Wallonie de gauche contre Flandre de droite

Chronique de José Fontaine

Cette présentation semblera caricaturale. Pourtant c'est bien ce que viennent d'illustrer les tout derniers événements en Belgique.
La dégradation de la dette publique belge et ses conséquences
La semaine précédente, je parlais de la dégradation de la dette publique belge qui vendredi soir permettait de penser que la Belgique allait peut-être devoir emprunter à long terme à un taux de plus de 6%. Mais ce taux est redescendu au-dessous de 5%, étrangement. Le Premier ministre en affaires courantes a lancé un grand emprunt d'Etat auprès du public dont il espérait la récolte de 200 millions d'€. Hier on estimait que les cinq milliards d'€ étaient dépassés! C'est sans précédent dans l'histoire du pays. Dans les bureaux de poste, les banques le personnel était dépassé. J'aurais d'ailleurs moi-même souscrit si j'avais eu l'argent pour le faire. Ceci illustre le propos que je tiens ici constamment : il ne faut pas penser que l'Etat belge est à la veille de son explosion. Ce qui ne signifie pas que la Belgique à terme ne disparaîtra pas. C'est l'autre volet de ma conviction que, de fait, la Belgique va disparaître : en effet Wallonie, Flandre et Bruxelles sont manifestement engagées dans un processus irréversible de transferts massifs. C'est cette fois près de 20 milliards d'€ selon l'accord du futur gouvernement fédéral belge de plein exercice qui s'installera plus que probablement la semaine prochaine. Les Etats-régions exerceront alors sans doute plus de 60% de toutes les compétences étatiques et tout indique que l'on ira encore plus loin à l'avenir. Par exemple en matière de Justice car beaucoup de juristes et même les responsables des parquets les plus importants en Wallonie considèrent que la régionalisation de la Justice ne serait pas une mauvaise chose. Mais aussi en matière de fiscalité, beaucoup plus que ce qui a été transféré selon le dernier accord. De même qu'en politique étrangère, non pas pas par choix, mais de manière automatique. Puisque dès qu'un niveau de pouvoir reçoit de nouvelles compétences à exercer, il l'exerce dans tous les domaines, y compris sur le plan international et notamment au Conseil des ministres européens, certes en coordination avec ses deux autres collègues "belges", mais cela change évidemment tout.
Le plan d'austérité du gouvernement Di Rupo
Dès l'annonce de la dégradation de la dette publique belge, le formateur désigné par le roi depuis quatre mois, a réuni à nouveau les six partis (trois flamands et trois wallons) et est arrivé assez rapidement à un accord qui était déjà bien achevé. J'avoue que lorsque j'en ai connu les termes, j'ai été profondément écoeuré par ce programme qui, parce que l'Etat belge doit (ou devrait) faire des économies de dix milliards d'€ par année (2012, 2013, 2014), a estimé qu'il fallait raboter encore les allocations de chômage qui permettent (ou permettaient) à leurs bénéficiaires de vivre tout juste au-dessus du seuil de pauvreté! On sent très bien d'où vient cette politique, des libéraux ultras en Wallonie mais aussi en Flandre, à cause d'un électorat de classes moyennes qui a fait des chômeurs l'explication totalement absurde des situations sociales difficiles que nous vivons finalement depuis la moitié des années 70 en Europe. Le journal Le Soir calculait la semaine passée que la fraude sociale (chômeurs travaillant au noir par exemple), représente un peu plus de 30 millions d'€. Alors que la fraude fiscale des revenus les plus élevés représente 20 milliards d'€ par an. Alors que les réductions des cotisations patronales (mesure qui subsistera), atteignent, cumulées, plus de 40 milliards d'€ depuis que l'Etat belge y consent (depuis 1998), et qu'elles vont coûter au trésor belge une somme dont on peut donner un ordre de grandeur : de 10 à 15 milliards les trois premières années d' «austérité» (pas pour eux). Et alors que ces réductions consenties soi-disant pour faciliter la création d'emplois, n'en créent pratiquement aucun.
Wallonie de gauche contre Flandre de droite
