On serait en droit de crier à la manipulation si on avait la preuve que la fuite du rapport Bouchard-Taylor vient de l’intérieur. Commissaires eux-mêmes, attachés de presse, conseillers, traducteurs ou réviseurs, imprimeurs, balayeurs s’il le faut: cette version finale du rapport sur les pratiques d’accommodement reliées aux différences culturelles vient bien de quelque part tout de même.
Une semaine à l’avance donc, alors que le chef du gouvernement ne l’a pas encore reçu officiellement, le rapport est coulé. [En toute justice, il l’est au journaliste, Jeff Heinrich, qui a le plus assidument suivi les audiences publiques de la Commission.] Le rapport est coulé à la Gazette en plus! C’est tellement gros que les autres journaux - La Presse et le Journal de Montréal en particulier - ont réagi avec une extrême prudence.
Dans ces affaires, la première interprétation est souvent la plus durable. Et pour une interprétation, c’en est tout une: «Apprenez davantage d’anglais. Soyez plus fins pour les Musulmans. Informez-vous mieux…» Compris?
On ne connaît pas le rapport, on n’a pas vu ses recommandations, mais on nous dit ce qu’il faut en penser. Il n’est pas inutile de rappeler tout le mépris que Gérard Bouchard a déjà exprimé pour une bonne partie de la presse francophone. Est-ce que, par cette fuite, on veut passer par dessus la tête des journalistes et se servir de la Gazette pour nous suggérer ce qu’il faut penser de ce rapport?
Les Commissaires, pas plus que leur porte parole, n’ont même pas tenté de donner la moindre explication. Cela aussi procède du mépris.
Sur le fond, j’hésite à commenter puisque je n’ai aucune assurance que cette copie du rapport est authentique, et elle n’est de toutes manières pas complète. Cependant, cela me semble de bien mauvais augure. Comme on pouvait s’y attendre en suivant les commentaires des commissaires, cela va se transformer en vaste entreprise de culpabilisation de ceux qu’on appelle les «Québécois canadiens-français» (?). «La responsabilité d’instaurer une plus grande ouverture d’esprit revient principalement aux Canadiens français» dit-on.
Le rapport ne fait aucune nuance. «Les Québécois» répète-t-il sans cesse, sans jamais préciser s’il s’agit de quelques Québécois ou, comme cela signifie en bon français, «tous les Québécois». C’est d’une tristesse sans nom. J’espère au moins que nos chefs politiques se tiendront debout. On notera soigneusement celui ou celle qui aura le courage de dire haut et fort que ce n’est pas ça, la société québécoise. Car, s’il y a eu des erreurs et des dérapages - tant du côté de la majorité que des minorités d’ailleurs - cette société est accueillante pour tous les immigrants, généreuse pour eux. Je tiens moi-même à en témoigner.
Et je n’ai pas peur de le dire: Gérard Bouchard n’aurait jamais osé tenir de tels propos quand son frère, Lucien, était le premier ministre de tous les Québécois.
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