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Washington n’aimait pas Olof Palme

Troisième article d’une série de quatre

Chronique de Bernard Desgagné

Puisque j’ai commencé cette série d’articles en parlant de sous-marins, permettez-moi de vous raconter la crise des sous-marins soviétiques en Suède, en 1981 et 1982, qui est un exemple intéressant parce qu’il démontre comment il est possible, pour quelques personnes occupant des postes clés, de diffuser des mensonges extravagants et d’amener toute la population d’une démocratie occidentale au bord de l’hystérie collective. À cette époque, les médias du monde entier ont mordu à l’hameçon et très peu de gens ont eu l’idée de s’interroger publiquement sur la plausibilité de l’affaire, car elle cadrait parfaitement avec la croyance fondamentale voulant que l’Empire fût le bon et les Russes, les méchants. La vérité fut connue plusieurs années plus tard, sans tambour, ni trompette, et les grands médias n’en ont presque pas parlé.
Dans les années 1980, le gouvernement de Ronald Reagan décide de chercher l'affrontement avec l'URSS. Il investit dans les boucliers antimissiles et se fiche des relations diplomatiques. Olof Palme, ancien premier ministre et chef du parti social-démocrate en Suède, milite au contraire pour la détente. Il veut un dialogue est-ouest pour négocier avec les Soviétiques le retrait des armes nucléaires d'Europe du Nord. La Suède n’étant séparée du coeur de l’URSS que par la mer Baltique, il est normal qu’elle n’ait pas du tout les mêmes intérêts commerciaux et la même perspective des relations internationales que Washington. En général, mieux vaut s’entendre avec ses voisins. Comme le disait De Gaulle, un État a la politique de sa géographie.
Whiskey on the rocks
Le 27 octobre 1981, le sous-marin soviétique U-137, de classe Whiskey, s’échoue au fond de la mer à 30 km du QG de la marine suédoise, qui se trouve dans la grande base navale suédoise de Karlskrona, sur la mer Baltique. L'incident, qu’on surnomme l’affaire «Whiskey on the rocks», est largement couvert par la presse étasunienne. La couverture médiatique a même l'air organisée d'avance, selon le journaliste Richard Sale, spécialiste des services secrets, qui est convaincu que l'échouage du sous-marin est le résultat d'une manoeuvre secrète orchestrée par le Pentagone et la CIA. Il apprendra d’ailleurs plus tard que les États-Unis possèdaient la technologie nécessaire pour berner le capitaine du sous-marin soviétique, Piotr Gouchtchine, et l’empêcher de savoir qu'il se trouvait sur un haut fond et qu'il n'y avait pas assez d'eau sous la quille.
En fin de compte, l’incident ne fait aucune victime. L’équipage penaud est incapable de dégager le sous-marin et finit par débarquer en agitant le drapeau blanc dans une ile de la Suède. Il est relâché peu de temps après par les autorités de ce pays, qui n’en tirent rien d’autre que de plates excuses. Des renforts soviétiques viennent récupérer leur sous-marin et repartent chez eux, où les autorités ne manquent pas de houspiller le marin d’eau douce qui est allé faire une gaffe pareille.
Les répercussions de l'incident et, surtout, de sa médiatisation sont énormes. L'idée de se rapprocher des Russes devient tout à coup beaucoup moins populaire en Suède. La cote d’Olof Palme baisse également, ce dont Washington se réjouit. Olof Palme dérange beaucoup les États-Unis dans leur entreprise d'humiliation de l'URSS. Il est déjà connu pour sa vive opposition à la guerre du Vietnam lors de son premier mandat, de 1969 à 1976, pour sa condamnation de l’apartheid sud-africain, pour ses critiques du régime Pinochet et pour sa visite à Fidel Castro.
Après l'incident du «Whiskey on the rocks», quelques hauts gradés suédois et leurs maitres à Washington se disent que personne ne doutera plus de l’origine soviétique des sous-marins dans les eaux suédoises, même si, en réalité, les Britanniques et les Étasuniens patrouillent souvent les mêmes profondeurs. Pour réprimer définitivement toute velléité de rapprochement avec l’URSS, il faut entretenir, dans l’esprit des Suédois, l’idée que les eaux sont infestées de sous-marins soviétiques. Sur le conseil des agents du Pentagone œuvrant dans la marine suédoise, les autorités du pays distribuent des brochures et demandent l'aide de tous les citoyens pour faire la chasse aux sous-marins soviétiques. À l’été 1982, le sport favori des vacanciers consiste à scruter l'horizon avec des jumelles depuis la côte. Les sous-marins soviétiques sont devenus une obsession.
Le grand spectacle commence
Mais Olof Palme finit malgré tout par reprendre le pouvoir, le 19 septembre 1982. Washington veut l’empêcher d’appliquer sa politique de rapprochement avec l’URSS. Il faut agiter plus que jamais le spectre des sous-marins soviétiques. Le signal d’un grand spectacle son et lumière est donné. À partir du 26 septembre 1982, alors que des manoeuvres militaires de l’OTAN viennent de se terminer la veille dans la Baltique, des gens qui se trouvent tantôt dans un petit traversier, tantôt dans des embarcations de plaisance, tantôt sur la côte se mettent à apercevoir des sous-marins qui déploient leur périscope ostensiblement plusieurs mètres hors de l'eau et montrent même leur tourelle.