Or deux des trois partis qui négocient côté wallon sont à mettre à gauche ou au centre-gauche (les socialistes qui sont prépondérants avec autour des 35% de voix en Wallonie), les démocrates-chrétiens à la même auteur que les verts (autour de 15%), enfin les libéraux (autour de 20%). Du côté flamand on a des démocrates-chrétiens pas trop loin des 20% aux dernières élections et deux autres partis, les socialistes et les libéraux flamands (ceux-ci plus à droite que leurs homologues wallons), tous les deux au-dessous de 15%. Les libéraux flamands ont obtenu que les verts qui avaient négocié la réforme de l'Etat avec les six autres, soient exclus de la négociation budgétaire. Le formateur Di Rupo a bien été obligé de céder, mais cette exclusion des verts explique en bonne partie la dureté (inutile à mes yeux), du programme gouvernemental vis-à-vis des chômeurs. Comme si en récupérant quelques malheureux millions en les affamant, l'Etat belge allait se sauver. Cette opération crie d'autant plus vengeance au ciel qu'elle crie aussi vengeance à la Raison. En effet, le plus sûr effet de cette diminution des allocations de chômage sera que les chômeurs, qui ne sont jamais loin du seuil de pauvreté, devront s'adresser aux Centres publics d'aide sociale des communes dont tout le monde sait qu'ils sont au bord de la faillite, surtout en Wallonie.
La situation est d'autant plus grave qu'hier au soir la RTBF dévoilait un sondage qui faisait état d'une nouvelle progression de la NVA (nationalistes flamands), qui atteignaient quasiment les 40% d'intentions de vote, les trois partis flamands membres de la coalition gouvernementale qui se met en place stagnant (socialistes ou libéraux) ou s'effondrant (démocrates-chrétiens), à 12 %. Ensemble, les partis flamands présents au gouvernement n'auraient donc pas autant de voix que la seule NVA, nationaliste mais également plus néolibérale encore que les libéraux flamands ou même que les démocrates-chrétiens flamands qui n'ont été durs dans la négociation que parce qu'ils savent ce qu'ils avaient à craindre (côté NVA) d'un budget qui ne fassent pas payer les salauds de pauvres. Les deux convictions (le nationalisme et le néolibéralisme), sont parentes en Flandre, d'autant plus que la Flandre non sans raison s'estime riche face aux salauds de pauvres de Wallonie. Hier aussi, les syndicats ont connu un succès impressionnant en réunissant à Bruxelles de de 50 à 80.000 manifestants qui n'acceptent pas le budget d'austérité qui sera approuvé par le Parlement fédéral. Du côté du principal syndicat en Wallonie (la FGTB), on brandit même la menace de la grève générale. Mais on ne doit pas croire que les ailes flamandes des syndicats, certes plus modérées, seraient absentes du débat.
Pierre Larrouturou après Paul Jorion
Je suis d'autant plus convaincu que les Flamands de droite se trompent que Jorion (cité la semaine passée) avec Pierre Larrouturou (que je cite cette semaine un peu plus loin), estime que le capitalisme n'est en crise que parce qu'il tend à agrandir l'écart des revenus entre les citoyens d'une manière qui menace à la fois la démocratie et aussi l'économie : quand les riches sont vraiment trop riches et que les très très riches sont de moins en moins nombreux, ils ne savent plus quoi faire de leur argent, c'est-à-dire qu'ils ne savent plus à qui le prêter. Même les Etats ne sont plus assez riches. Pierre Larrouturou le dit bien (sa conférence a beau durer une bonne heure, elle est extrêmement documentée et passionnante à suivre) : tous les Etats européens sont endettés, les USA aussi , la Chine, le Japon, le monde entier. Ils sont endettés et ne pourront plus rembourser leurs dettes si la folle politique néolibérale continue qui consiste à détruire par cupidité, les avantages substantiels acquis par la classe ouvrière après le deuxième grand conflit mondial. J'ai cité la fois passée l'effondrement dans le PNB de la part que s'y taillaient ceux qui vivent de leur travail, soit les salariés et les travailleurs indépendants. C'est aussi cela que Pierre Larrouturou pointe comme le défaut de la cuirasse du capitalisme à l'agonie. L'injustice sociale n'est pas à condamner uniquement d'un point de vue moral, elle est une absurdité économique. Ou, si l'on veut, dans une perspective qui ne sépare pas l'éthique de l'ontologie (ce qui doit être c'est au fond ce qui est au sens fort), il est assez compréhensible que l'injustice sape les fondements de ce que nous sommes tous, et pas seulement de ses victimes.

