliothèque numérique québécoise est accusée de bafouer les droits d'auteur

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Paris — Une fois de plus, un site Internet est accusé de piller les droits d'auteur en rendant accessibles gratuitement des œuvres qui ne sont pas libres de droits. En novembre, un blogueur français avait illégalement mis en ligne La Carte et le territoire pour lequel Michel Houellebecq a remporté le prix Goncourt. Cette fois, c'est un site québécois, appelé Les Classiques des sciences sociales, qui est dans la ligne de mire des éditeurs français.
Créé par le sociologue Jean-Marie Tremblay et hébergé par l'Université du Québec à Chicoutimi (UQAC), le site propose des centaines d'oeuvres à télécharger, dont un grand nombre ne sont pas libres de droits à l'étranger. C'est ce que révélait hier le quotidien Libération en mentionnant tout particulièrement les 25 livres d'Albert Camus que le site avait mis en ligne.
Dans de nombreux pays, dont la France, les oeuvres littéraires tombent dans le domaine public 70 ans après la mort de leur auteur et non pas 50 ans plus tard comme au Canada. En proposant des livres de Camus (mort en 1960), le site de l'UQAC serait donc passible de poursuites en France.
«Nous suivons le dossier de très près», nous a déclaré Alban Olivier, secrétaire général des éditions Gallimard. Cet automne, l'éditeur avait mis le site en demeure de bloquer le téléchargement vers l'étranger des oeuvres de Camus et d'en retirer totalement Le Premier Homme, un roman posthume publié en 1994 et donc toujours soumis au droit d'auteur même au Canada. Apprenant que d'autres titres de Gallimard non libres de droits pouvaient toujours être téléchargés de la France, Alban Cerisier nous a répondu qu'il exigerait «des éclaircissements».
Malgré la mise en demeure reçue cet automne, Jean-Marie Tremblay a attendu d'être contacté il y a quelques jours par un journaliste de Libération pour demander à l'université de bloquer le téléchargement vers l'étranger des 25 livres de Camus que contenait son site. Mais celui-ci contient toujours plus d'une centaine d'autres titres susceptibles d'enfreindre la loi française. Cela comprend des oeuvres de Paul Éluard, Marcel Maus, Emmanuel Mounier, Teilhard de Chardin, Alain, Julien Brenda et plusieurs autres.
Sur le site, de nombreux titres sont d'ailleurs accompagnés d'une mise en garde reconnaissant que certaines «oeuvres sont [...] encore soumis [sic] aux droits d'auteurs dans d'autres pays». La jurisprudence française exige cependant plus qu'un simple avertissement. En septembre 2000, un tribunal français avait ainsi obligé Yahoo à bloquer l'accès à des sites américains offrant du matériel de propagande nazi dont la vente était interdite en France, mais permise aux États-Unis.
«Je ne pouvais même pas imaginer enfreindre une loi française en étant au Canada», nous a déclaré Jean-Marie Tremblay, qui a fondé le site en 2000. Il soutient que cette controverse oppose «David contre Goliath». Visiblement peu sensible à l'argument du droit d'auteur, le sociologue n'a pas prévu bloquer le téléchargement de nouveaux titres. «Si je reçois un avis, je bloquerai le site», dit-il.
La maison Gallimard disait hier ne pas exclure d'éventuelles poursuites. Selon Alban Cerisier, les autres maisons d'édition françaises concernées suivent aussi ce dossier de près. Ce n'est pas la première fois que Gallimard éprouve de tels problèmes au Québec. Récemment, un site québécois s'était mis en tête d'offrir un titre de Gallimard en téléchargement payant sur les téléphones cellulaires. Pour Olivier Cerisier, «la protection des droits d'auteur exige une vigilance absolue. N'en déplaise à certains, il y a encore des auteurs et des successions qui osent encore vivre de leurs droits».
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Correspondant du Devoir à Paris


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