Les massacres du Rwanda vingt ans plus tard

Vérités et mensonges

Chronique de André Sirois

Dans Le Devoir d’il y a quelques jours, François Brousseau puis Robin Philpot traitent des massacres du Rwanda de 1994 en critiquant la version partisane, voire publicitaire, et mensongère que, pour des raisons bien souvent inavouables, l’on tente de nous imposer depuis 20 ans. Il faut les en féliciter. J’ai participé à la mise en place du Tribunal criminel international pour le Rwanda de 1995 à 1997 et depuis, je suis encore étonné de voir la facilité avec laquelle les journalistes et leurs lecteurs acceptent une version des faits qui devrait être critiquée sévèrement. L’une des journalistes les plus favorables à Kagamé dès le début, la Belge Colette Braeckman, a finalement reconnu publiquement avoir été manipulée par le régime des envahisseurs; malgré tout, on continue de reprendre le contenu de ses articles qu’elle-même reconnaît comme le fruit des manipulations de ce régime.

Il est impossible d’entreprendre de corriger ou de questionner toute la masse d’informations fausses que l’on nous assène depuis 20 ans. Je ne mentionnerai que quelques questions de fond que l’on devrait se poser quand on lit quelque chose au sujet des massacres du Rwanda.

Le journaliste vous dit-il qu’il y a eu un 800 000 victimes, voire un million? Inquiétez-vous tout de suite; cela veut dire qu’il n’a fait que reprendre n’importe quoi sans rien vérifier ni critiquer. On ne connaît pas le nombre de victimes; personne n’a jamais pu l’établir. Depuis 20 ans, à tous ceux qui me mentionnent ce chiffre, je demande méthodiquement d’où ils le tiennent. Il est impossible d’avoir une réponse. La seule explication qui me semble assez près de la réalité, c’est que pendant les massacres, un employé d’une ONG internationale a fait un calcul APPROXIMATIF des personnes DISPARUES de son agglomération, Hutus et Tutsis confondus, puis il a fait une EXTRAPOLATION pour tout le pays qui l’a amené à dire qu’il pourrait y avoir eu à ce moment-là environ 250 000 disparus au Rwanda. Deux jours plus tard, le ministre des Affaires étrangères d’Allemagne affirmait en conférence de presse qu’il y en avait 500 000. Personne n’a jamais pu savoir d’où il tenait ce chiffre. Puis, les ONG américaines --pour des raisons inexpliquées et sans jamais citer une seule source-- ont commencé à dire qu’il y avait UN MILLION, non pas de disparus de toutes origines, mais un million de victimes tutsies. Quand je suis arrivé à Kigali quelque temps après, j’ai commencé à demander d’où venait ce chiffre; personne n’a jamais pu me répondre et cette question était perçue comme un manque de respect pour les victimes. Je considérais, et je considère encore, que dans cette affaire, la vérité est déjà assez terrible et qu’une seule innocente victime est une victime de trop, et je craignais qu’en répétant n’importe quoi on mette en jeu la crédibilité du Tribunal lui-même. On a fini par démontrer qu’il était absolument impossible qu’il y ait eu un million de victimes tutsies et on s’est rabattu sur le chiffre tout aussi fictif de 800 000. Donc, prudence si votre interlocuteur utilise ce chiffre fictif et inacceptable.

Pourquoi le Tribunal criminel international pour le Rwanda – c’est bien son nom officiel – n’a-t-il jamais enquêté sur l’attentat commis contre l’avion présidentiel qui a déclenché les massacres que l’on connaît? C’était bien à l’intérieur de son mandat pourtant. Pourquoi ne l’a-t-il pas fait? Ou plus exactement, pourquoi, après avoir finalement demandé à l’enquêteur Michael Hourigan de faire cette enquête, la Procureure du Tribunal, Louise Arbour, a-t-elle enterré son rapport et l’a-t-elle dessaisi de l’enquête? Pourquoi enquêter sur tous les massacres du Rwanda et refuser des rechercher les responsables de l’attentat qui en est la cause?

Pourquoi le Tribunal n’a-t-il jamais fait de véritable enquête sur les atrocités commises par les Tutsis ougandais, le Front patriotique rwandais (FPR)? Poser la question, c’est y répondre. Dès mon arrivée au Rwanda, voyant l’ingérence ouverte du FPR et de certaines ONG américaines dans le travail d’enquête et de mise en accusation du Tribunal, j’en étais venu à la conclusion que dès que nous commencerions à enquêter sur les atrocités du FPR, nous serions chanceux si on nous permettait de nous rendre à l’aéroport pour quitter le pays. Or quand Carla del Ponte a voulu entreprendre ce type d’enquêtes, elle a été contrainte de venir à Kigali présenter des excuses à Kagamé, et elle a finalement perdu son poste de Procureure du Tribunal.