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José Fontaine355 articles

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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.

Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...





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3 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    9 décembre 2011

    Pour poursuivre sur le sujet, en cas d'élections anticipées, c'est à dire avant les élections communales de 2012,les partis flamands de la coalition gouvernementale se feront définitivement écraser par la NVA. Donc on peut penser que les flamands (CDV, SPa, VLD) ont tout intéret à ce que le gouvernement tienne jusqu'aux prochaines législatives. Mais qui sait de quoi demain sera fait...

  • José Fontaine Répondre

    9 décembre 2011

    Les analystes se partagent entre ceux qui pensent que ce gouvernement, comme vous cher Christian, a trop d'handicaps pour tenir longtemps en particulier celui que vous dites. Et d'autres qui pensent que les accords passés entre les six partis de la coalition ont été si difficiles à obtenir, sont si minutieusement écrits qu'il ne pourra que réussir. En ce qui concerne l'idée que la crise belge que que l'on a vécue serait la dernière avant la fin du pays, mon sentiment reste toujours le même : contrairement aux apparences et malgré l'extrême gravité des oppositions de toutes natures entre Flandre et Wallonie, il est peu probable que la Belgique éclate, le parti flamand le plus en pointe ayant toujours déclaré qu'en cas de cessation de l'Etat belge, les dirigeants politiques qui savent qu'il faudrait de toute façon en négocier les modalités savent que l'on devrait alors se mettre d'accord mais que cet accord serait encore infiniment plus difficile à atteindre. Je me demande d'ailleurs si, en un certain sens, cela ne vaut pas aussi pour le Québec, la naissance d'un Etat au coeur d'un pays démocratique, sans être impossible du tout, demandera forcément beaucoup de temps. La seule chose qui en fasse gagner, c'est quand l'Etat à créer en est déjà un et que, comme en Wallonie ses compétences s'accroissent à chaque crise. Ce n'est pas le cas pour le Québec mais celui-ci a des atouts que la Wallonie n'a pas :une grande métropole, une façade maritime, un territoire immense, une identité plus forte, une population plus nombreuse, une visibilité incontestable dans le monde, une longue habitude de l'autonomie qui est chose neuve en Wallonie puisqu'elle n'a que 31 ans alors que chez vous, elle a quasiment un siècle et demi.
    Je me demande d'ailleurs si la partie du pays dont on pourrait attendre le plus probablement une sécession brusque ne serait pas plus la Wallonie que la Flandre car la Flandre a plus intérêt au maintien de la BElgique que la Wallonie, surtout quand on sait la place prépondérante que les Flamands ont en Belgique (même s'ils sont - et je ne m'en réjouis pas - perdants sur le plan linguistique). Mais de toute façon, cette sécession brusque est hautement improbable.

  • Christian Gagnon Répondre

    9 décembre 2011

    Je doute fort qu'une telle coalition, dirigée par un Wallon et qui n'inclut pas les grands gagnants des dernières élections du côté flamand majoritaire, puisse tenir bien longtemps. Prenez des photos-souvenirs de ce gouvernement tandis qu'il en est encore temps. La prochaine crise pourrait être la dernière.