La «franchise santé» et la Loi canadienne sur la santé

Une liberté théorique, mais des contraintes bien réelles

La Loi canadienne sur la santé interdit que des frais soient exigés «soit directement, soit indirectement» pour un service de santé assuré.

Santé - ticket modérateur et taxe santé

La Loi canadienne sur la santé interdit que des frais soient exigés «soit directement, soit indirectement» pour un service de santé assuré.

Photo : Jacques Nadeau - Le Devoir

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Le budget présenté la semaine dernière par le ministre québécois des Finances semble être destiné à faire couler beaucoup d'encre, surtout en regard de deux mesures particulières qu'il propose relativement au financement des services de santé.
La première, une contribution uniforme (25 $ cette année et 200 $ en 2012) qui serait exigée des contribuables, étonne d'abord par son caractère non progressif, se démarquant ainsi de la méthode traditionnelle de financement des services de santé basée sur l'impôt sur le revenu, donc sur une méthode par laquelle le niveau de revenu détermine la contribution de chacun.
Bien qu'elle ait suscité déjà une forte réaction, cette mesure ne soulève pas le même genre de questionnement que l'autre qui lui est associée et qui doit entrer en vigueur ultérieurement, soit celle de la «franchise santé». On sait peu de chose des conditions et modalités de cette dernière mesure, mais on croit comprendre qu'il s'agirait de prélever, par l'entremise des mécanismes fiscaux, un montant déterminé en fonction de la «consommation» des services de chacun, peut-être avec une modulation en fonction du lieu de cette consommation. Dans ce cas précis, la question posée par bon nombre d'observateurs est la suivante: cette franchise santé constituerait-elle une contravention à la Loi canadienne sur la santé (LCS)?
Loi de financement
À l'égard de cette question, il convient d'abord de rappeler que la LCS, malgré son «aura politique», n'est pas, au sens strict du terme, une loi de nature constitutionnelle qui aurait pour effet de limiter l'exercice des compétences des provinces en matière de santé. Il s'agit surtout d'une loi de financement, c'est-à-dire d'une loi qui vise à déterminer les conditions à respecter par les provinces pour obtenir les transferts fédéraux en matière de santé.
Dans cette perspective strictement juridique, il est vrai que le Québec est en mesure de prendre toutes les décisions qu'il estime souhaitables au chapitre du financement des services de santé et qu'en ce sens, un «débat entre Québécois», suivant le souhait exprimé par le premier ministre, est tout à fait possible. Pour les esprits pragmatiques toutefois, il semble bien que l'argent soit souvent «le nerf de la guerre» et que le Québec n'est pas en position de renoncer à une partie plus ou moins importante aux transferts fédéraux. Pour ceux-ci, il pourrait être hasardeux de faire l'économie d'une réflexion sur l'impact de la LCS à l'égard de la franchise santé.
Exigences de la loi
À ce sujet, la réponse tient surtout à deux conditions et exigences particulières, distinctes mais manifestement convergentes, de la LCS:
- D'abord, la condition d'accessibilité, qui suppose que le système de santé d'une province «ne fasse pas obstacle, directement ou indirectement, et notamment par facturation aux assurés, à un accès satisfaisant» aux services de santé assurés, soit pour l'essentiel des services médicaux et des services hospitaliers (art. 2 et 12).
- Ensuite, l'interdiction spécifique des «frais modérateurs», c'est-à-dire des frais exigés «soit directement, soit indirectement» pour un service de santé assuré (art. 2 et 19).
Peut-on alors réellement espérer que la franchise santé puisse être autorisée en vertu de la LCS? Est-ce que le fait qu'il n'y ait pas de facturation immédiate, au moment de l'obtention des services, mais plutôt, présumément lors de la production et du traitement de la déclaration de revenus, rend le procédé plus acceptable? Qu'en est-il de la distinction qu'on semble vouloir faire entre «ticket modérateur» et «ticket orienteur», cette dernière formule signifiant que l'accès à certaines «portes d'entrée» ne donnerait pas lieu à l'application de la franchise ou donnerait lieu à une franchise modérée (en CLSC par exemple), alors qu'une franchise maximale serait applicable pour l'accès à d'autres portes d'entrée (à l'urgence d'un centre hospitalier par exemple)?
La LCS ne faisant pas de distinctions entre ces différentes formules, mais interdisant plutôt toute forme d'imposition de frais «directs ou indirects» pour les services assurés, il nous semble assez douteux que cette franchise santé passe le test avec succès, peu importe la forme empruntée. En fait, c'est bien sûr le lien entre la contribution et le niveau de consommation des services qui est susceptible de rendre la mesure incompatible.
Confrontation à venir
Pour se garder une petite réserve et éviter une conclusion trop ferme, on peut bien se dire que l'on ne connaît pas les conditions et les modalités d'application précises de la franchise santé proposée et que, par ailleurs, la LCS a surtout, à ce jour, fait l'objet d'une application administrative, dans les arcanes des relations fédérales-provinciales, ce qui signifie que son interprétation n'est pas soutenue par une jurisprudence éclairante et arrêtée.
Pour autant, si les mots ont toujours un sens, autant ceux de la LCS, ceux du budget que ceux des autorités gouvernementales québécoises qui se sont prononcées ces derniers jours, il semble bien qu'une confrontation majeure soit inévitable entre les tenants du maintien strict des conditions et exigences actuelles de la LCS, au nom de la justice et de la solidarité sociale, et ceux qui voudraient qu'il en soit autrement, en raison notamment des problèmes actuels et anticipés des finances publiques en général et du financement des services de santé en particulier.
Dans tous les cas de figure, le résultat de cette confrontation ne pourrait engendrer que ce qui suit: soit une modification de la LCS, ou l'affirmation d'une nouvelle interprétation très souple de celle-ci, ce qui constituerait un bouleversement majeur et plutôt inattendu à l'échelle canadienne; sinon, un renoncement du Québec à la mesure annoncée ou, encore, l'abandon d'une portion plus ou moins importante des transferts fédéraux en santé. Bref, aucune conclusion banale en perspective!
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Marco Laverdière - Avocat en droit de la santé, l'auteur enseigne au programme de maîtrise en droit et politiques de la santé de l'Université de Sherbrooke

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