par André Parizeau,
Chef du Parti communiste du Québec (PCQ) (*)
Beaucoup a été dit dans les dernières 72 heures, depuis l'annonce par le journal La Presse, de soi-disantes malversations de la part de l'ex-chef du Bloc québécois, Gilles Duceppe, immédiatement suivi par une annonce par ce dernier du fait qu'il se retirait définitivement de la vie politique active.
Certains ont crié au complot fédéraliste. D'autres pointent le doigt vers l'entourage de la chef du PQ, Pauline Marois, qui appréhendait l'arrivée au PQ de celui-ci.
Derrière tout cela, il y a de manière évidente beaucoup d'hypocrisie. On crie au voleur alors qu'il est déjà connu que les libéraux fédéraux, ainsi que les Conservateurs, et même le NPD, ont tous à un moment ou un autre coupé les coins ronds (pour ne pas dire plus) en matière de respect des règles parlementaires, ainsi que de la loi électorale fédérale.
Tout cela est d'autant plus choquant qu'il appert maintenant qu'aucune des règle de la Chambre des communes n'ait finalement été contournée dans toute cette affaire et qu'aucune des sommes dépensées ne l'ait été indument; en d'autres mots, même si, et advenant que les salaires, alloués par le bureau du chef du Bloc de manière soi-disant inappropriée, n'auraient jamais accordés, ces mêmes argents auraient été dépensés autrement et aucune économie n'aurait alors pu être faite, du point de vue des contribuables. Tels sont quelques unes des conclusions des recherches faites par le journal Le Devoir, après la publication des faits.
Sachant maintenant tous ces faits, cela soulève du même coup toute une série de questions. Ceux qui ont au départ alimenté le journal La Presse sur toute cette affaire, se devaient d'être au courant de la gestion des fonds au sein du Bloc québécois. Sous toutes réserves, ils devaient aussi savoir qu'aucune règle n'avait vraiment été violé; ils devaient également bien se douter de l'impact que la publication de ces "révélations" pourraient avoir, d'autant qu'elles seraient publiées par un journal déjà très connues pour ses prises de positions fédéralistes et anti-souveraineté pour le Québec.
De toutes évidences, leur publication ne pouvait faire autrement que de nuire aux chances de Gilles Duceppe de pouvoir ultimement accéder à la direction du PQ, en lieu et place de Pauline Marois. Ceux qui coulèrent le "scoop" devaient aussi avoir une idée du fait que tous les fédéralistes à Ottawa sauteraient alors sur l'occasion pour en découdre et prendre ainsi ce qu'ils voient de leur côté comme étant une "douce revanche" sur un parti, et son ex-chef qui avaient su, pendant si longtemps, avec tant d'habileté, les pointer du doigt, faire ressortir à chaque scandale leur double discours, tout cela dans la propre cour des fédéralistes. Il faut en effet se rappeler que le Bloc québécois fut très actif à Ottawa, pendant tout ce temps, pour user de chaque événement, pour mieux faire ressortir les limites en même temps que la duplicité du système fédéral « canadian ».
Ceux qui coulèrent l'information, n'étaient pas, sur toutes réserves, de véreux fédéralistes et continuent sans doute encore à se dire souverainistes. Alors pourquoi ont-il agi ainsi ? On a beau se dire que bien des gens, au sein de la mouvance souverainiste, n'aiment pas Gilles Duceppe -- même si tous et toutes reconnaissent en même temps ses qualités --; bien des gens, toujours dans la mouvance souverainistes, n'aiment pas non plus son style assez autoritaire, lequel ne cadre pas vraiment avec tous ces discours d’aujourd'hui à propos de la nécessité de faire la politique. Mais est-ce que tout cela en valait vraiment la peine pour autant ? Leur propre geste était-il lui-même éthique ?
Cela prouve au fonds le fait que, même dans le camps souverainiste, il y a aussi des choses qui mériteraient de changer...