En ce qui concerne les deux questions qui précèdent, il faut bien garder à l’esprit que le gouvernement rwandais s’est opposé vivement et très officiellement à la création du Tribunal par les Nations Unies. Qu’avait-il à craindre de la création d’un tel tribunal? N’était-ce pas ce que la communauté internationale pouvait faire de mieux pour les victimes et les familles de victimes? L’écrasement de l’avion présidentiel et les atrocités du FPR constituent deux sujets d’enquête intéressants, essentiels même. Le gouvernement rwandais de Kagamé a préféré entreprendre une campagne de culpabilisation de la communauté internationale, qui lui est beaucoup plus profitable : Qui peut expliquer en quoi la communauté internationale aurait le devoir de payer pour des crimes commis par des Rwandais – et des Tutsis ougandais – contre des Rwandais?

Il faut bien voir que dans ces décisions diplomatiques et dans ces procès médiatisés, les victimes et les familles de victimes comptaient très peu ou pas du tout. Je l’ai dit à des familles de victimes avant de quitter le Rwanda (j’étais l’un des seuls employés du Tribunal à avoir des contacts directs et soutenus avec les familles de victimes): comme personne ne peut ressusciter les victimes, ni établir la vérité ou punir les vrais coupables, les familles des victimes auraient dû demander l’abolition du Tribunal qui n’était qu’un tremplin pour des carriéristes et qu’un écran de fumée pour des intrigues de politique internationale.

Même les accusés, innocents ou coupables, comptaient très peu dans ce spectacle. On en a eu une belle preuve avec le bourgmestre de Taba Jean-Paul Akayesu. Il a eu la malchance d’être le premier accusé à passer devant le Tribunal, alors que depuis déjà de trop longues années, les États membres de l’ONU, après y avoir englouti plus de 350 millions de dollars selon certains, demandaient des résultats. Or pour un Tribunal, des résultats, c’est des procès et, de préférence, au moins une condamnation. Plus on avançait dans le temps, plus on investissait, moins la présomption d’innocence avait d’importance. Le malheureux Akayesu a été condamné à l’emprisonnement à vie sur la foi de déclarations de témoins qui sont apparus subitement trois ans et demi après les faits, et ce, après que l’enquête à Taba – à laquelle j’ai participé – eut permis de voir que les témoins présentés comme témoins à charge se contredisaient, n’avaient rien à dire ou même le défendaient. Je devrais ajouter aussi que lorsque j’étais au Tribunal, nous savions que pour 25 $, n’importe qui pouvait s’offrir une brigade de six faux témoins qui viendraient raconter la même histoire aux enquêteurs et peut-être même aux juges. Très utile pour qui veut se débarrasser d’un rival ou d’un concurrent.

Il faut bien voir à qui profite le crime. Dans cette affaire, il profite à des Tutsis de l’Ouganda qui, trois ou quatre générations plus tard, « reviennent » au Rwanda en gouvernement d’occupation. C’est un peu comme si les Franco-Américains « revenaient » prendre le pouvoir à Québec et y établissaient un gouvernement américain, anglophone et républicain. Les vraies victimes dans tout cela, ce sont les Tutsis et les Hutus du Rwanda qui n’ont plus un mot à dire chez eux parce que s’ils parlent, on les accusera d’avoir survécu par complicité avec les génocidaires. L’autre victime, c’est aussi la démocratie, la vraie. Comme les Hutus représentent 85 % de la population du Rwanda, ils pourraient facilement s’élire un gouvernement, ce que les politiques tutsis ougandais ne sauraient tolérer. Ce qui faisait dire à un ancien président du Burundi, qui a à peu près la même composition démographique que le Rwanda, que le Burundi devait se débarrasser de « l’excédent de Hutus »

La question se pose alors pour les Rwandais comme pour nous tous : si une armée d’étrangers vient « libérer » un pays, ou une minorité à l’intérieur d’un pays, et qu’elle prend le contrôle du pays, a-t-elle le droit de garder ce contrôle indéfiniment? Sinon, pendant combien de temps? Quelques exemples viennent à l’esprit. La question s’est posée aux Américains lors de la libération de la France, comme le confirment des documents rendus publics récemment. Étaient-ils une armée de conquérants ou de libérateurs? Ils ont choisi d’être des libérateurs et sont rentrés chez eux. Le problème s’est aussi posé lorsque les Vietnamiens sont allés délivrer les Cambodgiens des Khmers rouges. Ils sont ensuite retournés dans leur pays. À Kigali, après 20 ans d’occupation, les « libérateurs » ougandais eux ne parlent pas de rentrer dans leur pays et personne ne se risque à soulever la question.

