CHRONIQUE DE LA CROQUEUSE DE MOTS

Vous avez dit... "le mandat" ? (5)

Chronique de Thérèse-Isabelle Saulnier

Cette semaine, la croqueuse de mots prend une pause pour faire reposer son estomac avant de s'attaquer à d'autres mets qui peuvent s'avérer passablement coriaces... (Si vous voyiez la liste au menu! Ouf! Pas prête, Moilah, d'être à court de sujets!) Un p'tit Calvados, d'abord, et... un coup d'oeil sur l'environnement qui est nôtre, cette grande salle des forums et audiences de la Commission B-T.
On entend beaucoup de récriminations contre le fait qu'il y ait des dérapages (quelques interventions à connotation xénophobe, certes, mais à travers combien de solides interventions et mémoires qui ne le sont pas du tout?), et contre le fait qu'on relie sans cesse la question des accommodements problématiques à l'immigration et aux immigrants eux-mêmes. J'ai aussi souvent entendu des regrets de constater qu'on y mentionnait rarement les réussites de l'intégration des immigrants, qu'il s'agisse du travail de nombreux organismes oeuvrant à l'accueil et à l'intégration des immigrants, ou des efforts des immigrants eux-mêmes.
Or, à quoi cela est-il dû? Pour ce qui est du dernier point, c'est que le sujet même de cette Commission n'est pas l'immigration, mais un ensemble de problèmes, de faits problématiques que sont les accommodements reliés aux différences culturelles et, surtout, - SURTOUT - religieuses. Il est donc normal qu'y soient soulevés des aspects "négatifs", un problème étant toujours ce qu'il est, c'est-à-dire une difficulté que l'on cherche à résoudre. Mais pour y arriver, il faut d'abord le nommer, le décrire, préciser sa nature et ses effets négatifs - ce qui est toujours assez pénible, reconnaissons-le et assumons-le, - puis y chercher une solution.
(Parenthèse sur les accommodements d'ordre religieux, ceux-ci viennent rarement de nouveaux arrivants, mais bien de communautés, se définissant d'abord et avant tout par leur religion, souvent installées ici depuis longtemps, parfois même depuis les origines, il y a 400 ans! Alors, siouplet, lâchez les "immigrants'"!)
Pour les deux autres, ma réponse est que la responsabilité, sinon la faute, revient aux deux commissaires et à leur quinzaine de conseillers qui, au lieu de s'en tenir au triple mandat que le Gouvernement leur avait confié, ont jugé bon, et même nécessaire, de l'élargir bien au-delà de cette tâche déjà immense.
(Photo - Jacques Nadeau - Le Devoir) Ce triple mandat était le suivant: 1) "dresser un portrait fidèle des pratiques d’accommodements reliées aux différences culturelles", 2) consulter la population et 3) "formuler des recommandations au gouvernement afin que les pratiques d’accommodements soient respectueuses des valeurs communes des Québécois", lesquelles sont explicitement mentionnées et dites fondamentales, non négociables et ne pouvant faire l'objet d'aucun accommodement ni "être subordonnées à aucun autre principe": l’égalité entre les femmes et les hommes, la primauté du français et la séparation entre l’État et la religion.
Voilà qui était très clair dans la tête du Premier Ministre Charest et d'une quantité de gens qui réclamaient, depuis des semaines, une commission d'étude sur la question des accommodements, mais ça ne le semblait sûrement pas dans celles de tout ce beau monde à la tête de la Commission: trop "simpliste", tout cela, trop "étroit". Dans le débat sur les accommodements raisonnables, il fallait voir - et nous le verrions - ni plus ni moins que "le symptôme d’un problème plus fondamental concernant le modèle d’intégration socioculturelle qui a cours au Québec depuis les années 1970. Cette perspective invitait à revenir sur l’interculturalisme, l’immigration, la laïcité et la thématique de l’identité québécoise." Façon, dit le document de consultation, "d’appréhender le problème à sa source et sous toutes ses facettes, en faisant également la part d’une médiatisation parfois alarmiste de la situation." (p. V)
Les deux commissaires reconnaissent aussi que ce sujet représente un DÉFI OCCIDENTAL: "Le questionnement et les problèmes liés à la gestion des rapports interculturels ne touchent pas seulement notre société; ils se manifestent à l’échelle de l’Occident, et même au-delà. De nombreuses nations font face aujourd’hui à la réaction de vieilles identités déstabilisées par l’essor d’une diversité qui entend se perpétuer. Elles doivent aussi donner forme à une sensibilité pluraliste qui a pris racine peu à peu au cours de la seconde moitié du vingtième siècle." (ibid, p. VI)