Du côté des fédéralistes et de la manière dont ils essaient actuellement de faire un maximum de millage avec l'affaire, il n'y a vraiment rien qui devrait nous surprendre. Pas même du côté du NPD, avec son soit disant vernis progressiste, mais qui demeure encore aujourd'hui un parti dont la position officielle est d'appuyer la loi sur la clarté référendaire et donc, du même coup, de nous nier à nous, Québécois et Québécoises, notre droit fondamental, en tant que nation, de décider librement de notre propre avenir.
Le fait que les libéraux fédéraux aient été jusqu'à vouloir comparer cette histoire là avec le scandale des commandites, dont ils furent eux-mêmes les grands maîtres d'oeuvre, frise le ridicule le plus absolu.
À cause de tout ce qui vient d’être, et ne serait-ce que parce que toute cette affaire fut fort probablement initiée de l’intérieur même des rangs de certains souverainistes, il pourrait en même temps devenir quelque peu hasardeux de chercher à continuer à monter en épingle la théorie du complot fédéraliste. Cela ne nous empêche pas cependant de continuer à dénoncer la duplicité de tous les partis fédéralistes à Ottawa.
Mais là ne s'arrête pas les constatations. Il faudrait entre autres choses chercher à tirer certaines lecons de toutes cette affaire. On pourrait ainsi se demander comment autant de souverainistes, membres ou non du PQ, pouvaient espérer autant l'arrivée de Gilles Duceppe, comme une sorte de sauveur, alors que ce dernier appuyait et appuie toujours la stratégie officielle de la direction du PQ en matière d'accession à l'indépendance du Québec, et que la plupart de ces mêmes personnes s'objectent justement de plus en plus à cette même stratégie.
De toute évidence, il y avait là toute une contradiction, en partie maquillée par le fait que ces mêmes personnes se disaient que le plus important consistait d'abord et avant à avoir un nouveau chef, plus populaire au niveau des sondages (ce que Gilles Duceppe était) et qu'il y aurait forcément un temps, plus tard, pour revoir les autres aspects de la question.
Le problème, avec une telle approche, c'est qu'elle mise tout sur l'aspect du "cheuffe" et liquide dans les faits toutes les autres facettes de la question. Voilà bien là une tendance naturelle chez nous en politique. Et ne nous méprenons pas : le commentaire vaut autant du côté souverainiste, que du côté fédéraliste, autant à gauche qu'à droite.
On change le ou la chef dans l'espoir que cela va ensuite nous permettre de tout régler le reste des problèmes, sauf qu'on tend en même temps, fois après fois, à se retrouver ensuite avec encore les mêmes problèmes, sans parler du fait, que c'est parfois encore pire après. Qu'on se rappelle seulement l'intermède sous la direction d'André Boisclair au PQ, On croit beaucoup au "sauveur", sauf qu'on se réveille parfois aussi avec des lendemains qui déchantent... Qu'on pense ainsi à Lucien Bouchard, en qui bien des gens croyaient pourtant et qui en aura finalement déçu plus d'un.
Au delà du nécessaire deuil que bien des souverainistes, toujours proches du PQ, et qui croyaient beaucoup en la possibilité que Gilles Duceppe vienne mettre un stop à la descente du PQ dans les intentions de vote, -- un deuil à respecter --, je crois important que tous et chacun, au sein de la mouvance souverainiste soit maintenant capable de se poser une autre et dernière question, soit celle-ci : que faisons-nous maintenant ? Plus que jamais, je crois que tous les souverainistes doivent se poser cette question. Cela implique aussi de regarder froidement, et de manière la plus rationnelle possible, quelle devrait être la meilleure approche à suivre à partir de maintenant.
Ne devrait-on pas, à ce titre, être prêt à revisiter cette manie que nous avons à vouloir tout le temps donner tous les pouvoirs à des chefs, comme si notre avenir ne pouvait dépendre qu'eux. Oui, et de manière très clair, si nous voulons véritablement changer cette société, réaliser l'indépendance du Québec, et aller vers une société plus juste (que nous appelons, nous, socialiste), alors nous aurons besoin de leaders charismatiques. Mais nous aurons également besoin de tous et chacun. Nous aurons besoin de l'unité de la gauche; nous aurons également besoin de refaire l'unité de tous les souverainistes autour d'un programme minimum commun ainsi que d'une stratégie claire, qui -- et soyons honnêtes à ce propos -- n'existe toujours pas, aussi bien au PQ qu'à Québec solidaire.
