En visant la société propriétaire du pétrole qui s'est déversé à Lac-Mégantic dans son ordonnance, le gouvernement tente de lui imputer une part de responsabilité - et cela pourrait s'avérer une démarche fort complexe.
Québec a sommé lundi la compagnie de réhabiliter entièrement les lieux souillés par les quelque 5,7 millions de litres de pétrole brut s'étant échappés des wagons-citernes de la Montreal, Maine & Atlantic (MMA), qui est également également citée dans le document juridique.
Le porte-parole de l'entreprise, Brian Kennedy, s'est montré perplexe face à la démarche entamée par le gouvernement québécois à l'autre bout du fil, mercredi après-midi.
Sans l'affirmer directement, il a laissé entendre que le blâme devrait être adressé à la MMA et non à World Fuel Services et sa société affiliée Western Petroleum Company.
Il a d'ailleurs a tenu à établir une certaine distance entre l'entreprise qu'il représente et celle dirigée par Edward Burkhardt.
«World Fuel Services n'a absolument aucune relation contractuelle avec MMA», a-t-il précisé.
«World Fuel Services a fait affaire avec le Canadien Pacifique pour le transport de la marchandise à partir du Dakota du Nord jusqu'au Nouveau-Brunswick (...) Ce sont eux qui ont ensuite offert le contrat en sous-traitance à la MMA.»
Le Canadien Pacifique s'est refusé à tout commentaire sur cette question, mercredi.
Dans le rapport trimestriel qu'elle a soumis mercredi à la Securities and Exchange Commission (SEC) des États-Unis, la société cotée en Bourse a déclaré qu'elle était mêlée à des procédures judiciaires - dont une poursuite intentée par la famille d'une victime, Jean-Guy Veilleux, et l'ordonnance de Québec -, comme elle est tenue de le faire par la loi.
Et World Fuel Services y note qu'elle ne peut être certaine «que (ses) assurances seront suffisantes» pour couvrir tous les frais qu'elle pourrait être condamnée à verser. Elle laisse entendre qu'elle pourrait se tourner vers d'autres parties impliquées dans le déraillement pour couvrir ses frais juridiques et ceux des possibles dédommagements.
«De nouvelles poursuites, procédures (judiciaires) et ordonnances pourraient être déposées», peut-on par ailleurs lire dans le document.
La World Fuel Services, dont le siège social se trouve à Miami, en Floride, s'est montrée étonnée d'être pointée du doigt.
Elle avait d'ailleurs signifié mardi dans une déclaration écrite avoir «de sérieuses objections quant à la légalité de cette ordonnance».
Mais pour Keith Stewart, coordonnateur de la campagne Climat-Énergie de Greenpeace, il ne fait aucun doute que les sociétés visées doivent assumer une part de responsabilité.
«Ces compagnies-là ont sciemment pris des risques. Elles ont mis du pétrole dans des wagons-citernes qu'elles savaient à risque au lieu d'avoir recours à des modèles plus sécuritaires et plus modernes», a-t-il exposé en entrevue téléphonique.
Le convoi qui a explosé en plein coeur du centre-ville de Lac-Mégantic le 6 juillet était composé de wagons-citernes de classe 111A.
Ce type de wagon suscitait l'inquiétude depuis plusieurs années au Bureau de la sécurité des Transports (BST), qui avait recommandé à Transports Canada en novembre 1996 de prendre «immédiatement» des mesures» pour réduire la possibilité d'un déversement de produits toxiques.
L'organisme indépendant suggérait notamment d'exiger «que la conception des wagons-citernes soit modifiée afin d'améliorer leur intégrité structurale» ou «de limiter davantage les produits qui peuvent être transportés dans ces wagons».
Il y a fort à parier que si elles sont traînées en cour, World Fuel Services et à sa société affiliée privilégieront une ligne de défense qui pourrait braquer de nouveau les projecteurs sur le rôle que joue Transports Canada en matière de réglementation ferroviaire, selon M. Stewart.
«Leur argument, ce sera que le gouvernement (fédéral) leur permettait d'opérer ainsi et que ce qu'ils faisaient était donc légal», prédit-t-il.
Et les avocats qui représentent Québec dans ce dossier auront beaucoup à faire pour convaincre le juge de la responsabilité des compagnies identifiées comme les propriétaires du pétrole, de l'avis d'un juriste.
«J'ai de la difficulté à voir un lien juridique. Ça va être difficile de leur imputer une faute», selon Robert Godin, professeur à la Faculté de droit de l'Université McGill.
«Le moins qu'on puisse dire, c'est que ça va prendre des années à se régler.»
Il a été impossible, mercredi, d'obtenir les commentaires du ministre de l'Environnement, qui a déposé l'ordonnance au nom du gouvernement québécois.
L'entrevue qu'il devait accorder à La Presse Canadienne en après-midi a été annulée à la dernière minute pour des raisons n'ayant pas été précisées par son attachée de presse, Catherine Salvail.
Le ministère a néanmoins annoncé par voie de communiqué en fin d'après-midi que la MMA avait aussi répondu à l'ordonnance qui lui a été signifiée lundi sans toutefois s'engager «clairement ou fermement à en respecter les modalités».
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