Le comportement des sous-mariniers est exactement le contraire de ce que l’on attendrait des Soviétiques, qui devraient normalement faire comme dans n’importe quelle opération secrète, soit ne pas sortir le périscope plus que quelques centimètres hors de l'eau et, bien entendu, ne pas se balader avec la tourelle émergée. Au contraire, ils se comportent à proximité des bases navales suédoises et des zones habitées comme s’ils voulaient plutôt signaler leur présence. De plus, les descriptions des tourelles données par les témoins ne correspondent pas aux sous-marins soviétiques. Les tourelles observées sont hautes et étroites, comme celles des sous-marins de l’OTAN, alors que tous les sous-marins soviétiques ont des tourelles plutôt aplaties.
Qu’à cela ne tienne, la population ayant été préparée psychologiquement pendant un an à avaler toutes les couleuvres, elle est convaincue que les sous-marins soviétiques pullulent dans les eaux suédoises. Pourquoi? Parce que c’est ce que les médias, les militaires et les dirigeants politiques leur racontent. Pas un seul journaliste ne soulève la question de l’invraisemblance des apparitions périscopiques ostentatoires. Les éléments d’information non concordants sont systématiquement rejetés. Tout le monde semble avoir perdu son sens critique.
Mais pourquoi, me direz-vous, Olof Palme et son gouvernement social-démocrate jouent-ils dans ce mauvais film? En tant que dirigeants, ils devraient être bien informés et pouvoir dire la vérité, à savoir qu’on n’a aucune idée vraiment de l’origine des sous-marins et qu’ils ne semblent pas bien hostiles puisqu’ils se baladent au grand jour et ne ressemblent pas à des sous-marins soviétiques. Olof Palme, partisan de la détente, n’aurait-il pas intérêt à mettre fin au délire? Mais en fait, l’affaire se produit principalement au moment où le gouvernement Palme n’a pas encore pris les rênes. Le gouvernement précédent, du premier ministre Thorbjörn Fälldin, les lui cèdera le 8 octobre.
De plus, les membres du gouvernement sortant sont induits en erreur directement par les agents du Pentagone au sein de la marine suédoise. Il s’agit en fait des deux plus hauts gradés: le vice-amiral Per Rudberg, chef de la marine, et le vice-amiral Bror Stefenson, chef d’état-major. Rudberg et Stefenson informent le ministre de la Défense, Torsten Gustafsson, que les sous-marins sont soviétiques. Et le ministre les croit. Il accepte le recours aux armes pour forcer les sous-marins à faire surface. Manque de jugement? Peut-être. Mais pourquoi un civil mettrait-il en doute la parole des valeureux militaires dont la réputation est de servir loyalement leur pays?
Et les autres militaires? Eh bien! Ils suivent les ordres de leur supérieur du début à la fin de la chaine de commandement. Il en est ainsi dans l’armée ou dans la police. Si le chef te dit d’appuyer sur la détente, tu ne poses pas de question. Un soldat, c’est une machine à tuer, et non un penseur.
Du gâteau pour les médias
Quelques heures après la première observation de sous-marin, le vice-amiral Bror Stefenson ordonne à la division de l’information de préparer un centre de presse pour accueillir jusqu’à 500 journalistes, à Berga. Il sait déjà que le spectacle va attirer la presse internationale et devenir un évènement majeur. Le 6 octobre, 300 journalistes prennent d’assaut le centre de presse, y compris 70 correspondants étrangers, dont 22 viennent des États-Unis. Le lendemain, le nombre de correspondants étrangers atteint une centaine, tandis que le nombre total de journalistes finit par atteindre 500. Les autorités militaires suédoises distribuent en tout 750 cartes d’accréditation.
La traque des sous-marins soviétiques devient une espèce de guerre en direct, un peu comme le seront plus tard, à plus grande échelle, les guerres du Golfe de 1991 et de 2003. Les grands médias étasuniens sont présents: New York Times, Washington Post, ABC, NBC, CBS. Chaque jour, le New York Times et d’autres grands journaux publient un ou deux articles sur la traque. Les opérations ayant lieu à quelques centaines de mètres de la côte, les caméras de télévision filment tout. C’est mieux qu’à Hollywood et c’est excellent pour les cotes d’écoute.
À partir du 4 octobre, les navires de guerre et les hélicoptères suédois repèrent des sous-marins avec leurs instruments et se mettent à lancer des grenades sous-marines. Le commandant de la défense côtière, Sven-Olof Kviman, mène la charge. Des périscopes et des tourelles font surface un peu partout, comme si les sous-mariniers voulaient attirer l’attention des Suédois et mettre à l’épreuve leur dispositif défense ainsi que leur volonté de s’en servir.