Remarque: Vous aurez sans doute noté, ici, le parti-pris, le pré-jugé de nos deux commissaires: si problème il y a, c'est la faute "de vieilles identités déstabilisées par l’essor d’une diversité qui entend se perpétuer", et pas assez multiculturalistes... - Sans commentaire pour le moment, je vous laisse réfléchir.
Le triple mandat fixé par le gouvernement Charest était donc déjà énorme. Le simple fait de dresser la liste des accommodements problématiques n'était pas une mince tâche, d'autant plus qu'il était question d'y inclure aussi les expériences d’autres sociétés. Or, cette liste n'est toujours pas faite et, pourtant, elle serait bien nécessaire! Il est vrai qu'il y a une confusion sur ce qui s'appelle "accommodements raisonnables", mais on n'y a toujours pas fait le ménage et, lors des consultations, les accommodements problématiques sont rarement nommés, ces accommodements que Joseph Facal a fort justement appelés "certains des éléphants qui trônent au beau milieu du salon, mais que personne n’ose nommer". (réf)
Au stade où nous en sommes, en cette fin d'octobre 2007, force nous est de constater que la décision de messieurs Bouchard et Taylor d'élargir leur mandat a créé, en fait, une confusion encore pire que celle d'associer ces accommodements problématiques à l'immigration, aux nouveaux arrivants et arrivantes, alors que ce n'est pas le cas. Bien qu'il y ait un lien, là n'est pas l'essentiel, loin de là, puisque plusieurs de ces demandes d'accommodation impliquent des communautés établies depuis assez longtemps au Québec et au Canada, sinon carrément de souche, dont celle des Juifs hassidiques et des Sikhs puis, maintenant, de certains Musulmans, sans compter certaines églises, chrétiennes ou autres, qui n'ont rien à voir avec l'immigration. Ce qu'on a peu relevé, aussi, c'est que les plus grandes promotrices du port du voile islamique, partiel ou intégral, sont souvent des Québécoises canadiennes françaises converties plus ou moins récemment à l'islam, ou par des musulmanes d'origine arabe nées ici, et non récemment arrivées au pays. C'est le cas, entre autres, de Madame Maryam Tétreault (dont le prénom est adoptif) et, plus discrètement, de sa soeur Yolande, et de Mademoiselle Sarah Elgazzar, porte-parole québécoise de l'organisme CAIR-CAN (Council on American-Islamic Relations CANada, en français: Conseil Canadien sur les relations islamo-américaines), qui a décidé de porter le voile après le 11 septembre 2001 et qu'on a beaucoup entendue au plus fort de la saga des accommodements.
Cet élargissement de mandat a donc créé des dérapages, c'est certain. Dérapages vers l'expression d'idées à connotation xénophobe, c'est vrai (mais il fallait s'y attendre et, soit dit en passant, dépassent-elles en nombre le 5% de "racisme" officiellement déclaré (et réel??) de toute société?), mais aussi le dérapage vers autre chose que les accommodements reliés aux différences culturelles et religieuses. Fort heureusement, la parole donnée actuellement aux citoyennes et citoyens québécois DE TOUTES ORIGINES permet de ramener toute chose - et le problème des accommodements lui-même - à sa juste dimension:
• Nous, les Québécois d'origine canadienne française, fondateurs de ce pays qui s'appelait, à l'origine, la Nouvelle-France, avons le droit de dire NOUS et, ce faisant, les autres nous reconnaissent à la fois dans ce que nous sommes et dans nos grandes qualités d'accueil. Plus la Commission se rapproche de Montréal, et plus cela se manifeste. (On aurait cru le contraire, pourtant, selon le discours officiel et politiquement correct de nos politiciens et de nos médias, n'est-ce pas?) Les accommodements problématiques (sur lesquels il faudrait tout de même finir par se concentrer!) touchent, en fait, deux grandes questions: celle du Québec français et de la place de la religion dans notre société. Une troisième doit aussi être examinée et étudiée à la lumière de certains accommodements: celle du principe inviolable et non négociable, comme l'a dit lui-même Jean Charest, de l'égalité hommes-femmes. La canalisation vers ces trois thèmes est désormais réalisée (au 26 oct. 07).