Tout récemment François Cyr et Pierre Beaudet publiait sur le site de Vigile texte très intéressant à ce sujet et qui s'intitule "De conspirations et de sauveurs".
Nous devrions également étendre et développer les débats autour de la meilleure manière de faire la politique autrement. Je ne peux m'empêcher de souligner à quel point la proposition d'origine de Pauline Marois, vis à vis de Gilles Duceppe, consistant à faire de ce dernier une sorte de No 2 dans le cadre d'une nouvelle équipe de direction au sein du PQ, n'était finalement pas très différente de la manière dont Québec solidaire assure depuis le début sa propre direction, avec 2 porte parole. Pendant des années, dans certains milieux, on a fait les gorges chaudes à propos de cette double direction chez Québec solidaire. Mais était-ce si fou après tout ? L'actualité récente du côté du PQ semble plutôt indiquer que Québec solidaire avait peut-être raison depuis le début. Imaginez seulement ce qui aurait pu se passer du côté du PQ si Gilles Duceppe avait juste accepté cette fameuse proposition de Pauline Marois, au lieu de chercher à conquérir tout le pouvoir pour lui ?
Je crois que nous devrions également reprendre les débats de fonds quant à ce que devrait être la meilleure stratégie d'accession à l'indépendance, ce qui inclut en même temps toute la question d'une éventuelle alliance de toutes les forces souverainistes. Là est ultimement la question qui déterminera dans une large part l'avenir de nos grandes batailles politiques encore à faire.
Je crois que les récentes sorties de Bernard Drainville et de Jean-François Lisée, à cet égard, méritent qu'on s'y attarde. Je crois aussi que tous ces débats devraient se faire autant au PQ, à Québec solidaire, qu'au sein du nouveau parti Option nationale.
Je ne suis pas moi-même un supporteur du PQ; je suis un des membres fondateurs de Québec solidaire, mais je suis en même temps un de ceux qui croient que tous les partis souverainistes devraient concocter une alliance entre eux. Aussi bien au PQ, que dans Québec solidaire, et chez Option nationale, ils sont de plus en plus en plus nombreux à penser aussi de même.
Je crois finalement que le plus récent sondage, publié aujourd’hui par CROP, et qui confirme ce qu'un autre sondage, en provenance de Léger & Léger, nous avait déjà appris, soit le fait que la CAQ est en train de reculer, pendant que les libéraux ont plutôt tendance à piétiner, et que l'option souverainiste reste encore très forte (à 43% selon Léger & Léger) est comme une bouffée d'être frais qui nous rappelle en même temps qui demeurent toujours nos principaux adversaires et contre qui nous nous devrions être beaucoup mieux organisés.
(*) Le PCQ est un collectif reconnu au sein de Québec solidaire; son site Internet est au : www.pcq.qc.ca ; vous y trouverez notamment une copie de son programme politique, ainsi que la vision propre du PCQ, pour garantir dans les meilleures conditions l'accession du Québec à son indépendance.
À propos de tous ces événements depuis 72 heures...