Une autre question et pas la moindre : Pourquoi continue-t-on de répéter avec insistance la thèse du génocide « programmé » et « planifié » par des « extrémistes » hutus qui fonde la soi-disant légitimité du régime du général Kagamé alors que tous les jugements du Tribunal international, sauf un, en première instance comme en appel, ont établi que cette thèse n’avait aucun fondement?

Dans cette affaire, beaucoup de questions, les plus fondamentales, demeurent sans réponse. Mais en ce 20e anniversaire, il faut avoir une petite pensée pour toutes les victimes, directes et indirectes, et faire le vœu qu’un jour on leur fasse la simple justice d’établir la vérité, la vérité vraie, sur ces massacres.

André Sirois

Avocat et fonctionnaire de l’ONU, André Sirois a notamment contribué à mettre sur pied le Tribunal criminel international pour le Rwanda de 1995 à 1997.


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5 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    8 mai 2016

    De deux choses l'une, soit M. Sirois n'a rien compris ou alors il a tout compris mais il a un parti pris.
    Il parle de Tutsis ougandais revenus 3 ou 4 générations après pour reprendre le pouvoir au Rwanda. Entre 1959,60, 61 et 1990, il y a juste une génération et un Tutsi rwandais ne devient pas ougandais parce qu'il est réfugié en Ouganda.
    Paul Kagame est né en 1957, sa famille a fui le centre du pays en 1960.
    Pour le reste, il pose des questions pertinentes mais un pan entier de son raisonnement est basé sur ces inexactitudes comme on dit au Québec.

  • Francis Déry Répondre

    10 avril 2014

    Inflation millionnaire du nombre des victimes.
    Dé-Hutuïsation de l'État
    Faux procès multiples.
    Cela appelle au révisionnisme.
    C'est du déjà-vu quand on compare à l'après-guerre en Europe.
    Les Anglo-Américains ne sont pas vraiment partis puisqu'ils ont mis des régimes complaisants en place. L'OTAN s'est établi sur les prises de l'Anglosphère.
    La Pologne fut sacrifiée à l'Ours Soviétique. Pour assurer la soumission de la Pologne, Władysław Sikorski disparaît au large de Gibraltar. Et l'Armée Secrète Polonaise a continué seule sa lutte contre le libérateur soviétique jusque dans les années 50. Qui en a entendu parler ici?
    Il était rapporté que des centaines de milliers, voire des millions de Hutus se sont rués vers l'exil au Zaïre. On a fait état d'un grand nombre d'entre eux perdus dans la forêt vierge, sans ressources. Bill Clinton a déclaré que les satellites de surveillance ne pouvaient scruter la forêt vierge au travers de la couverture nuageuse permanente au dessus de la ligne équatoriale. Pas de preuve d'existence, alors ces réfugiés Hutus étaient considérés inexistants et les recherches ont pris fin.
    Hmm. J'ai alors compris que la Raison d'État plaçait une chape de plomb sur l'évolution en Afrique.
    Officiellement, les Hutus et les Tutsis ne sont pas racialement différents (on soulignait jadis Bantou vs Nilotique), ni ethniquement. La division était à l'origine une division de castes. Les Tutsis dominaient la majorité Hutu jusqu'à ce que le colonisateur allemand arrive et se fourvoie avec la catégorisation ethnicisée. L'erreur peut être intentionnelle pour substituer l'autorité coloniale européenne.
    @Lison
    D'après le recensement de 2012, 43,7 % de la population était catholique, 37,7 % protestante, 11,8 % adventiste, 2 % musulmane, 0,7 % membre des Témoins de Jéhovah, 2,5 % sans religion et 0,1 % animiste.
    http://www.statistics.gov.rw/publications/rphc4-thematic-report-socio-cultural-characteristics-population
    Il n'y a pas de composante islamiste dans le problème rwandais.