Per Rudberg et Bror Stefenson en compagnie de Caspar Weinberger
Les échos captés le 5 octobre indiquent la présence d’un sous-marin dont les dimensions correspondent en tous points au petit sous-marin étasunien NR-1. Même chose pour les échos captés le 7 octobre. Aucun modèle de sous-marin soviétique n’a ces dimensions. Qu’à cela ne tienne! On fonce! Et tous les détails contradictoires sont gardés secrets. Les journalistes ne sont surtout pas mis au courant.
Un jeu dangereux
Le 11 octobre, à force de jouer avec le feu, un sous-marin frappe une mine de 600 kilos, et l’explosion soulève une colonne d’eau de 60 mètres de hauteur, à la surface. Les habitants de la petite ville de Nynäshamn ressentent les vibrations. Une nappe de substance chimique d’un jaune-vert très visible remonte à la surface. C’est un marqueur caractéristique, à l’époque, des sous-marins étasuniens, qui s’en servent comme signal de détresse repérable visuellement et au moyen d’un radar. Le sous-marin est touché, mais le gouvernement suédois n’est pas informé de la présence du marqueur jaune-vert.
Dans la nuit du 11 au 12 octobre, les sonars suédois captent des sons métalliques. Sous l’eau, l’équipage du sous-marin en détresse s’affaire à le réparer. Le matin du 12 octobre, on capte des bruits d’hélice et de sous-marin labourant le fond de l’océan et se déplaçant seulement de 10 à 15 secondes à la fois, pour éviter la détection. Des agents de renseignement norvégiens analyseront l’enregistrement des bruits captés et concluront qu’il ne s’agissait pas d’un sous-marin soviétique. Cette information sera également cachée au gouvernement suédois.
Dans la soirée du 13 octobre, le vice-amiral Bror Stefenson, inquiet sans doute du sort de ses amis étasuniens, ordonne un cessez-le-feu, ce qui permet au sous-marin de traverser le champ de mines. Mais le commandant Kviman n’abandonne pas aussi facilement sa proie. À 1 h 30 du matin, un hélicoptère qui a repéré le sous-marin s’apprête à lui larguer dessus 16 grenades sous-marines. Tout à coup, un ordre inattendu arrive de la base navale: «lancez seulement deux grenades». L’hélicoptère et le navire de patrouille ne savent pas qui a donné l’ordre, mais ils obtempèrent, non sans avoir demandé à la voix mystérieuse de quitter la fréquence.
Le 14 octobre, le cessez-le-feu nocturne (pour les mines) prend fin. Le sous-marin endommagé a pris le large et n’est plus en danger… grâce à Bror Stefenson, l’agent du Pentagone. Kviman est en colère. Stefenson fait envoyer des centaines de roses rouges à sa femme et une lettre de remerciement pour le calmer.
Beaucoup de documents et d’enregistrements disparaissent par la suite ou sont effacés, mais il y a trop de témoins, et l’expert Ola Tunander, de l’Institut pour la paix d’Oslo, finit par rassembler une quantité impressionnante de données et de témoignages qui prouvent brillamment la supercherie, au terme d’une enquête colossale. Il publie en 2004 un livre intitulé The Secret War Against Sweden – US and British Submarine Deception in the 1980s, où il donne tous les détails. La crise des sous-marins soviétiques a été inventée de toutes pièces. C'est un tissu de mensonges et une opération montée par quelques officiers de la marine suédoise, avec des Étasuniens et des Britanniques, contre le gouvernement de la Suède, qui, à l’époque, ne comprenait absolument rien de ce qui se passait.
En 2000, Casper Weinberger, secrétaire d'État à la Défense des États-Unis, de 1981 à 1987, admettra que, pendant ces années-là, des sous-marins étasuniens ont souvent pénétré dans les eaux suédoises. Il ajoute qu'à l’exception du «Whiskey on the rocks», aucun sous-marin soviétique n'a pénétré dans les eaux suédoises.
Le premier ministre suédois Olof Palme est assassiné à la sortie d'un cinéma le 28 février 1986. On ne retrouvera jamais le meurtrier. Du travail propre.
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Prochain article: [Les sous-marins que cachent les wikibruits->Les-sous-marins-que-cachent-les]
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[Lire le deuxième article->Les-rouages-de-la-desinformation]