Tribune libre
André Parizeau39 articles
Chef du Parti communiste du Québec (PCQ), membre fondateur de Québec solidaire, membre du Bloc québécois, et membre de la Société Saint-Jean Baptiste de Montréal (SSJBM)
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2 commentaires
Archives de Vigile Répondre
26 janvier 2012Il est un peu difficile de mettre un chiffre précis pour répondre à votre question. Je voudrais néanmoins mentionner les points suivants :
- Autant Amir Khadir que Francoise David étaient au départ POUR l'idée d'un pacte électoral; ce sont d'ailleurs eux, avec l'appui d'une majorité de la direction de QS de l'époque, qui en firent la propsition il y a de cela autour de deux ans, alors que le PQ, lui semblait encore complètement fermé à l'idée. C'était alors dans le cadre d'un conseil national de QS
- De manière quelque peu surprenante, en février 2011, et à la suite de pressions venant de différents courants oeuvrant au sein de QS, y compris de la part de groupes d'obédience trotskyste qui demeurent très férocement contre toute forme d'alliance encore aujourd'hui (voir entre autre les textes sur le site de Presse toi à gauche ! où ces courants ont une forte influence), Amir Khadir et Francoise David furent alors mis en minorité lors de ce congrès; et le congrès vota alors pour renverser la position prise lors du conseil national précédent; je n'étais moi-même pas là à ce congrès (c'est d'ailleurs le seul que j'ai manqué jusqu'ici et je m'en veux d'ailleurs pas mal).
- Ce que je sais d'autre part, c'est qu'il y a bon nombre de gens qui votèrent alors pour rejeter toute forme d'alliance qui, s'il y avait à nouveau un vote, changerait probablement d'opinion au vue de l'actualité courante. Sur cette fameuse question, la position d'origine, qui était au départ correcte, fut renversé; celle de 2011 pourrait à nouveau être renversée; rien n'est finalement immuable en politique...
- La sortie publique récente de Stephane Lessard, ex- membre de la direction de QS est en ce sens assez symptomatique et lui-même le souligne à quel point il est loin d'être seul à prendre aujourd'hui la position qu'il a prise.
- Il y a en même temps un certain nombre de gens qui ont peur que toute cette question vienne ultimement diviser les rangs de QS, un peu comme le PQ est actuellement divisé.
- Je sais d'autre part que bon nombre d'autres individus, dont on ne peut questionner d'aucune manière leur intégrité et leur intérêt à la cause indépendantiste, ont l'an dernier voté, au sein de QS, contre cette idée d'alliance et s'en veulent depuis pour avoir poser un tel geste.
- Cette idée de vouloir refuser toute alliance découle au moins en partie des vieux démons de la gauche québécoise, longtemps marginalisée, qui a toujours tendance à associer alliances avec compromissions. Ce sont de vieux relents de gauchisme et de sectarisme, dont les racines remonte à loin, mais qui n'ont clairement plus leur place aujourd'hui. Il faut combattre cela et il en va de l'avenir même de cette même gauche.
- Je suis un des membres fondateurs de QS, ainsi qu'un des membres fondateurs, avant cela, de l'Union des forces progressistes (UFP). L'union des forces de gauche au sein de l'UFP, puis de QS, s'est faite précisément dans le cadre d'une lutte incessante contre ce même gauchisme et sectarisme et de toute évidence, cette lutte est encore loin d'être finie.
Pour faire une histoire courte, je suis assez optimiste. En passant, je peux confirmer qu'Amir Khadir est lui-même ouvert à ce genre de pacte depuis des années; cela remontait même du temps de l'UFP alors qu'il n'hésita pas à un moment donné à parler avec Marie Malavoy (du PQ) pour justement parler de cela. Le PQ ne voulait alors vraiment rien savoir de tout cela. L'important, c'est que cela a fini par évoluer et continue encore évoluer dans le bon sens.
L'important, c'est que ces pressions se poursuivent.
André Parizeau,
Chef du Parti communiste du Québec, un collectif reconnu dans Québec solidaire (*)
(*) Cela en surprendra peut-être plusieurs qu'un communiste parle ainsi de l'importance de combattre le gauchisme et le sectarisme; cela fait aussi partie d'une autre réalité, à savoir qu'il reste encore bien des préjugés et des fausses idées à propos de bien des choses...
Archives de Vigile Répondre
25 janvier 2012Votre enthousiasme contraste beaucoup avec la face de carême que fait F. David à l'idée d'une coalition, alliance ou pacte avec le PQ.
Où se situe la majorité des membres de QS selon vous?