• Enfin, on a pris aussi conscience de la nécessité de favoriser pleinement l'intégration des nouveaux arrivants et arrivantes, spécialement par leur francisation et l'exercice d'un emploi. S'il y a un "accommodement" que NOUS, nous devons faire, c'est bien celui-là.
Remarque: Il est à noter que, curieusement, on revient ainsi au mandat initial tel que fixé par le gouvernement Charest! (lol, je suis presque morte de rire!)
***
ANNEXE - Puisqu'il faut bien nommer ces "éléphants qui trônent dans le salon et que personne n'ose nommer" (J.Facal)
Liste de certains accommodements problématiques:
• 1- Certains vêtements féminins, dont le foulard islamique (hidjab), le niqab et la burqa, concernant toute une représentation des rapports hommes-femmes et de la femme elle-même, et tout spécialement du corps féminin devant être caché en tout ou en partie;
• 2- Concernant le niqab, la question du vote voilé et de la photo sur les cartes d'identité (dont le permis de conduire);
• 3- Cacher le corps féminin aux regards des garçons (vitres du WMCA d'Outremont), et au regard des hommes;
• 4- Ne pas avoir affaire à une femme qui exerce telle ou telle fonction (policière, vérificatrice, directrice d'école...);
• 5- Pouvoir réclamer et obtenir des lieux et activités non mixtes (piscines, classes, cours prénatals ou autres);
• 6- Des demandes d'excision ou d'infibulation de fillettes, faites auprès de médecins; (même s'il n'y aurait eu qu'une seule demande, c'en est une de trop, et il y en a eu. En France, 59,000 cas d'excision, cette année, a-t-on appris ces jours-ci.)
• 7- Des demandes d'exemption de certains cours (science, mais surtout sexualité et éducation physique), pour raison d'incompatibilité avec des croyances religieuses ou morales;
• 8- Des jugements de cour, concernant des abus à l'égard de filles mineures, atténués "pour cause de traditions culturelles"; (voir le mémoire de Yao Assogba: cas de sodomie d'un père sur sa fille, et de proxénétisme juvénile)
• 9- Des dérogations au Droit canadien ou québécois (comme la demande d'application de la charia, en Ontario et même au Québec);
• 10- La perpétuation de la coutume de la tutelle des pères, frères, oncles et maris sur les femmes, incluant les mariages forcés;
• 11- Des demandes d'autorisation à la polygamie, parce que le Coran (ou tout autre livre sacré) le permet;
• 12- Des dérogations au code vestimentaire de certaines institutions (dont: le foulard islamique à l'école, dans les sports, le turban à la GRC - et même, éventuellement, à la SQ);
• 13- Des demandes de congés payés pour motifs religieux;
• 14- L'exclusion du porc dans les menus des cafétérias et dans le lieu même d'une cafétéria d'obédience juive orthodoxe, et tout ce qu'on peut entrer dans la catégorie des "exigences alimentaires pour raisons religieuses ou culturelles";
• 15- Des dérogations aux règles et règlements de certaines institutions (dont le port d'une arme, le kirpan, à l'école);
• 16- Des demandes d'un lieu de prière dans des endroits publics (dont des écoles, et peut-être même des lieux de travail);
• 17- L'utilisation des toilettes publiques pour les ablutions rituelles (lavement de pieds, en particulier);
• 18- La remise en question (souvent, doit-on dire, venue de Québécois francophones ou de Canadiens "pure laine"...) des décorations de Noël pour raison d'incompatibilité avec des croyances religieuses, de même que du crucifix trônant ostensiblement au Salon bleu de l'Assemblée nationale, et de la prière inaugurant une réunion d'un conseil municipal;

• 19- L'installation de souccahs et d'érouvs, chez les Juifs hassidiques.


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1 commentaire

  • Georges-Étienne Cartier Répondre

    27 octobre 2007

    L`Homme n`a nul besoin de religion pour établir le contact avec Dieu, s`il lui plait souverainement d`y croire.
    Mais, par contre, les éléments faibles et discutables d`une culture , voulus et défendus férocement par certains dans leur intérêt, ont absolument besoin du support d`un diktat soi disant révélé par Dieu pour se maintenir: la religion n`est rien d`autre que de la culture déguisée en "Parole de Dieu" pour s`imposer et perdurer contre les assaults du sens commun!
    Et c`est ÇA, cette CULTURE pure et simple, contre nature ou menacée par son archaïsme, au minimum incongrue et le plus souvent néfaste, qu`instinctivement mais sans trop savoir le formuler, les gens rejettent! Pas Dieu !