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5 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    20 juin 2011

    ... dans les eaux suédoises. On à retrouvé l'épave de l'un d'entre eux en 2009, et les incursions sont multiples :
    http://www.ambafrance-se.org/spip.php?article4920
    Aftonbladet publie le témoignage de Sten Axelsson, aujourd’hui policier en retraite qui, en 1977, a trouvé sur une plage de Gotland un certain nombre d’objets appartenant à des soldats soviétiques (passeports, chapeau d’uniforme). Il raconte comment les services secrets suédois de l’époque lui ont demandé de ne pas rendre publiques ses découvertes. La presse effectue un lien entre ce témoignage et l’épave d’un sous-marin soviétique découverte au large de Gotland au cours de l’été 2009. L’armée suédoise a toujours estimé qu’il n’était pas nécessaire d’examiner l’épave de plus prêt. Une étude approfondie permettrait pourtant d’en apprendre d’avantage sur l’activité sous-marine de l’URSS dans les eaux territoriales suédoises pendant la guerre froide. La cause du naufrage de l’appareil reste incertaine. « S’il avait coulé dans le cadre de la lutte anti-sous-marine menée par la Suède, il s’agirait d’une découverte sensationnelle », affirme Aftonbladet. « Il est possible que l’armée suédoise en sache plus qu’elle ne veut bien l’admettre », déclare Ola Oskarsson, présidente de l’entreprise d’études marines MMT qui a examiné l’épave à plusieurs reprises. DN publie une liste des incidents survenus dans les eaux territoriales suédoises au cours des années 80.

  • Archives de Vigile Répondre

    26 décembre 2010

    Désolé, le lien de ADDENUN a changée ci-après:
    http://dotsub.com/view/7281f5dc-d4b1-4315-abb7-143becd34f49

  • Archives de Vigile Répondre

    19 décembre 2010

    Comment se font éliminés les chefs d'état qui ne veulent pas lêcher les bottes de l'Oncle Sam? Visionnez à deux ou trois reprises la deuxiéeme partie de ce vidéo pour mieux saisir la profondeur des explications d'un ex-chef CIA:
    http://www.zeitgeistaddendum.com/add_french.htm
    les présidents de USA ne dirigent que les administrations courantes et comme porte parole seulement qui, de toute facon ne sont pas élus démocratiquement mais par l'argent des sociétée des ténêbres et des EMPÉREURS, comme il est expliqué dans la 2e partie. Les Kennedy voulait changer cela et ils se trouvent à 7 pieds sous terre. Ted a préféré la prudence pour la famille. B. Hussein Obama a tellement promi de belles et bonnes choses pour son peuple, mais il se salit les mains:
    http://www.voltairenet.org/article165698.html

  • Archives de Vigile Répondre

    16 décembre 2010

    Lorsqu'il s'est fait descendre je vivais avec une Suédoise en Italie. Elle ne l'aimait vraiment pas; elle était presque contente.
    On a jamais su qui l'avait descendu. On a longtemps pensé à un Khurde. Sa femme était le principal témoin.

  • Gilles Verrier Répondre

    15 décembre 2010

    Je ne sais pas jusqu'à quel point il faut prêter foi à cet article (voir le lien plus bas). Honnêtement, je ne l'ai pas encore lu. Mais j'ai tout de suite pensé que le sujet pourrait vous intéresser puisqu'il me semble cadrer avec vos efforts pour nous rendre moins à la merci de la machine à formater les cerveaux. En passant, le courriel ne passe pas : ERREUR
    http://www.egaliteetreconciliation.fr/Wikileaks-aurait-conclu-un-accord-avec-Israel-4899.html
    GV