  • Archives de Vigile Répondre

    9 avril 2014

    Bienvenu sur vigile, M. Sirois.
    Selon des auteurs que j'ai pris connaissance, la majorité des populations d'Afrique et du Moyen ou du Proche-Orient sont de fonctionnement tribale ce qui est très différent de la culture Occidentale.
    Selon un témoignage d'une missionnaire Occidentale, le racisme est enseigné des l'enfance dans les écoles en Afrique.
    Pour les musulmans c'est l'islam qui fait la méga tribu, divisé en tribu de différentes allégeance comme; Sunnite, Chiite, Alaouite, Amadis, etc..
    sous divisé par liens familiaux. Un auteur mentionnait, que seulement en Lybie, il y avait plus de 200 sortes de clan tribaux différents.
    C'est pour cela que l'on voit autant de conflits dans ces parties du monde, car une tribu est constamment en conflit contre les autres tribus, afin d'accéder a des pouvoirs et éviter leur propre perte et leur survie.
    M. Daniel Pipes, islamologue américain.
    http://fr.danielpipes.org/7974/calamite-du-tribalisme-moyen-orient
    Mme Malika Sorel, dit: Il y a un élément extrêmement important, qui empêche des citoyens reçu en immigration, de s'intégrer dans nos société Occidentales, car ceux-ci doivent respecter les codes de leurs tribus avant de respecter les codes de vies et les valeurs des Occidentaux.
    http://www.youtube.com/watch?v=1wrGXSVqNaM
    M. Nicolaï Sennels, psychologue Danois qui a travaillé plusieurs années avec des musulmans en milieux carcéral, dit:
    L'intégration des musulmans dans nos sociétés Occidentales est impossible.
    http://www.fdesouche.com/36279-nicolai-sennels-psychologue-danois-sur-lintegration-des-musulmans
    http://www.postedeveille.ca/2010/06/musulmans-et-occidentaux-les-diff%C3%A9rences-psychologiques.html

  • Jean-Pierre Bélisle Répondre

    9 avril 2014

    Tandis que vous y êtes et que les élections sont terminées pourquoi n'en profiteriez-vous pas pour élaborer plus largement sur les républiques ethniques et les dérives du nationalisme identitaire ? La trame historique du Rwanda, dès avant son indépendance, doit bien indiquer quelques pistes de réflexion... non ?

  • Jean-Claude Pomerleau Répondre

    9 avril 2014

    Bernard Lugan, les faits (et le rôle de Mme Arbour, une grande dame pour la SRC) :
    Rwanda : un génocide en questions
    (...)
    Quelques mois auparavant, cet avocat australien devenu fonctionnaire de l’ONU avait été personnellement chargé par Madame Arbour, Procureur du TPIR de septembre 1996 à septembre 1999, d’identifier les commanditaires et les auteurs de l’attentat du 6 avril 1994. Madame Arbour voulait alors étayer l’acte d’accusation jusque là rachitique qu’elle était occupée à dresser contre les anciens dirigeants du régime Habyarimana afin de montrer que cet attentat avait été commis par des « extrémistes hutu » et qu’en le commettant, ces derniers avaient donné le signal du génocide qu’ils avaient programmé.
    Or, sur place, à Kigali, menant son enquête, Michael Hourigan découvrit tout au contraire que les auteurs de l’attentat n’étaient pas des « Hutu extrémistes », mais des Tutsi du FPR… et il obtint même les noms de ceux qui auraient abattu l’avion du président Habyarimana sur ordre du général Kagamé. Il rédigea ensuite un rapport qu’il remit personnellement à Madame Arbour. A partir du moment où il lui fit ces révélations, cette dernière changea totalement d’attitude à son égard, devenant cassante, le sommant de mettre un terme à ses recherches et exigeant la confidentialité absolue sur ses découvertes. Le contrat de Michael Hourigan avec l’ONU ne fut pas renouvelé.
    Bien que le TPIR ait refusé de le lui communiquer au prétexte qu’il n’existait pas (!!!), le juge Bruguière obtint malgré tout une copie du « Rapport Hourigan ». Devant le juge, Michael Hourigan authentifia son texte et il en confirma la teneur.
    (...)
    Le capitaine sénégalais Amadou Deme, adjoint de Michael Hourigan et ancien numéro 2 du renseignement de l’ONU au Rwanda a confirmé à la fois les résultats de l’enquête à laquelle il avait personnellement participé et l’insolite changement d’attitude de madame Arbour à partir du moment où le FPR fut suspecté d’avoir assassiné le président Habyarimana
    (...)
    http://www.realpolitik.tv/2014/04/rwanda-un-genocide-en-questions/